La médecine des Temps Modernes
Les populations des milieux modestes n’étaient nullement démunies face à la douleur physique, persuadées que leur environnement leur apportait tous les remèdes utiles. Les ouvrages qui fixèrent les thérapies coutumières furent nombreux sous l’Ancien Régime. Ces recueils, vendus par des colporteurs, critiquaient les professionnels de l’art médical dont la masse se méfiait. À leurs pratiques jugées inefficaces et toujours nouvelles, elle préférait de loin le legs des remèdes simples du passé, véritable patrimoine dont l’ancienneté constituait déjà un gage d’efficacité. D’ailleurs, l’expression « remèdes de bonnes femmes» n’a sans doute pas d’autre origine que «de bonne fame» (de bonne réputation). Pour se soigner, la recherche d’animaux et de certains minéraux, la cueillette et le séchage des végétaux selon un rituel magique et les sécher étaient dans les normes.
La saignée, panacée universelle
La saignée n’était bien sûr pas un remède de bonne femme, mais elle était commune à toutes les thérapies. En effet, ce principe d’Hippocrate prévalait toujours: faire suer, uriner, vomir, purger et saigner pour dégager le corps et le rendre réceptif. Durant tout l’Ancien Régime, on saignait à tout propos, que ce soit pour un rhume, une fièvre pulmonaire, une colique..., et même les malades à l’agonie. Leur fréquence aggravait le plus souvent l’état des patients et les médecins tuaient de la sorte plus qu’ils ne soignaient. Les mettre à la diète en n’autorisant que l’absorption de tisanes était certainement plus efficace. Au XVIIe siècle, le chirurgien Jamot saigna sa propre épouse 48 fois pendant une de ses grossesses, battant de peu le record détenu par Louis XIII : il avait été saigné 47 fois en une année !
Sur prescription d’un médecin, l’incision était pratiquée par un chirurgien ou un barbier avec une lancette, au pied ou à d’autres endroits, souvent dans le creux du coude. Si le sang coulait en abondance, il fallait le purger. Si, au contraire, le sang coulait faiblement, il convenait de le «réconforter » en prenant des gouttes d’Angleterre, à base de sel volatile, de sang de crâne humain et de vipère sèche. Les premières victimes du procédé étaient les mioches, même à la cour de Versailles. «Aucun enfant ici n’est en sûreté, écrit la Palatine; les médecins ont déjà expédié dans l’autre monde cinq des enfants de la reine, le dernier est mort il y a cinq mois.» Peu après, c’est au tour de son fils aîné, garçon de 3 ans ; elle accuse son médecin de l’avoir « tué », « comme s’il lui avait tiré un coup de pistolet sur la tête ». Sa vie durant, la princesse critiquera la Faculté, prétendant se soigner toute seule, «à l’Allemande», en recourant aux plantes et autres remèdes naturels. À la cour de Louis XV, alors qu’elle était enceinte, la dauphine fut un jour saignée copieusement deux fois. Quelques heures plus tard, elle faisait une fausse couche...
Vertus du sang animal
Espérant guérir de ses rhumatismes, Madame de Sévigné recourut entre autres à ces deux remèdes :
« Il faut, sans autre cérémonie, faire mettre en plusieurs doubles un linge sur la partie affligée, et se faire repasser comme du linge avec le fer à repasser. Mais si ce remède reste inefficace, on me fera mettre les mains dans la gorge d’un bœuf ou prendre un bain dans le sang d’un bœuf. »
Les dépouilles d’animaux, leurs entrailles, leur sang avaient en effet des vertus considérées comme souveraines, tenant de la sympathie, redonnant vitalité aux affaiblis. Bussy en fit l’expérience en 1647 :
« Mon cheval s’étant abattu sur des cailloux ronds, j’allais tomber à quatre pas de lui. Je perdis connaissance, et l’on m’emporta chez Marchin où l’on me fit saigner, et mettre tout nu dans une peau de mouton qu’on écorcha sur l’heure. »
En 1609, Louise Bourgeois, accoucheuse de la reine Marie de Médicis, conseille dans son Recueil de secrets un remède similaire, à caractère magique :
« Sitost qu’une femme est délivrée, si elle a eu un grand travail, l’on la doit mettre dans la peau d’un mouton noir, lequel doit être écorché tout vif, et le plus chaudement que l’on peut lui passer sur les reins, et sur le ventre il faut y mettre la peau d’un lièvre aussi écorché tout vif, puis lui couper la gorge dans la peau pour la frotter de sang... »
Remèdes cadavériques
Les cadavres des condamnés servaient à la fabrication de médicaments. Ainsi, la sueur de mort soignait les hémorroïdes et la poudre de crâne, l’épilepsie. La friction d’une main coupée sur un cadavre constituait, paraît-il, un excellent topique. Louise Bourgeois donne cette recette fantastique contre le mal caduc (épilepsie) :
« Si c’est un homme ou un garçon, il faut prendre de l’os du front d’un homme ou d’un garçon, qui ait esté pendu et estranglé, l’os de dessus les yeux, et en rasper le poids d’un escu, le mettre dans du vin blanc, ou du bouillon de pot, et le faire prendre à jeun au malade une seule fois... Et si c’est une femme ou une fille, qui ait le mal, il faut prendre un semblable os d’une femme ou d’une fille, qui ait aussi esté penduë, et en user de même.»
Remède contre les douleurs dentaires
Contre les rages de dents, Madame de Maintenon préconisait «du coton trempé dans l’esprit-de-vin, dans l’oreille, du côté du mal ».
À prendre en se pinçant le nez
Bien des mixtures médicamenteuses, où entraient bien souvent des excréments humains, en vogue jusqu’à dans les cours aristocratiques, nous paraissent répugnantes mais, par le dégoût même qu’elles inspiraient et leur caractère magique, elles étaient censées éloigner d’autant plus le mal. Cependant, le corps médical n’était pas unanime pour reconnaître leur pouvoir de guérison. Déjà Galien, dont l’influence en médecine se prolongea jusqu’au XVIIe siècle, se plaignait de leur odeur nauséabonde. Toutefois, il jugeait utile le recours aux déjections du bétail domestique, des ovins, des crocodiles et des chiens. Ainsi, réussit-il à venir à bout de tumeurs dures et de furoncles rebelles grâce à des cataplasmes à base de crottes de chèvre et de farine d’orge.
Parmi les potions étonnantes en usage au XVIIe siècle, et dont la seule idée nous fait frémir aujourd’hui, donnons les quelques exemples suivants. Pour soigner une jaunisse: «Détrempez tous les matins un dragme de fiente d’oye dans un demi- verre de vin blanc; faites-en prendre pendant neuf jours, on verra des effets surprenants.» Selon Madame de Sévigné, Madame de Lafayette – auteur de la Princesse de Clèves – prend des «bouillons de vipère qui lui donnent des forces à vue d’œil». Madame de Sévigné elle-même, pour soigner ses nerfs, consommait des vipères, qu’elle faisait venir de Poitou. Pour se purger, elle buvait son urine distillée, à la forte odeur d’ammoniaque. Selon la Pharmacopée de Moïse Charas, publiée en 1676 et approuvée par d’Aquin, la vipère guérissait toutes les maladies, de même que le cerf, à cause de l’avidité de cet animal « à dévorer les vipères ». Ce recueil vante aussi les mérites de la fiente de paon contre l’épilepsie, du sperme de grenouille contre les vomissements, du sel de crapaud contre l’hydropisie, du sel de cloporte et de ver de terre contre la goutte, des cendres d’abeille pour la repousse des cheveux ou encore de l’huile de fourmi contre la surdité.
Importance des selles
En un siècle où la médecine croyait que les humeurs trahissaient l’état intérieur, il était important de connaître l’état des selles des uns et des autres. La marquise de Sévigné écrit à sa fille, la comtesse de Grignan, en 1679 :
«Parlez-moi, je vous prie, de la manière dont s’est passée votre dernière colique; croyez-vous que ce ne soit pas chose importante ? »
Méthodes terrifiantes
Anne-Marie de Conti, une des nièces de Mazarin, décéda d’une crise d’apoplexie le 6 février 1672. Madame de Sévigné rapporte qu’elle «expira en faisant un grand cri, et au milieu d’une convulsion qui lui fit imprimer ses doigts dans les bras d’une femme qui la tenait.» L’écrivain fut témoin des tortures que les médecins infligèrent à la mourante : « Je vis hier sur son lit cette sainte princesse: elle était défigurée par les martyres qu’on lui avait fait souffrir. Pour tâcher de la faire revenir, on lui avait rompu les dents et brûlé la tête. »
Avec ou sans sucre ?
Depuis que l’Anglais Thomas Willis, médecin de Charles II, avait signalé en 1673 la saveur sucrée de l’urine des diabétiques, les médecins complétaient leurs examens en goûtant sur un doigt l’urine de leurs patients. Dans son Essai d’un dictionnaire universel, publié en 1684, Furetière confirme d’ailleurs que « les bons médecins jugent les maladies par les urines». Toutefois, le premier traitement, consistant en un régime sans sucre, ne verra le jour qu’au siècle suivant. L’insuline fut découverte par le Canadien Frederik Grant Banting en 1923, découverte capitale qui lui valut le prix Nobel. Le terme a pour origineisletine, mot faisant référence aux «ilôts de Langherans», un médecin allemand (1847-1888) qui mena des recherches sur le pancréas. La démonstration irréfutable du lien entre celui-ci et le diabète fut établie par deux chercheurs de l’Université de Strasbourg en 1890.
Lavements à qui veux-tu
Surtout à la fin du XVIIe siècle, on recourut abusivement aux lavements. Le maniement des seringues utilisées à cet effet, adaptées à toutes les tailles, réclamait beaucoup de dextérité. Les apothicaires en étaient les spécialistes, d’où leurs surnoms à Paris de mirancus ou limonadier des postérieurs. L’épitaphe de l’un d’eux fut ainsi rédigée: «Ci-gît qui, pour un quart d’écu, s’agenouillait devant un cul.» Mais dans la plupart des cas, même à la cour du Roi Soleil, les servantes ou gouvernantes se chargeaient de la besogne. À Versailles, la duchesse de Bourgogne – « horriblement sale », selon La Palatine – se faisait donner des lavements par sa suivante, sans se soucier de la présence des courtisans. «Elle se tenait debout devant le feu, précise l’Allemande, derrière un petit écran, et la femme qui le lui donnait se tenait à genoux après s’être avancée en rampant sur les pieds et sur les mains ; cela passait pour une gentillesse. »
Pilules économiques
Les émétiques sont des vomitifs qui prenaient parfois la forme de pilules appelées perpétuelles ou universelles, que le malade avalait pour se purger et rendait quasi intactes ; elles pouvaient donc servir indéfiniment...
Huiles essentielles
Dans sa Pharmacopée universelle, publiée en 1697, Nicolas Lémery propose entre autres nombreux remèdes l’huile des petits chiens :
«Prenez deux petits chiens nouveau-nés; on les coupera par morceaux, on les mettra dans un pot avec une livre de vers de terre biens vivants ; faites bouillir pendant douze heures jusqu’à ce que les petits chiens et les vers soient biens cuits ; elle est fort bonne pour fortifier les nerfs, pour la sciatique, la paralysie, etc. » Sous la Régence, elle sera le remède le plus en vogue pour combattre les fièvres. Quant à l’huile de lézards vivants, «on s’en sert pour faire croître les cheveux et pour les hernies. »
Cataplasmes alléchants
Parmi les remèdes externes, Lémery propose «l’emplâtre de sang humain: On aura du sang d’un jeune homme sain, on le fera dessécher au soleil, puis on le mettra en poudre; il est propre pour les vieux ulcères », ou encore « le cataplasme du nid d’hirondelles : On prendra un nid d’hirondelles qu’on coupera par petits morceaux, demi-once de cervelle de chat, une once et demi de crottes de chien, du hibou et des hirondelles brûlées ».
Pédiatrie à Versailles
En 1674, l’air vicié et la vie déréglée que l’on menait à Saint- Germain ne réussissaient pas aux trois petits bâtards de Louis XIV, déjà fragiles, dont Madame Scarron avait la charge. Comme leur mère, La Montespan, ne voulait pas qu’ils quittent avant minuit le théâtre où ils jouaient leur rôle, et comme ils étaient nourris à la table maternelle de mets épicés, de sauces grasses et de champagne, ces enfants tombèrent rapidement malades. Quand ils n’étaient pas atteints de fièvres tierces ou quartes, c’étaient les vomissements, les coliques ou les abcès qui les rapprochaient de la mort. On les abandonnait aux médecins, dont les remèdes étaient pires que le mal, selon Madame Scarron, d’autant que La Montespan était sensible aux expériences et aux charlatans. «Les traitements les plus cruels, ajoute la gouvernante, succédaient aux médecines les plus barbares; elle (La Montespan) fit ainsi appliquer au petit comte de Vexin treize cautères le long de l’épine dorsale dans le but de lui rendre le dos plat; je crus que les hurlements de cet enfant me rendraient folle. Enfin, la moitié seulement des chirurgiens et des médecins que l’on mettait autour de ces malheureux eussent suffi pour les faire mourir. [...] On tuait ces pauvres enfants sans que je pusse l’empêcher.» Un jour, le petit duc de Maine, infirme, fut pris de fièvre et de convulsions violentes parce que sa mère l’avait exposé volontairement toute une journée en plein soleil. «Vous voyez bien que Dieu ne m’a pas fait pour cette terre, dit-il à La Maintenon, puisqu’il n’a pas voulu que je pusse marcher comme les autres. Je suis si petit que je vais aller tout droit au paradis. Je suis content. » Les deux femmes ne s’entendaient pas du tout sur la manière d’élever et de soigner les enfants. Louvois jouait les médiateurs et le roi disait : « J’ai plus de mal à mettre la paix entre vous qu’à la mettre entre les pays d’Europe. »