Les prémisses
Entrés dans la guerre en décembre 1941, après l’attaque japonaise de la base aéronavale de Pearl Harbor, les États-Unis décident rapidement de se lancer, eux aussi, dans la course à l’arme atomique. Ils lancent le projet « Manhattan », doté de moyens financiers et humains considérables. En juin 1942, Robert Oppenheimer (1904-1967) est nommé directeur du projet.
De gauche à droite au premier rang : les physiciens Norris Bradbury, John H. Manley, Enrico Fermi et J. M. B. Kellogg. Derrière Manley se trouve Robert Oppenheimer, avec Richard Feynman à sa gauche.
La première chose à faire, c’est étudier de la manière la plus complète possible la réaction en chaîne dans l’uranium, ce qui implique de rassembler une quantité importante d’uranium (plusieurs mètres cubes). Il faut ajouter à l’ensemble du graphite, dont le rôle est de ralentir les neutrons (qui ne doivent pas être trop rapides pour pouvoir produire des fissions).
Et voilà pourquoi Enrico Fermi (1901-1954), un des physiciens à l’origine de la découverte du phénomène de fission nucléaire, a fait réaliser une « pile », la CP-1. On peut imaginer que, jusqu’au matin du 2 décembre 1942, Enrico Fermi fut assez nerveux, angoissé même. Comment va se comporter sa pile ? Va-t-elle diverger ? Peut-être que rien ne se passera ? Après tout, on espère une réaction en chaîne sur base de calculs. Et si ces calculs étaient erronés ?
Le 2 décembre 1942, à 3 heures 25 minutes de l’après-midi, devant un petit groupe de personnalités, la réponse est claire : les calculs sont corrects. Les instruments de mesure montrent que le flux de neutrons augmente. La pile diverge ! L’expérience durera 28 minutes. Peut-être bien les 28 minutes les plus intenses de la vie de Fermi. Vingt-huit minutes qui démontrent, expérimentalement, que les physiciens-théoriciens avaient raison : il est possible de produire une quantité d’énergie presque inimaginable en cassant, à l’aide de neutrons, des atomes d’uranium. L’ère atomique a commencé, sur un ancien terrain de tennis de l’Université de Chicago. Il est 3 h 47, mais nous sommes encore très loin d’une bombe atomique. Pour cela, il faudrait insister sur l’énorme effort intellectuel qui sera nécessaire.
« Le projet Manhattan sera l’expérience de physique la plus gigantesque de tous les temps »
Il faut déterminer tous les paramètres qu’il faut contrôler pour réaliser une réaction en chaîne de fissions. Cela nécessite la mesure, très délicate, des « sections efficaces » de toutes les substances qui interviendront dans la constitution de la bombe, c’est-à-dire des caractéristiques d’interaction entre ces substances et les neutrons. Cela nécessite des calculs très complexes de la « masse critique », c’est-à-dire de la quantité d’uranium (ou de plutonium) qu’il faut rassembler pour que la réaction en chaîne soit possible. Il faut mettre au point des installations pour séparer l’uranium-235 de l’uranium-238 et pour séparer le plutonium de l’uranium. Il faut résoudre d’innombrables questions techniques. Des milliers d’ingénieurs, de physiciens, de chimistes répondront à toutes ces questions, une à une, et dans le plus grand secret. Le projet Manhattan sera l’expérience de physique la plus gigantesque de tous les temps. Elle aboutira. Le 6 août 1945, une bombe à l’uranium est lâchée sur Hiroshima. On l’appelle « Little Boy ». Le 9 août, une bombe au plutonium est lâchée sur Nagasaki. On l’appelle « Fat Man ».
Le 9 août 1945 "Fat Man"
3 h 47
Un avion, baptisé Bock’s Car, piloté par le commandant Charles Sweeney, décolle de l’aérodrome de l’île de Tinian, d’où l’Enola Gay était parti pour la première attaque nucléaire.
9 h 15
Il arrive à l’endroit où il devait rencontrer deux autres appareils portant les instruments de mesure et d’observation. Il se met à tourner en les attendant. Au bout de cinq minutes, il voit s’approcher l’un des B-29. D’autres minutes s’écoulent et le deuxième appareil n’arrive toujours pas.
9 h 50
Le commandant Sweeney, estimant qu’il ne pouvait plus attendre, prend la direction de Kokura. D’après le bulletin météorologique envoyé de la base, il n’y avait plus de nuages au-dessus de la ville. Les météorologues se trompaient. Une fois le Bock’s Car au-dessus de Kokura, à
10 h 44
L’équipage ne peut apercevoir l’objectif caché par une épaisse couche de nuages. Le commandant Sweeney survole la ville à deux reprises, mais chaque fois, le bombardier déclare ne pas voir la cible. Au bout de 45 minutes, le commandant se décide à diriger l’appareil sur la ville désignée comme objectif de rechange : Nagasaki.
11 h 50
Il arrive au-dessus de la zone urbaine. La terre était toujours cachée par les nuages, ce qui laissait prévoir que, ce jour-là, il faudrait rentrer à la base sans avoir lâché la bombe. Cette idée remplissait le commandant Sweeney d’effroi, il savait qu’un atterrissage avec une bombe atomique amorcée serait extrêmement dangereux. Il pensait à tout cela quand, soudain, l’épaisse couverture de nuages s’ouvre et les maisons de la ville apparaissent. Sweeney dirigea immédiatement son appareil dans cette direction. Hiroshima ne fut visible que pendant vingt secondes, mais cela fut suffisant pour accomplir la mission.
11 h 58
Dans le bombardier, le capitaine K.K. Beahan, appuie sur le levier, libérant les amarres de la bombe appelée Fat Man. Le pilote couche l’avion dans un brusque virage et accroit immédiatement la vitesse au maximum. L’appareil s’enfuit devant la boule énorme, de plus en plus lumineuse, qui enveloppait l’agglomération et s’élevait rapidement.
Nagasaki est ravagée en un peu plus de dix secondes, maigre consolation, les dégâts ne furent toutefois pas aussi importants qu’à Hiroshima parce que les collines avoisinantes limitèrent les effets de l’onde de choc. De toute façon, cela n’avait plus d’importance, les autorités japonaises étaient, dorénavant, convaincues que les Américains possédaient de nombreuses bombes atomiques et que si leurs armées ne capitulaient pas, d’autres villes seraient la cible de raids contre lesquels elles n’avaient aucune défense.
Le chef du grand état-major, le général M. Kawabe, demanda au professeur Joshio Nishina, le plus éminent physicien nucléaire japonais :
– Existe-t-il une arme efficace contre les bombes atomiques ?
– Une seule, répondit Nishina, abattre tout avion qui se montre au-dessus du Japon…
Le général Kawabe ne posa pas d’autres questions. Il comprenait que les Américains pouvaient bombarder impunément les villes japonaises et que le sort du pays dépendait uniquement du nombre de bombes atomiques qu’ils avaient produites et qu’ils produiraient dans un proche avenir.
Vue aérienne de Nagasaki, avant et après l'explosion
Vues aérienne de Nagasaki après l'explosion