Si la presse à scandales n’eut rien à voir dans sa chute, Buster Keaton fut une autre grande star du cinéma muet à quitter le devant de la scène sans gloire. Keaton avait une réputation de grand séducteur, mais pour qualifier sa femme, l’actrice Natalie Talmadge, l’adjectif frigide semble être le plus approprié. Après la naissance de leur deuxième enfant en 1924, celle-ci, qui était d’ailleurs restée vierge jusqu’au mariage, avait en effet exclu son mari de leur chambre à coucher, décrétant que le sexe ne l’intéressait plus. Tout avait pourtant commencé comme dans un conte de fées entre eux. Keaton avait fait la cour à Talmadge pendant quelque temps, mais la vie les avait éloignés. Eprise, la jeune femme avait envoyé une lettre d’amour à l’acteur deux ans après leur dernière rencontre et Buster Keaton, visiblement touché, la demanda immédiatement en mariage. Quelques années plus tard, il devait la menacer d’inviter d’autres jeunes filles chez eux, et il ne se gêna pas pour le faire. Le divorce intervint en 1932 quand le comédien laissa une de ses maîtresses se servir dans l’immense garde-robe de sa femme. L’épouse lésée fit valoir ses droits et obtint une part considérable de la fortune de Keaton, tout en empêchant ses enfants de voir leur père jusqu’à leur majorité.
C’était déjà le début de la fin pour l’acteur, car à côté de ses déboires amoureux qui avaient redoublé sa consommation d’alcool, sa carrière commençait également à battre de l’aile. Au début des années 1920, il avait connu ses plus grands succès en travaillant indépendamment, sans avoir de comptes à régler avec un studio. Mais avec Le Mécano de la General, comédie sur la guerre de Sécession aujourd’hui considérée comme son chef-d’oeuvre, United Artists, le distributeur de Keaton, fut tellement déçu par les performances du long-métrage au box-office qu’il exigea une meilleure supervision des budgets de l’acteur.
Les Américains, peu enthousiastes à l’idée d’un film drôle à propos d’un sujet si sensible, avaient offert un accueil plus que mitigé au projet de la star. Il fallut moins de deux ans à Buster Keaton, qui n’avait rien d’un homme d’affaires, pour renoncer à son indépendance et signer un contrat avec la MGM, un choix qu’il qualifia plus tard de pire décision de sa vie. Il avait perdu sa liberté artistique des années 1920 et surtout, l’arrivée du cinéma parlant l’avait relégué au second plan. En faillite à cause de son divorce et plongé dans l’alcoolisme, Buster Keaton continua à travailler sans relâche toute sa vie et parvint à sortir la tête de l’eau au début des années 1940, mais il ne retrouva jamais la popularité de ses débuts.