Né en l’an 12 de notre ère, Caligula fut empereur de 37 à 41. Son règne n’aura duré que quatre ans et pourtant, il aura marqué l’histoire, tant par ses lubies fantasques que par l’excentricité de son personnage. Ses extravagances, sur le long terme, lui auront valu de rejoindre le cercle très fermé des empereurs fous, aux côtés de Néron et Commode.
Toutefois, on peut s’interroger sur le bien-fondé de ce qualificatif. Les rues de Rome étaient, de fait, propices aux médisances. Par ailleurs, les historiens de l’époque étaient loin d’être impartiaux. Cela étant, une question se pose : et si les folies de Caligula n’étaient en fait que le reflet d’une très mauvaise stratégie politique ?
En effet, il jouit au départ d’une grande popularité auprès du peuple romain. Fils du général Germanicus, il fréquente dès son plus jeune âge les armées romaines, jusqu’à ce que son père ne meure, lors d’une campagne en Syrie. Il est alors successivement recommandé aux soins de sa mère, Agrippine l’aînée, de son arrière-grand-mère, Livie, de sa grand-mère, Antonia, et enfin, de Tibère, dont il devient le fils adoptif.
Après une enfance difficile, s’offre donc au jeune garçon l’occasion de devenir l’homme le plus puissant de l’Empire. Face à lui, un seul obstacle : Gemellus, le petit-fils de Tibère, qui est rapidement assassiné par son grand-père au profit de Caligula. Plus rien désormais ne s’oppose à la prise de pouvoir du jeune homme, pas même le peuple, qui, dans les premiers mois de son règne, encense le nouvel empereur.
Mais du jour au lendemain, tout bascule et les accusations pleuvent. Caligula, à l’image de ses prédécesseurs, déborde d’ambition et, par conséquent, va prendre des mesures controversées. Mais alors qu’Auguste avait fait en sorte de manipuler les foules pour que soit mis en place, à l’initiative du peuple, un culte du Génie d’Auguste, Caligula, sans subtilité aucune, impose à Rome un culte de sa propre personne. Pour conserver la confiance du peuple, Auguste s’était en effet assuré de maintenir certaines limites, dont le jeune Caligula n’a que faire. Ainsi, alors qu’il est d’usage, chez les Romains, d’être divinisé après sa mort, suite à une décision du Sénat, il fait dédier des temples en son honneur. De même, l’empereur pille les temples grecs et ramène à Rome des statues de marbre. D’autres avant lui en avaient fait autant, mais il est le premier à employer ces statues pour son propre culte :
Mais, comme on l'avertit qu'il avait surpassé la grandeur des princes et des rois, il commença à s'attribuer la majesté divine. Il fit venir de Grèce les statues des dieux les plus célèbres par leur perfection ou par le respect des peuples, entre autres celle de Jupiter Olympien. Il leur ôta la tête et mit à la place celle de ses statues.
Suétone , Vie de Caligula
En outre, Caligula veut mettre fin au semblant de République qui subsiste, au sein de l’Empire. Car Auguste, en son temps, avait veillé à conserver les anciennes institutions, afin de donner au peuple l’illusion qu’il avait le pouvoir. Caligula veut mettre fin à cette comédie, afin de faire montre du caractère absolu de son pouvoir. Il s’attire ainsi les foudres du Sénat.
Bien vite, son extravagance inquiète et des bruits courent à travers la cité. Ceux-ci sont toutefois à prendre avec des pincettes. En effet, notre principale source à son sujet, Suétone, n’était pas objective, puisqu’il visait clairement à dresser le portrait le plus exécrable possible du souverain. L’historien attaque ainsi son contemporain sur tous les plans, à commencer par le physique. Décrit comme ayant le teint très pâle, le corps mal fait, les jambes grêles, les yeux enfoncés et les tempes creuses, Caligula est également accusé d’avoir entretenu avec sa sœur, Drusilla, une liaison incestueuse. On raconte par ailleurs qu’il aurait mis à disposition de son cheval un palais et des serviteurs. Il aurait même envisagé d’élever l’équidé au rang de consul. Réputé adepte de toutes sortes de tortures, il se dit aussi qu’il aurait fait tuer plusieurs membres de sa famille. Ce portrait est, bien évidemment, caricatural, et ne doit pas être pris au pied de la lettre.
Victime de ses écarts, Caligula devient ainsi la cible de plusieurs complots. Au terme de nombreuses conjurations, il est assassiné en 41, par ordre de Cassius Chærea et de Cornelius Sabinus. La veille, il aurait été éclaboussé du sang d’un flamant rose, qu’il se plaisait à sacrifier. Comme il n’était pas d’usage de faire pareille offrande aux dieux, sa toge souillée fut, a posteriori, interprétée comme un mauvais présage, faisant écho à sa faute religieuse.
Il laisse l’image d’un homme déséquilibré, dont la démesure n’avait d’égal que sa folie. À la fin du XIXe siècle, les psychologues se bousculeront pour lui diagnostiquer toutes sortes de pathologies psychiatriques, alors même que la plupart des faits qui lui sont reprochés ne se sont peut-être jamais produits. Victime de sa maladresse, il restera à jamais l’archétype parfait de l’empereur fou.
Auteur : Elise Vander Goten