Les astronomes avaient bien progressé, au XVIIIe siècle, depuis l’héliocentrisme de Nicolas Copernic.
Ils avaient progressé, mais avaient de plus en plus de soucis car, avec l’amélioration des techniques instrumentales, ils observaient de plus en plus et de mieux en mieux. En outre, les progrès des mathématiques leur permettaient de faire des calculs de plus en plus rigoureux. Le rêve de Kepler, de décrire l’Univers, n’était pas oublié, loin de là ! Mais on savait qu’il ne fallait pas se laisser emporter par de naïves considérations sur l’harmonie des sphères et des polyèdres.
Au fait, que savait-on, disons en 1772 ?
On savait que le Soleil est une étoile comme les autres, mais enfin c’est notre étoile et, donc, on l’utilisait comme centre de référence. Par rapport au Soleil, les planètes sont situées à des distances de plus en plus grandes, de Mercure à Saturne, et les astronomes utilisaient souvent la distance la plus grande comme unité de longueur. Si cette distance vaut 100, on a les distances suivantes :
Mercure 4 Vénus 7 Terre 10 Mars 16 Jupiter 52 Saturne 100
Signalons qu’aujourd’hui les astronomes utilisent plus souvent la distance entre la Terre et le Soleil comme unité, qu’ils appellent l’unité astronomique, et qui vaut environ 150 millions de kilomètres. Dans ce cas, les valeurs précédentes deviennent : 0,4 ; 0,7 ; 1 ; 1,6 ; 5,2 et 10.
En Allemagne, un jeune astronome, Johann E. Bode, qui deviendra le directeur de l’Observatoire de Berlin, examine ces six nombres : 4, 7, 10, 16, 52, 100. Et ça lui saute aux yeux ! Ces nombres ne sont pas quelconques !
Évidemment que l’on a :
Mercure 4 Vénus 7 Terre 10 Mars 16 Jupiter 52 Saturne 100
= 4 + 3 × 0 = 4 + 3 × 1 = 4 + 3 × 2 = 4 + 3 × 4
= 4 + 3 × 16 = 4 + 3 × 32
Ça, c’est vraiment intéressant ! Chaque distance peut être calculée d’une manière simple : 4 plus 3 fois un nombre, celui-ci étant pris dans une progression : 0, 1, 2, 4, 8, 16, 32. Avec cependant une difficulté. Pour la valeur 8, c’est-à-dire entre Mars et Jupiter, on ne connaît pas de planète ! La réponse de Bode est immédiate. Il doit y avoir, entre Mars et Jupiter, une planète qui n’a pas encore été observée et dont la distance au Soleil correspond à 4 + 3 × 8…
Johann Bode publie sa loi, et il impressionne fortement tous ses collègues. On va scruter le ciel nocturne pour trouver la planète encore inconnue.
Voilà que, le 13 mars 1781, William Herschel, un astronome anglais d’origine allemande, découvre une nouvelle planète, qu’il baptise Uranus. Ce n’est pas l’astre manquant car son orbite est plus lointaine encore du Soleil que celle de Saturne. Dès que les observations et les calculs permettent de déterminer la distance de cette nouvelle planète au Soleil, on s’empresse évidemment de vérifier la loi de Bode. Avec 100 pour Soleil-Saturne, on constate que la distance d’Uranus vaut 192. La loi de Bode donne… 198, ce qui est une assez bonne approximation !
Le 1er janvier 1801, l’Italien Giuseppe Piazzi, à Palerme, découvre un astre encore inconnu qui gravite entre Mars et Jupiter. Il l’appelle Cérès. Mais sa masse est beaucoup trop petite pour que l’on puisse parler de planète. On va d’ailleurs, rapidement, découvrir d’autres corps célestes de petite taille entre Mars et Jupiter, que l’on appellera les astéroïdes : Pallas par l’Allemand Wilhelm Olbers, en 1802 ; Junon par l’Allemand Karl Harding, en 1804 ; Vesta par Wilhelm Olbers, en 1807… Aujourd’hui, on en connaît des milliers…
La découverte des astéroïdes est un mauvais coup pour la loi de Bode mais, après tout, l’exception confirme la règle ! De nombreux astronomes conservent leur confiance dans la loi. N’est-elle pas en bon accord avec la position d’Uranus, une planète dont Bode ne soupçonnait pas l’existence ?
Le 23 septembre 1846, un nouveau corps céleste important est découvert dans le système solaire, à l’Observatoire de Berlin. Ce n’est pas un astéroïde, c’est une vraie planète. Son découvreur, Johann Galle, l’appelle Neptune.
Entre parenthèses, remarquons bien que la découverte d’Uranus et de Neptune, c’est-à-dire de la 7e et de la 8e planète, nous montre, si c’était nécessaire, que l’idée d’une harmonie du monde basée sur les cinq polyèdres est tout à fait sans fondement.
On observe donc Neptune, on calcule sa position par rapport au Soleil. La distance est considérable : 301 si l’on prend 100 pour Saturne. Voyons ce que donne la loi de Bode : 4 + 3 × 128 = 388. Cette fois, l’écart est vraiment trop grand.
La loi de Bode est abandonnée.
Johann E. Bode s’est trompé !
Quelques relations remarquables entre des nombres peuvent parfois cacher quelque chose. Parfois, elles ne signifient… rien…