Alexis Commène tenait à employer les croisés pour récupérer ses villes, puis à s'en débarrasser aussi vite, par crainte de leur convoitise. Il leur fournit tout le nécessaire et un petit contingent pour passer en Asie. En mai-juin 1097, les Francs attaquèrent Nicée avec succès, mais les Turcs se rendirent aux Grecs, frustrant ainsi les croisés des pillages escomptés.
Après cette désillusion, ils poursuivirent leur marche vers Jérusalem : elle durera deux ans ! Elle devint un enfer en raison de la chaleur insupportable sur les chemins d'Asie Mineure brûlés par le soleil, qui accablait particulièrement les chevaliers engoncés dans leurs lourdes cottes de mailles. Foucher de Chartres raconte que « les hommes les plus robustes se couchaient sur le sable, fouillaient la surface brûlante pour trouver en dessous le sol frais et y coller leur bouche desséchée. Les animaux eux-mêmes ne résistaient pas ». Nombre de chevaux moururent de soif et d'épuisement. On vit des chevaliers monter des bœufs ; des moutons, des chèvres, des porcs ou des chiens servaient de bêtes de somme. Dans ces conditions, les Turcs, montés sur des chevaux légers et rapides, harcelaient aisément l'armée franque. L'arrière-garde de celle-ci était composée de pauvres. Assoiffés et affamés, armés seulement de bâtons, ils massacraient les musulmans et se rassasiaient de leurs cadavres.
En février 1098, quand les Byzantins eurent complètement cessé d'approvisionner l'armée, la famine s'en empara à son tour. Les hommes mangeaient des herbes de toutes sortes, qu'ils ne pouvaient même pas cuire, faute de bois. Des profiteurs de guerre syriens ou arméniens se rendaient dans les camps pour vendre quelque boisson ou denrée à des prix exorbitants.
En décembre, les croisés prirent Ma'arrat An Noman, en Syrie. Selon la chronique d’Ibn al-Athir, les Francs, qui réussirent à pénétrer dans la place au moyen d'échelles, tuèrent pendant trois jours plus de 100 000 personnes et firent un grand nombre de prisonniers. Cette fois, les croisés eux-mêmes se livrèrent à des actes de cannibalisme, comme l'atteste un témoin anonyme franc, évoquant la journée du 11 : « Il ne restait pas un coin de la cité qui ne fut vide ; il y avait tant de cadavres qu'il était à peine possible de circuler dans les rues. Tous les soldats souffraient, ils étaient morts de faim. Ils sciaient les cadavres et faisaient cuire leur chair et leurs boyaux. » Raymond d'Aguilers ajoute que « ce spectacle jeta l'épouvante chez beaucoup de gens, tant de notre race que celle des étrangers ». Selon Raoul de Caen, « les nôtres faisaient bouillir des païens adultes dans des marmites ». Selon Albert d'Aix, « les nôtres ne répugnaient pas à manger non seulement des Turcs et les Sarrasins, mais aussi des chiens ». Selon d'autres encore, des enfants étaient embrochés et dévorés grillés. Dans une lettre officielle adressée au pape, les chefs francs, embarrassés, se contentèrent de rapporter les faits avec sobriété : « Une famine terrible assaillit l'armée à Ma'arat et la mit dans la cruelle nécessité de se nourrir des cadavres des Sarrasins. » Dans tout le monde musulman, ces atrocités amenèrent plusieurs villes à se rendre sans combattre à l’approche des Francs.
Souvent, l'eau faisait encore plus cruellement défaut, comme l'atteste notamment ce témoin durant le siège de Jérusalem : « Les Sarrasins infectaient les fontaines et les sources. Nous cousions des peaux de bœufs et de buffles dans lesquelles nous apportions de l’eau pendant l’espace de six milles. » Il fallait payer cher une seule gorgée d'une eau boueuse « puisée dans les marais puants et les antiques citernes », pleine de sangsues, « espèces de vers qui glissent dans les mains ».
Les désordres qu'engendrait la multitude obligèrent les chefs à prendre des mesures disciplinaires, par exemple : « On renvoya de l'armée toutes les femmes, afin que nos gens corrompus par les souillures de la débauche n'attirassent sur nous la colère du Seigneur. Ces femmes alors cherchèrent un abri dans les châteaux d'alentour et s'y établirent. »