Mata Hari, espionne et courtisane
La simple mention de son nom nous est familière : Mata Hari est sans doute la plus célèbre et la plus scandaleuse des espionnes. Pourtant, si son patronyme est loin d’être inconnu, son histoire l’est.
Née Margaretha Geertruida Zelle le 7 août 1876 aux Pays-Bas, celle qui se fera appeler bien plus tard Mata Hari connaît une bien triste enfance. Si, à son plus jeune âge, le succès financier de son père permet à la petite Margaretha d’obtenir tout ce qu’elle désire, et ce malgré ses trois frères, l’opulence familiale ne dure pas. Ainsi, dès 1889, alors que la jeune fille n’a que treize ans, l’entreprise de son père fait faillite. Ses parents ne tardent pas à divorcer, sans doute à cause des désaccords financiers qui les opposent.
Malheureusement pour Margaretha, sa mère décède en 1891, laissant l’adolescente de quinze ans seule avec son père qui, lui, n’a de toute évidence aucun problème à refaire sa vie : l’homme se remarie très vite et éloigne donc sa fille, pour que celle-ci ne vienne pas gâcher son tout nouveau bonheur. La chose est décidée : Margaretha est envoyée chez son parrain. Mais la jeune fille, qui devient peu à peu une femme, fait tourner la tête des hommes et, quand son parrain remarque le flirt que l’impétueuse enfant entretient avec le directeur de son école, il la fait immédiatement retirer de l’institution. C’en est trop pour la future courtisane, qui fuit chez son oncle, à La Haye.
Dès lors, elle n’a qu’une obsession : le mariage et la réussite. Désespérée, elle va même jusqu’à répondre à une petite annonce dans un journal, qui l’amène à épouser le capitaine de l’armée coloniale hollandaise Rudolf MacLeod, de vingt ans son aîné, alors qu’elle-même n’est âgée que de dix-huit ans. La jeune femme réside désormais aux Indes orientales néerlandaises et jouit, effectivement, grâce à son mariage pour le moins intéressé, de finances qui se portent bien.
Mais les rapports conjugaux avec MacLeod deviennent compliqués, car l’homme est alcoolique et a décidé de conserver une maîtresse aux yeux de tous, une pratique courante, mais qui déplaît fortement à son épouse. Margaretha se plonge à corps perdu, en compagnie d’un nouvel amant, Van Rheedes, dans l’étude des traditions indonésiennes. Elle va même jusqu’à délaisser ses deux enfants, Norman et Louise, les livrant à leur père violent. Néanmoins, sa solitude lui apporte ce qu’elle aura de plus cher par la suite : sa passion pour la danse traditionnelle, et son nom de scène, Mata Hari.
Malgré tout, le bonheur de la désormais Mata Hari doit être, une nouvelle fois, de courte durée : en 1899, ses enfants tombent violemment malades, de ce qu’on soupçonne être les conséquences d’une syphilis contractée par les parents. Mais la mère et MacLeod refusent ce diagnostic, criant à qui veut l’entendre qu’un ennemi du capitaine aurait empoisonné leur progéniture. Toujours est-il que Norman meurt des suites de sa maladie et que, si Louise survit (seulement jusqu’à ses vingt-et-un ans), elle ne peut être confiée à sa mère, qui perd sa garde face au capitaine lors de leur divorce.
Voilà qui est fait : Mata Hari n’a plus aucune responsabilité, familiale ou maritale, et elle est dorénavant libre de s’épanouir dans sa vie d’artiste. Et quelle ville plus propice à ses extravagances que Paris ? Elle y déménage donc en 1903, où elle devient, dans les premières années, monteuse de chevaux dans un cirque, modèle pour artistes et danseuse exotique (au grand dam de MacLeod dont elle utilise encore le nom comme patronyme artistique, certainement par esprit de mesquinerie et de vengeance).
Toujours est-il qu’à Paris, peu de Français connaissent les Indes néerlandaises et on s’imagine donc que Mata Hari est véritablement une Indienne, une femme exotique, et que ses danses sont authentiquement traditionnelles. Elle devient très vite réputée pour ses effeuillages, ses soutiens-gorge ornés de pierres précieuses… Mais les imitations arrivent aussi vite et son succès s’essouffle, et, dans les années 1910, les Indes commençant à être connues, on la dédaigne violemment, l’accusant de ne pas savoir danser et de méconnaître la culture dont elle se réclame.
La Première Guerre mondiale a de toute façon commencé et le 13 mars 1915, elle monte sur scène pour ce qui s’avère être le dernier spectacle de sa carrière. Mais, malgré cette déconfiture professionnelle, Mata Hari sait que son avenir est assuré, car son érotisme lui vaut, depuis quelques années, d’entretenir de nombreuses relations avec des officiers de haut rang, des hommes politiques et autres personnalités influentes de divers pays. Cela lui a assuré un confort permanent et la possibilité de traverser les frontières. Mais avec la guerre, l’artiste réputée pour sa sensualité est devenue, sans le savoir, au-delà de la femme exubérante, aux mœurs légères, trop dangereuse pour ne pas être aux yeux de tous une espionne.
En effet, les Pays-Bas sont, pendant la Première Guerre mondiale, un pays neutre, ce qui donne la possibilité à tous ses citoyens de traverser les frontières librement, sans être en proie à des contrôles intempestifs. Bien entendu, Mata Hari étant citoyenne néerlandaise, ce droit lui est accordé et, lorsque, pour éviter les champs de bataille qui se multiplient, elle rejoint la France depuis les Pays-Bas, en passant par l’Espagne et le Royaume-Uni, ses déplacements ne manquent pas d’attirer l’attention sur elle.
Arrêtée par les Anglais, puis par les Allemands, elle reconnaît travailler pour les services secrets français… Chose jamais confirmée par la France, qui, pourtant, lorsqu’elle interceptera un message crypté en provenance des forces allemandes, concernant un espion identifiable par le code H-21, ne manque pas d’accuser immédiatement la danseuse exotique.
Et voilà que, le 13 février 1917, Mata Hari est arrêtée dans un prestigieux hôtel situé sur l’avenue des Champs Élysées par la police parisienne : dès le 24 juillet, elle est jugée, car accusée d’avoir espionné la France, mais aussi les Pays-Bas, l’Espagne et le Royaume-Uni pour le compte de l’Allemagne et d’avoir causé la mort d’au moins 50 000 soldats. Malheureusement pour elle, à peine âgée de quarante ans, la sentence de la justice est irrévocable, et ce, malgré le manque de preuves, l’irrespect des lois, et le fait que son avocat n’ait eu le droit de ne consulter aucune des soi-disant preuves retenues contre elle. C’est ainsi que Margaretha Zelle, connue sous le nom de Mata Hari meurt exécutée, sous le feu du peloton d’exécution, le 15 octobre 1917, sans n’avoir jamais pu se défendre.