Bayonne est la capitale du Pays basque français. On associe la ville à son jambon, le jambon de Bayonne. Dans un tout autre style de boucherie, c’est aussi à Bayonne qu’est née la baïonnette. Cette arme blanche montée sur un fusil fait des ravages sur les champs de bataille jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Nous voici dans le sud-ouest de la France, à Bayonne. Entre la peste, les guerres de religion et la prise de la ville par Charles Quint, Bayonne a vécu quelques heures mouvementées. Au XVIe siècle, l’arme la plus courante est le mousquet. C’est une arme à feu assez rudimentaire que l’on charge avec de la poudre noire. On raconte qu’un jour, les paysans de Bayonne, alors qu’ils livrent un combat pour on ne sait trop quoi, tombent à court de poudre noire et de projectiles. Leur mousquet devient donc inutile. Que faire ? Fuir ? Se rendre ? Se battre à mains nues ? C’est alors que l’un des paysans a l’idée d’utiliser le couteau qu’il porte toujours en poche. Il plante le manche du couteau dans le canon de son mousquet et c’est ainsi, dit-on, que naît la baïonnette.
En réalité, il est possible et même probable que d’autres aient eu l’idée auparavant. À commencer par les mousquetaires, ces militaires armés d’un mousquet. Mais c’est l’épisode de Bayonne qui va imposer l’appellation ‘baïonnette’. En 1655, le médecin personnel de Louis XIV note : « on fait à Bayonne des dagues qu’on appelle des bayonnettes ». À la même époque, Furetière fait entrer le terme dans son dictionnaire, précisant lui aussi qu’il « est venu originairement de Bayonne ».
Au départ, la baïonnette n’est qu’un système D pour transformer en arme blanche une arme à feu, à défaut de pouvoir faire mieux. Mais ce système D ne tarde pas à intéresser l’armée. En effet, le mousquet a ses limites… Il ne permet guère plus d’un tir par minute – le temps de recharger. Et une minute, c’est très long lorsque l’ennemi est juste en face ! Si les mousquets sont équipés de baïonnette, cela va permettre soit de tenir l’ennemi à distance respectable soit, s’il s’approche, de l’embrocher.
L’effroyable boucherie de Rosalie
L’armée française équipe de baïonnettes l’infanterie, puis la cavalerie. La baïonnette se généralise sous l’Empire, dans l’armée napoléonienne. Et ce que l’on considérait à l’origine comme une arme française finit par équiper toutes les armées européennes. La baïonnette a pour avantage non négligeable d’économiser les munitions. Alors, pour inciter les soldats à l’utiliser, on la présente comme l’arme des braves. Le roi de Suède exhorte ainsi ses troupes : « Mes amis, joignez l’ennemi, ne tirez point; c’est aux poltrons à le faire ».
La baïonnette est encore très présente lors de la Première Guerre mondiale. La plupart des combats sont, il est vrai, des combats de tranchées. Mais lorsque les hommes se retrouvent face à face, les baïonnettes sont assassines. En ce temps-là, l’armée allemande utilise encore des baïonnettes à dents de scie, interdites depuis. C’est d’ailleurs par l’un de ces engins que Charles de Gaulle, alors jeune capitaine, est grièvement blessé du côté de Verdun. La baïonnette occasionne une effroyable boucherie, mais les poilus ont pour elle une certaine tendresse… Et ils la surnomment Rosalie. Un chansonnier de l’époque, Théodore Botrel, à qui l’on doit notamment La Paimpolaise, lui consacre même une chanson : « Rosalie est si jolie Que les galants d’Rosalie Sont au moins deux, trois millions Au milieu de la bataille Elle pique et perce et taille Et faut voir la débandade Des Bavarois et des Saxons ».
Deux siècles plus tôt, Voltaire avait déjà consacré à la baïonnette quelques vers. Il la disait « digne fruit de l’enfer », inventée par « le démon de la guerre », rassemblant « ce qu’ont de plus terrible et la flamme et le fer ».