Les oeuvres d’art réfugiées à Chambord

Entre 1939 et 1945, le château de Chambord eut un rôle peu connu : il servit de refuge pour œuvres d’art. Dès 1933, les musées français avaient établi les premières listes d’évacuation en cas d’urgence, et les conservateurs parisiens s’étaient mis en quête de monuments éloignés des villes et assez vastes pour abriter les plus grands trésors. Le chef d’orchestre de ce plan était Jacques Jaujard, le sous-directeur des Musées nationaux. Le château de Chambord fut désigné comme dépôt principal et gare d’aiguillage vers d’autres refuges, parfois privés : Brissac, Cheverny, Courtalain, Valençay… En 1938, devant l’imminence d’une guerre, les premières caisses sont acheminées en urgence vers Chambord. Une liste de cinquante tableaux qui devaient quitter Paris à la moindre alerte avait été établie. Tous portaient sur la droite de leur cadre deux points rouges, sauf la Joconde, qui en avait trois. Pour le voyage, Mona Lisa était nichée dans un capiton de velours, lui-même posé dans un écrin de bois précieux, encasté dans une double caisse en peuplier. Quelques semaines après leur départ, les accords de Munich ayant rassuré la France, les toiles reviennent à Paris. Pierre Schommer, le chef du dépôt de Chambord, qui avait accompagné les tableaux pendant ce premier séjour, est un peu inquiet. Il trouve le château trop grand, trop célèbre et craint qu’il ne soit une cible de choix pour les attaques aériennes. L’intérieur n’offre pas de meilleures conditions de sécurité. Pourtant, lorsque le 28 août 1939, à 6 heures du matin, le déménagement de tableaux le plus important de l’Histoire commence, c’est bien à Chambord que sont expédiées la plupart des œuvres. En quatre mois, 5 446 caisses contenant les collections du Louvre, d’autres musées parisiens et de propriétaires privés quittent la capitale dans 199 camions répartis en 51 convois, vers onze abbayes et châteaux de l’ouest et du centre de la France.

Grâce à des employés de La Samaritaine et du BHV, plus de la moitié des caisses sont parties dès le 2 septembre. On se préoccupe ensuite d’éloigner de Paris les œuvres monumentales comme la Victoire de Samothrace ou la Vénus de Milo, qui avaient été simplement descendues dans les caves les premiers jours. Le 1er septembre, Lucie Mazauric, archiviste du Louvre, est chargée d’accompagner le Radeau de la Méduse jusqu’à Chambord. Impossible de rouler la toile : du bitume entre dans sa composition et cela entraînerait des craquelures. Monté sur des châssis, le tableau est donc fixé sur une remorque à décors de la Comédie-Française. Parvenu à Versailles, le convoi, trop haut, heurte les fils du tramway. La ville royale est plongée dans l’obscurité ! Heureusement, le Radeau de la Méduse trouve asile dans l’Orangerie. L’exode des grandes toiles reprend deux semaines plus tard, sur un trajet étudié pour éviter le réseau électrique, avec des techniciens capables de soulever les fils au besoin. À Chambord, dont la visite a été interdite dès la déclaration de guerre, la vie s’organise, comme dans les autres dépôts. Des propriétaires privés, des bibliothèques et des musées de province y ont également envoyé leurs trésors. Sous la direction de Pierre Schommer, les conservateurs, qui ne quitteront pas les œuvres pendant toute la guerre, déballent les toiles les moins fragiles, examinent les autres régulièrement, pour vérifier que l’humidité des lieux ne les affecte pas, et qu’elles échappent à l’invasion des mites. Tout est fait pour protéger Chambord du feu et des bombardements. À l’été 1939, des tranchées sont creusées pour capturer l’eau de la rivière et deux motopompes sont installées. Même les gardiens, pour la plupart des combattants de 1914-1918, se livrent sans compter aux épuisants exercices de lutte contre l’incendie.

Au fur et à mesure de l’avancée des troupes allemandes, les œuvres les plus importantes sont transférées dans des lieux plus sûrs. En mai 1940, les trésors nationaux reprennent ainsi la route de l’exode, suivis pas les conservateurs. Le 14 novembre 1939, la Joconde est transportée à Louvigny dans l’Ouest et, après une brève halte à Chambord les 3 et 4 juin 1940, elle prend la route de l’abbaye de Loc-Dieu dans l’Aveyron où elle séjourne tout l’été. Cette propriété de la famille d’Ussel n’était pas prévue dans la liste initiale des dépôts, mais elle se trouvait sur la route du repli vers le Sud et son porche était assez large pour laisser passer les énormes caisses… Du 3 octobre 1940 au mois de mars 1943, Mona Lisa séjourne au musée Ingres de Montauban, puis, l’invasion allemande de la zone libre oblige ses gardiens à la remonter un peu plus au Nord, au château de Montal-en-Quercy, dans le Lot, où elle demeurera jusqu’à la fin de la guerre. Pendant ce temps-là, à Paris, d’autres veillent et se battent contre l’appétit d’art de l’occupant. Le 15 juillet 1940, Hitler décide qu’aucun objet ne doit être déplacé sans autorisation. Cela sauvera les collections nationales des convoitises. Jacques Jaujard s’appuie sur la bienveillance du comte de Metternich, qui dirige la Commission allemande de protection des œuvres, pour limiter les dégâts. Néanmoins, il ne peut empêcher le pillage des artothèques de particuliers.

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