Richard Nixon fit de son mieux pour mettre un terme à la guerre du Vietnam (bien qu’il ne s’y prît pas aussi tôt qu’il aurait pu), pour forcer la déségrégation des États du Sud et pour détendre la Guerre froide grâce au dialogue avec la Chine. Mieux vaut garder ces succès en tête lorsque l’on parle du seul président américain à avoir été poussé à la démission. D’autres dirigeants auraient peut-être dû quitter leur poste, mais s’il est tentant de penser que le plus grand crime de Richard Nixon fut de se faire attraper, la liste des accusations à son égard était longue et haute en couleurs.
Les fameux enregistrements de la Maison Blanche, plus de 2000 heures d’envolées grandiloquentes et rageuses censurées avec soin, dépeignaient Nixon comme un malpropre grossier et obscène. Mais les gros mots étaient loin d’être le péché mortel du 37e président des États-Unis. « Le sort de ces putains de civils est si important pour toi ! », lança-t-il avec mépris à Henry Kissinger, le secrétaire d’État avec qui il avait planifié le bombardement du Cambodge (pays pourtant neutre à l’époque) en 1969-70. Cette campagne militaire coûta la vie à plus d’un million d’innocents, mais aucun responsable ne fut poursuivi par la justice. Plus tard, en 1973, on soupçonne que Richard Nixon a ordonné à la CIA de soutenir un coup d’État contre le président de gauche du Chili, Salvador Allende, après avoir semé le chaos dans ce pays pour mettre « l’économie aux abois ». Des milliers de personnes furent tuées tandis que bien d’autres furent emprisonnées et torturées quand le dictateur militaire Pinochet accéda au pouvoir. Nixon s’attaquait avec rage et amertume tant à ceux qu’il percevait comme des ennemis autour de lui qu’à ses véritables ennemis à l’étranger.
Richard Nixon et Henry Kissinger
Et pourtant, il restait toujours calculateur, il ne perdait jamais (ou presque) le contrôle. « Tricky Dicky » (qui pourrait être traduit par « Dicky le roublard ») s’était vu affublé de ce surnom en 1950 quand il entra au Sénat grâce à ses mensonges et ses combines diffamatoires, dont une campagne féroce contre Helen Gahagan Douglas qu’il accusait de communiste. Très vite, il se retrouva lui-même dans l’embarras lorsqu’il reçut une caisse noire de 18 000 dollars de la part d’hommes d’affaires dont il était proche. Dans l’incapacité de se défendre contre cette accusation, il répondit à une critique que personne ne lui avait faite : avoir choisi de garder Checkers, un épagneul offert à sa fille par un de ses partisans. Pris par les sentiments, son électorat ne se soucia pas d’être mené en bateau par son plaidoyer en faveur du chiot de sa petite fille. Nixon s’en tira à bon compte.
Une nuit à Hong Kong
Marianna Liu servait des cocktails au Hilton de Hong Kong quand elle rencontra Richard Nixon en 1966, raconta-t-elle. Elle avait ensuite pris un verre avec Charles « Bebe » Rebozo, le vice-président de l’époque et ami banquier de Nixon dans la chambre de ce dernier. J. Edgar Hoover avait faisait surveiller la pièce et il parla d’une relation intime niée catégoriquement par les deux parties. Hoover avait un esprit pervers et prenait un malin plaisir à mettre les gens mal à l’aise, il est donc possible qu’il cherchait simplement à semer la zizanie. Il existait en revanche des rapports avançant que la serveuse travaillait peut-être pour les communistes. En effet, le père de Marianna était officier dans l’Armée populaire de libération, même si elle était venue vivre à Hong Kong (qui était alors sous administration britannique) avec un oncle alors qu’elle était enfant.
Trois ans après sa rencontre avec Nixon, elle vint s’installer aux États-Unis. L’offre d’emploi qui lui permit d’immigrer était un poste de maitresse de maison à Whittier, en Californie, la ville d’origine de Richard Nixon. Simple coïncidence, d’après elle ; et Nixon rejeta avec colère les allégations disant qu’ils continuaient à se fréquenter pendant son séjour à la Maison Blanche.
Co-conspirateurs
En vérité, les enregistrements de la Maison Blanche reflétaient le nouveau style de gouvernance assez sinistre développé par Nixon, Kissinger, les chefs de cabinet Bob Haldeman et Alexander Haig, ainsi que par l’assistant aux affaires intérieures John Ehrlichmann. Le congrès n’était consulté pour aucune affaire importante. Ces hommes ne se réunissaient pas dans le bureau ovale ni même à la Maison Blanche, mais plutôt dans un bâtiment adjacent sur Pennsylvannia Avenue, dans l’anonymat de la « chambre 175 ». La confidentialité était une habitude, une obsession, même, pour Nixon. L’idée de passer par les voies conventionnelles devait lui sembler impensable. L’atmosphère des réunions avec son personnel avait plus en commun avec celle d’une organisation mafieuse que celle d’un cabinet de ministres. D’une certaine façon, bien entendu, c’était bel et bien le cas.
Un soir, en 1972, une bande de cinq cambrioleurs se fit arrêter au complexe de bureaux Watergate à Washington. Les hommes avaient tenté de pénétrer dans le quartier général du Parti démocrate et ils n’étaient pas seulement équipés d’outils de cambrioleurs, mais aussi de matériel d’espionnage. Trois d’entre eux étaient Cubains, des vétérans de la baie des Cochons ; un autre avait entraîné des immigrés cubains pour le compte de la CIA ; le cinquième était membre d’un organe travaillant à la réélection du président. Malgré les preuves montrant que ce même organe avait versé de l’argent au Parti républicain, le Parti conservateur était parvenu à nier l’affaire de façon éhontée, allant jusqu’à accuser les démocrates de coups fourrés.
Cependant, Bob Woodward et Carl Bernstein, deux journalistes du Washington Post, se montrèrent plus persistants et finirent par découvrir l’existence d’une bande de « plombiers » : après tout, ils étaient eux aussi chargés de réparer des fuites. Ils étaient toutefois allés beaucoup plus loin. Suivant les ordres d’assistants du président tels que E. Howard Hunt et Gordon Libby, ils avaient mis sur écoute des défenseurs des droits de l’homme, des droits des femmes ou encore des pacifistes et fabriquaient des documents falsifiés pour diffamer d’éminents démocrates, dont feu John F. Kennedy. Ils comptaient sur des immigrés cubains dont l’allégeance de droite ne faisait aucun doute et qui avaient l’habitude de travailler dans la clandestinité.
Le linge sale de Nixon enfin exposé au grand jour, un comité sénatorial fut convoqué pour mener l’enquête. Le président n’eut d’autre choix que de coopérer. Haldeman, Ehrlichmann et le procureur général Richard Kleindienst furent tous contraints à démissionner. Le conseiller de la Maison Blanche John Dean négocia son propre marché avec les enquêteurs du Sénat et son témoignage impliqua Nixon dans le complot, mais même à ce moment, il manquait encore la preuve qui permettrait de le faire condamner. Après des mois de résistance farouche, le président finit par céder et il remit les enregistrements de la Maison Blanche. De longues sections avaient été effacées, sans qu’aucune justification à ce sujet ne se montre très convaincante. Néanmoins, une conversation cruciale y figurait toujours : on y entend Nixon tenter de faire en sorte que le FBI arrête son enquête sur les cambriolages du Watergate. Malgré ces preuves, le dirigeant continuait à s’accrocher bec et ongles à son poste et finalement, le 8 août 1974, alors qu’un processus visant à le destituer avait été mis en route, il annonça qu’il ferait « passer les intérêts des États-Unis en premier ». Ce n’est pas pour autant qu’il admit sa culpabilité dans cette affaire.
Le comité sénatorial du Watergate dut siéger pendant plus d’un an à partir de mai 1973. Nixon et ses acolytes contestaient le moindre dossier, le moindre mémo, le moindre enregistrement, le moindre mot de chaque témoignage.