À travers sa vitrine de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin, l’objet intrigue, déroute et déconcerte. Cette relique de 4.12 mètres sur 1.13 tissée à l’aide de fibres de lin porte-t-elle réellement l’empreinte du Christ à l’heure de ses derniers instants ? Pour certains, tout semble l’indiquer : les traces de sang retrouvées sur le tissu et correspondant exactement à l’emplacement des blessures stipulées dans l’évangile, le visage et les traits si clairement imprimés du défunt, l’ancienneté apparente de l’artéfact…
Toutefois, nombreux sont les scientifiques, historiens et archéologues à s’être penchés sur cette découverte prétendument sacrée. Leur verdict est on ne peut plus clair : le suaire est un faux, une escroquerie millénaire qui ne manqua nullement de profiter à certains.
Comment, donc, faire la part des choses ? Entre scepticisme excessif et croyance aveugle, où placer la frontière entre l’imaginaire et le réel ?
C’est au Moyen Âge, plus particulièrement à la fin de XIVe siècle, qu’est mentionné pour la première fois le prétendu linceul du Christ. En effet, c’est dans la ville de Lirey, en Champagne que se retrouve exposé l’objet sacré pour la première fois devant les yeux de nombreux fidèles qui croient alors y voir les vestiges d’une époque biblique. La relique n’est pourtant pas particulièrement loquace ; de fait, on y observe seulement à cette époque quelques traces de sang, certaines zones obscurcies et beaucoup de suppositions. En apparence, il ne s’agit là que d’un vulgaire morceau de lin souillé par le passage du temps.
Or, la période historique étant particulièrement favorable à la croyance religieuse, de nombreux dévots et curieux commencent à se rendre à la collégiale de Lirey afin de pouvoir contempler le linceul qui aurait accueilli le corps meurtri du Messie. Seulement, loin de se contenter d’alimenter l’imagerie catholique, l’attraction devient rapidement une source de revenus indéniable pour les locaux qui voient déferler dans leur région une masse de pèlerins bien généreux.
Cette situation finit par susciter la perplexité de certains prélats qui n’y voient qu’un fin stratagème visant à délester les innocents voyageurs de leurs maigres deniers. Ainsi, le chanoine Pierre d’Arcis, reprenant les résultats de son prédécesseur, Henri de Poitiers, adresse une lettre au Pape Clément VII. Il y mentionne la nature artificielle de l’objet et indique même qu’il se serait entretenu personnellement avec son artisan. La réponse ne se fait pas attendre : le Pape prononce une bulle qui restreint considérablement les ostensions du linceul en le qualifiant de « représentation » du Christ plutôt que d’authentique vestige biblique. Suite à cette décision, la relique entame alors une tournée des différents monastères avant de terminer à la cathédrale Saint-Jean-Baptiste, à Turin, où elle se trouve toujours actuellement.
Toutefois, si les propos de Pierre d’Arcis semblent, à première vue, convaincants, il convient de ne pas en oublier le contexte : un conflit d’intérêts de nature pécuniaire entre la Cathédrale de Troyes et la collégiale de Lirey. Des affirmations qui peuvent, donc, être remises en question.
Pendant plusieurs siècles, la relique sombrera peu à peu dans l’oubli jusqu’à ce que, en 1898, un photographe du nom de Secondo Pia prenne les premiers clichés du suaire et découvre avec stupéfaction qu’en cours de développement, le visage du Christ lui apparaît clairement en négatif. L’objet sacré connaît alors un soudain regain d’intérêt et soulève la perplexité des scientifiques et historiens du monde entier qui commencent à se pencher sur l’authenticité de sa nature.
En 1978, la première analyse du linceul est entreprise par une équipe de scientifiques du Shroud of Turin Research Project qui affirment, après 3 années de travail, que la relique ne peut avoir servi à embaumer le Christ.
Toutefois, c’est en 1988 que prendra véritablement fin le mystère. En effet, le Vatican autorise alors officiellement une équipe de chercheurs à réaliser une datation au carbone 14 à l’aide d’un bout de tissu du suaire. Pour assurer un résultat aussi objectif que possible, l’échantillon est envoyé dans trois laboratoires neutres (Arizona, Oxford et Zurich) où il sera analysé avec 3 autres échantillons de contrôle. Le résultat est implacable : il en ressort avec 95% de certitude que la relique appartient à une période s’étalant entre 1260 et 1390 PCN.
Au vu de ces conclusions, le Pape Jean-Paul II reconnaît la validité de l’étude, mais déclare toutefois que davantage de recherches sont nécessaires pour juger de l’origine de l’objet.
Ses ouailles, en revanche, ne tarderont pas à remettre en question le verdict des scientifiques. Ainsi, toutes sortes de théories sont mises en place pour tenter de décrédibiliser le résultat avancé : un séisme dans la zone du Golgotha aurait provoqué un flux de neutrons qui aurait alors altéré la quantité de carbone 14 dans les fibres de lin et aurait permis d’imprimer l’image du Christ dans le linceul ; les extraterrestres se seraient emparés de l’objet sacré et en auraient falsifié l’origine en manipulant sa structure ; les laboratoires responsables de l’étude auraient volontairement ou involontairement faussé les résultats ; les francs-maçons se seraient mêlés à l’enquête et auraient fait en sorte que la vérité ne soit jamais révélée ; …
Plus récemment, en 2018, une étude réalisée par deux chercheurs, Dr Matteo Borrini et Luigi Garlaschelli, a conclu que les taches de sang présentes sur le tissu ne pouvaient provenir d’un corps inerte couché sur le dos. Au contraire, ces deux experts affirment que ces traces auraient été, en réalité, volontairement incrustées dans le lin.
Quoi qu’il en soit, le mystère que représentait autrefois le Saint-Suaire semble peu à peu s’éclaircir et révéler avec lui les ficelles d’une escroquerie longue de près de mille ans. Même Saint-Thomas s’y serait trompé !
Auteur : Maxime Wève