Le 9 février 1945, à quelques kilomètres de l’île Fedje, près de la Norvège, s’est déroulé un duel très rare, voire unique, dans l’histoire militaire navale.
Retour en arrière sur ce duel.
Le 5 décembre 1944, le U-864 sous-marin de classe IX, commandé par le korvettenkapitän Ralf-Reimar Wolfram quitte la base navale de Kiel, en Allemagne, dans le cadre de l’opération Caesar. À cette période, il est impératif, pour les Allemands, de changer le cours de la guerre. Et c’est bien là l’objectif de cette opération puisque le but de la mission de l’U-864 est de transporter, secrètement, des scientifiques allemands et japonais, mais surtout des « Vergeltungswaffen » (armes de représailles telles le V2) notamment les plans et certaines pièces du Messerschmitt Me 262 Schwalbe (hirondelle) : le premier avion à réaction du monde.
Cette technologie devait permettre au japonais d’inverser la tendance dans le pacifique et par voie de conséquence, forcer les États-Unis à dégarnir le front de l’ouest. Outre des personnes et des plans, le U-864 transporte également une très grande quantité de mercure (environ 64 tonnes) ; le fulminate de mercure est un composant indispensable à l’armement de guerre en raison de ses propriétés hautement détonantes.
C’est donc les cales remplies que le U-864 prit la direction de Penang en Malaisie alors totalement occupée par les troupes impériales japonaises. La première étape du trajet fut de quitter la Batlique pour la mer du Nord. Hélas pour le submersible, celui-ci du déjà faire halte à Bergen, en Norvège, plus précisément au Bunker Bruno (bunker à sous-marin), en raison d’un problème avec le snortchel. Cette perte de temps contribue grandement à sceller le sort de l’U-864. En effet, l’avarie n’est pas catastrophique, mais les réparations prendront du temps et les alliés, de leur côté, ont connaissance de l’opération Caesar grâce à l’équipe de Bletchey Park et leurs travaux sur le code Enigma. Le 12 janvier 1945, le Bunker Bruno est attaqué par la 9e et 617e escouades du Bomber Command de la RAF. Au même moment, le sous-marin H.M.S Venturer de classe V, commandé par le lieutenant Jimmy Launders et basé à Lerwick, dans les Shetlands écossais, est envoyé d’urgence et reçoit l’ordre de patrouiller dans la zone de l’île Fedje. C’est sa onzième patrouille.
Après réparation, le U-864 reprit la route et quitta Bergen en passant par le chenal situé entre les îles Sotra et Askoy. Le 8 février 1945, après avoir passé l’île Fedje de quelques kilomètres, le U-864 rencontre des problèmes moteurs et annonce par radio qu’il rebrousse chemin en direction du Bunker Bruno. L’amirauté allemande reçoit l’information et promet qu’une escorte sera disponible le 10 février à hauteur du phare de Helissoy, au sud de l’île Fedje. Le 9 février 1945, le bruit tonitruant des moteurs défectueux du U-864 n’échappe pas aux hydrophones du Venturer et le commandant anglais décide, à ce moment, de ne pas dévoiler sa position en évitant d’activer ce « ping » si caractéristique de l’ASDIC (ancien nom du SONAR). Le lieutenant, embusqué à profondeur périscopique, continue de suivre, au bruit, sa cible et parvient même à établir un contact visuel. En effet, il aperçoit le périscope du U-864 ! Commence alors un moment de grande tension pour l’équipage du Venturer : le sous-marin britannique ne dispose pas d’une grande puissance d’attaque, il ne dispose que de 8 torpilles alors que le U-864 en a 27. En cas d’échec de l’engagement, le Venturer se retrouverait rapidement dans l’incapacité de réagir. Pour réussir, le lieutenant Launders attend patiemment que le U-864 fasse surface. Cet instant ne viendra pas, le U-864 repère finalement le Venturer. Pour le commandant du U-864, le temps presse : il prend la décision de ne pas attendre l’escorte promise et entame des manœuvres d’esquives en louvoyant de gauche à droite. Même avec des problèmes moteurs, le U-864 peut encore s’échapper et le lieutenant Launders le sait. Au bout de 3 heures de traque et après avoir étudié les trajectoires prises par le U-864, Launders prend la décision de faire feu.
Ainsi, à 12 h 12, la première torpille est lancée, les 3 autres sont aussi chassées à 17 secondes d’intervalle chacune. Au même moment, Launders donne l’ordre d’incliner les barres de plongée afin de prendre de la profondeur et éviter une éventuelle riposte du U-864. Au sein de l’équipage, on compte les secondes.
Selon les calculs de Launders, les torpilles devaient mettre 2 minutes avant d’atteindre la cible qui se situait à 1,8 kilomètre. Au bout de 2 minutes et 12 secondes, l’explosion de la quatrième torpille retentit. Le sous-marin H.M.S Venturer envoie par le fond le sous-marin U-864. C’est la première et unique fois qu’un assaillant, en immersion, coule un autre bâtiment également en plongée.
Soulagement pour l’équipage du Venturer, fin tragique pour l’équipage du U-864. Le lieutenant Launders remonte à profondeur périscopique. Là, il aperçoit des nappes d’huiles ainsi que des débris de l’épave : la destruction du U-864 est notée dans le journal de bord.
Postérité
L’épave du U-864 ne sera retrouvée qu’en 2003, après qu’un pêcheur eut retrouvé des pièces dans ses filets. Le sous-marin allemand repose à 150 mètres de profondeur et à 3,5 kilomètres de l’île Fedje. La carcasse, coupée en deux, laisse apparaître les barres de plongée fortement inclinées laissant deviner la manœuvre de plongée d’urgence suite à la détection des torpilles alliées. La partie centrale, comprenant le kiosque, n’a pas été retrouvée. L’épave pose un sérieux problème environnemental au gouvernement norvégien. Le mercure contenu dans les cales était conditionné dans des conteneurs métalliques. Des expertises, menées en 2006 et en 2007 ont démontrées que les contenants, en acier, avaient, à l’origine, une épaisseur de 5 millimètres, mais qu’avec le temps et la corrosion, il ne restait plus que 1 millimètre à certains endroits des conteneurs. Compte tenu des taux de mercure anormalement élevés, la pêche fut interdite sur plus de 30 000 m². Afin d’endiguer la contamination du biotope, le gouvernement commanda des études afin de déterminer quelles seraient les solutions appropriées. La première idée fut de renflouer le sous-marin, c’est-à-dire de le remonter à la surface. La deuxième fut de créer un gigantesque sarcophage autour de l’épave, permettant ainsi de contenir la pollution. Initialement, le gouvernement norvégien fit appel à la société néerlandaise Mammoet, célèbre pour avoir grandement contribué au renflouage du Koursk K-141, et requerra des études de faisabilité. Au fil du temps, à la suite d’études complémentaires, mais aussi de longs débats politiques, c’est la deuxième idée qui fût retenue. En automne 2015, le marché public fut attribué à la société néerlandaise Van Oord.
Ainsi, depuis juin 2016, le U-864 et les os des 73 membres d’équipage reposent sous 360 mille tonnes de sable, de béton et de roche.
Auteur : Stéphane Deruijtter