Lorsque l’on évoque l’histoire du Japon, il n’est pas rare que soit abordée la période d’isolationnisme qu’imposa le shogun Iemitsu Tokugawa à sa population entre 1641 et 1853, soit pendant 212 années exactement. 212 années que le pays du Soleil levant ne manqua nullement de mettre à profit pour consolider ses fondations, raffiner sa culture et discipliner sa société. 212 années de paix durant lesquelles l’archipel nippon entreprit de cristalliser le folklore si atypique que nous lui connaissons aujourd’hui, teinté de respect hiérarchique, de code moral et d’abnégation de soi. C’est notamment grâce à ce contexte que purent s’imposer des symboles nationaux emblématiques tels que les samurai, les daimyo ou le mouvement pictural du monde flottant.
Toutefois, l’occident ne détourna jamais réellement les yeux de ces contrées à la fois exotiques et insoumises. Aussi, en 1853, sous les pressions du commodore américain Matthew Perry qui accosta à même ses côtes, le Japon dut se résoudre à clore ce pan de son histoire plus connu sous le nom de Sakoku. S’ensuivit alors une période riche en échanges culturels qui culmina, en 1860, par l’envoi d’une délégation de samurai au pays de l’Oncle Sam.
Avec pour intention de signer le traité d’Amitié, de Commerce et de Navigation entre les États-Unis et son gouvernement, la première délégation nipponne de l’histoire lève l’ancre le 19 janvier depuis le port de Uraga pour faire cap vers San-Francisco, de l’autre côté du Pacifique. La flotte se compose de deux navires : le Kanrin Maru et le USS Powhatan. Tandis que le premier abrite la majorité du corps administratif japonais ainsi qu’un interprète officiel, le second comprend les membres les plus importants de cette ambassade que sont l’ambassadeur lui-même, le vice-ambassadeur et un observateur.
Au cours de sa traversée, le USS Powhatan est contraint de faire escale à Honolulu afin de se réapprovisionner. Les trois représentants officiels de cette mission laissent donc le reste de la délégation poursuivre sa route vers San Francisco alors qu’ils sont accueillis par le roi du royaume de Hawaï, Kamehameha IV.
Par la suite, ils rejoignent leurs compatriotes à San Francisco où, endommagé par une violente tempête, le Kanrin Maru est forcé de reprendre la mer en direction du Japon. Ainsi, les soixante-seize samurais qui composent la garnison missionnaire embarquent, eux aussi, sur le USS Powhata et, au terme d’une bref séjour sur la côte ouest, rejoignent le détroit du Panama avec leurs supérieurs.
Bien évidemment, ce voyage ne manque nullement de souligner les divergences culturelles de deux peuples que tout oppose : d’un côté les fonctionnaires-guerriers japonais astreints à une tenue irréprochable en vertu des préceptes du Bushidô, de l’autre, les représentants américains bien moins soucieux du respect des formalités et de la hiérarchie. C’est à cette occasion également que l’Occident observera pour la première fois des photographies des fameux samurai du Pays du Soleil levant. En effet, malgré leur austérité exemplaire, ces derniers ne purent résister à se prêter aux coutumes de leurs hôtes, se laissant photographier dans leurs habits traditionnels.
Une fois le détroit de Panama traversé, les passagers rejoignent ensuite Washington DC pour y assister à un bal organisé par le président James Buchanan à l’occasion duquel ce dernier leur offre une montre en or à l’attention du Shogun.
Ayant accompli leur objectif initial, les membres de la délégation redescendent alors la côte est des États-Unis où ils seront accueillis par une grande parade. C’est également à partir de ce point qu’ils reprendront la mer en direction de leur terre natale à bord du USS Niagara.
Pour ce faire, ils traverseront l’océan Atlantique et l’océan Indien, réalisant, de ce fait, un tour du monde en quelques escales, notamment dans les Indes orientales.
Le 8 novembre 1860, la mission accoste finalement dans la baie de Tokyo où son voyage prend officielle fin.
Dans l’histoire du Japon et de ses relations avec l’Occident, cet épisode méconnu constitue une étape cruciale dans la modernisation de cette nation et symbolise l’une des premières confrontations de la population américaine avec l’exotisme de l’archipel nippon. Toutefois, pour illustrer la divergence culturelle qui marqua cette rencontre, il n’est de meilleur témoignage que celui du vice-ambassadeur Muragaki Norimasa qui, durant son voyage raconte :
« Dès notre arrivée dans la capitale américaine, il nous a fréquemment été demandé de nous soumettre à des séances de photographies, mais avions jusqu’ici refusé de nous plier à de telles pratiques car celles-ci ne figuraient pas dans les coutumes de notre pays. Aujourd’hui, toutefois, il nous a fallu céder, par respect, aux désirs du Président. Nous avons donc, pour la première fois, fait face à la machine photographique. »
Auteur : Maxime Wève