Elisabeth Bàthory, une comtesse sanglante
Élisabeth Báthory, issue d’une famille illustre hongroise, épouse en mai 1575 Ferenc Nádasdy. Elle n’a pas quinze ans mais est déjà d’une beauté éblouissante : un visage blanc de marbre, des immenses yeux noirs aux longs cils. L’âge passant néanmoins, la demoiselle s’inquiète de vieillir et fait donc coudre des talismans sous sa longue robe de satin, pour conserver à jamais la jeunesse de son corps.
La dame profite d’une vie de faste, les époux possédant en effet dix-sept châteaux, des constructions massives en pierres grises. Ils choisissent pour résidence principale le château qui couronne un éperon des Carpates : le manoir de Čachtice. Au pied du roc, il y a également un petit village, où les Báthory détiennent également « le petit château ». C’est dans ces deux châteaux qu’ont lieu les crimes abominables dont nous allons parler...
Les tares de sa famille
Car Élisabeth souffre de tares héréditaires, que les dérives de sa famille hongroise lui ont octroyées : cruauté, folie, torture, épilepsie et sadisme. C’est dire s’il coule dans ses veines un sang vicié. De plus, la jeune femme est en proie à d’atroces migraines. Et le remède est des plus étranges : on lui applique sur le front un pigeon tout juste éventré, encore chaud.
Mais la comtesse trouve un soulagement plus rapide en mordant ses servantes et en mâchant leur chair. Bien sûr, une fois que la sanglante noble a goûté l’hémoglobine, la voilà capable d’inventer de multiples tortures pour soigner ses maux de tête. Elle pique les demoiselles lui servant de domestiques à l’aide de longues aiguilles d’or et se plaît à voir couler leur sang. Après quoi, elle les force à se déshabiller et à travailler nues, le sang coulant sur leur corps, sous le regard terrifié des valets.
Ferenc, l’époux, n’ignore rien des cruautés de sa femme, mais il laisse faire. Il n’élève aucune objection en voyant une servante battue, griffée, mordue ou même pire. A-t-il peur ?
Il a bien des raisons de l’être. Au château de Sarvar, devant son époux, Élisabeth a en effet dévêtu une lointaine parente de son mari, l’a enduite de miel et laissée un jour et une nuit dans le jardin pour que les insectes la piquent. Il est aussi de notoriété publique que la châtelaine recrute en Hongrie des sorcières pour pratiquer la magie, préparer des philtres et des recettes démoniaques pour qu’elle puisse conserver sa beauté, une de ses grandes préoccupations. « Battez à mort une petite poule noire avec une canne blanche. Mettez un peu de sang sur votre ennemi. Si vous ne pouvez l’atteindre, mettez-en sur un des habits qui lui appartiennent. Il ne pourra alors vous faire de mal ». Voilà le genre d’incantations dont la comtesse est devenue friande.
Partout, Élisabeth, maintenant mère de quatre enfants, étonne par son teint nacré, sans une ride, qui lui donne l’air d’une éternelle jeune fille. Elle a d’ailleurs beaucoup d’admirateurs, un bonheur pour elle, car Ferenc tombe gravement malade et ne peut plus marcher. Incapable de bouger, il n’a désormais d’autre choix que de laisser sa terrible épouse torturer ses servantes à sa guise : il ne meurt que trente ans plus tard. Sa femme, atteinte de frénésie sanguinaire, doit, quant à elle,
se transformer en une sorte de vampire tel qu’on n’en avait jamais vu.
Pour son service, la dame recrute un nombre grandissant de paysannes des environs. Elle les veut jeunes, grandes et robustes : on ne les revit plus. L’époque veut que leurs parents ne s’inquiètent guère de leurs disparitions. Pourtant, ils devraient. Les jeunes filles sont odieusement torturées par les sorcières avec des cuillères rougies au feu et après une semaine de joyeux petits caprices, elles sont enterrées dans un trou à blé.
Le massacre devient pire encore lorsqu’Élisabeth se découvre une nouvelle lubie, celle de prendre des bains de sang. Elle a remarqué que, là où le sang l’a aspergée, sa peau est devenue plus fine, plus transparente. Un bain de sang, selon elle, effacera donc ses rides et ses flétrissures, dont elle n’est plus préservée. Elle se prend à rêver que ces bains entretiendront sa jeunesse et sa beauté. Les sorcières qui l’accompagnent cèdent évidemment à ce nouveau caprice et incisent veines et artères chez trois jeunes filles enfermées dans la chambre de torture. Le sang est recueilli dans un récipient puis posé sur un réchaud afin de conserver la chaleur, avant d’être versé sur le corps de Báthory.
Mais après avoir décimé les environs du château, il faut à présent courir jusqu’à la région d’Eger pour trouver de nouvelles servantes, Élisabeth sombrant dans une folie sanguinaire vertigineuse : le monstre qu’elle est devenue enfonce dans la gorge et dans le sexe des filles des tisonniers brûlants. Néanmoins, pour se racheter devant Dieu, à la mort des suppliciées, un pasteur corrompu jusqu’à la moelle, ou terrifié par la comtesse sanglante, prononce un office solennel chanté.
Les corps exsangues de certaines jeunes filles sont placés sous les planchers arrachés pour la circonstance dans les chambres du château, mais il faut avouer que les cadavres, bien trop nombreux, deviennent encombrants et finalement l’odeur se répand dans toute la bâtisse. On finit donc par les enterrer également. La Báthory, quant à elle, trouve un nouveau jeu : la Vierge de fer de Čachtice, à corps creux et longue chevelure, s’ouvre et se referme sur la victime ligotée à l’intérieur en la transperçant de poignards acérés.
L'étau se ressert sur la comtesse
Les rumeurs commencent à se répandre : à Vienne, elle est surnommée « La comtesse sanglante » car on a vu de pleins seaux de sang répandus devant sa porte, et il paraît que des hurlements si perçants proviennent des sous-sols que les moines du couvent voisin ont lancé des tessons de pots contre les fenêtres. Des accusations précises parviennent également aux oreilles de György Thurzo, grand Palatin de la Haute-Hongrie. De plus, les cadavres de jeunes filles torturées sont dépecés par les loups aux pieds de l’enceinte entourant le château de Čachtice et, le long des murailles d’autres châteaux des Báthory, des chiens affamés déterrent des cadavres de jeunes filles.
C’est ainsi qu’en 1610, une séance au Parlement a lieu et le roi Mathias annonce sa venue à la demeure des Báthory. La comtesse est évidemment contrariée : il faut savoir que parmi les jeunes filles ne se trouvent pas que des paysannes, mais aussi des dames de petite noblesse, une sorcière lui ayant affirmé que leur sang était plus pur que celui de paysannes. Voilà que la cour débarqua à Čachtice, pour trois jours de fête. La châtelaine offre même à ses hôtes un immense gâteau confectionné par Majorova, sa nouvelle sorcière.
Mais les nobles hongrois ne sont pas là pour profiter du repas : le Palatin accuse Élisabeth de forfaits abominables, qu’elle nie avec hauteur. Les invités, horrifiés, quittent le château : les jours de la châtelaine sont comptés, et elle le sait. Elle souhaite fuir chez son cousin Gabor Báthory, en Transylvanie, un homme presqu’aussi cruel qu’elle. Avant son départ, elle fait tout de même torturer encore trois jeunes paysannes jusqu’à les saigner à blanc. Après quoi, elle descend au Petit Château pour parfaire ses préparatifs de voyage, mais il est trop tard.
Le Palatin Thurzo ainsi que les deux gendres de la comtesse arrivent au château. Dans les souterrains, ils trouvent les trois filles, l’une d’entre elles étant déjà morte. Plusieurs autres sont là, affamées, entassées dans une cellule. D’autres viennent d’avoir été nourries de chair humaine grillée. Le spectacle est insoutenable : il y a du sang partout, des cages de fer, la sinistre Vierge et des instruments de torture inconnus et barbares. Lors de son procès, les juges sont épouvantés par la déposition des différents témoins qui ont participé aux supplices effroyables vécus par plus de six cents jeunes filles avant d’être mises à mort.
Les sorcières ayant aidé Báthory sont brûlées vives, mais Élisabeth échappe au bûcher… pour une sentence bien plus terrible : la Haute-Cour de Justice ordonne qu’elle soit emmurée à vie dans la chambre de son château. Il est interdit, même au pasteur, de communiquer avec elle. Des maçons bouchent avec du mortier toutes les fenêtres de sa chambre, à l’exception d’une légère ouverture à la partie supérieure afin que l’air puisse entrer. Un mur épais, percé d’un guichet pour le passage de la nourriture, est dressé devant sa porte et, aux angles du château, des charpentiers élèvent quatre échafauds pour bien signifier aux passants que, derrière ces murs de pierre grise, une condamnée à mort vit encore. Seule avec elle-même, elle vit encore trois ans et demi après sa condamnation. Sa mort est alors consignée en ces termes : Élisabeth BÁTHORY, épouse du haut seigneur Ferenc de Nádasdy, magistrat du roi et grand maître des cheveaux, restée veuve, et infâme et homicide, est morte en prison à Čachtice. Morte soudainement, sans croix et sans lumière le 12 août 1614, à la nuit.
Le mythe subsiste aujourd’hui : parmi toutes ces accusations, combien font en fait partie de la légende ? Car une chose est sûre : si certains faits ont été exagérés, il est certain, en tout cas, qu’au moins une centaine de corps de jeunes filles gisaient aux abords du château de la terrible et sanglante comtesse.