Catulle, poète illustre du Ier siècle avant Jésus Christ, voit le jour en 84 avant notre ère. Originaire de Gaule cisalpine, il quitte sa terre natale pour rejoindre la capitale romaine à l’âge de seize ans. Là, il partage son temps entre l’écriture et les banquets, lors desquels il déclame ses poèmes à ses amis, les poeta novi. Sa vie, en somme, est celle d’un noble nanti parmi d’autres, jusqu’à ce qu’il fasse la rencontre de Claudia. Entre amour et haine, il entame avec elle une relation tumultueuse, et fait l’expérience de sentiments dont, jusqu’alors, il avait été épargné. Sa souffrance a donné lieu à de véritables chefs-d’œuvre, notamment le poème 51, qui inspirera nombre d’amoureux après lui.
« Dès que je te vois, ô Lesbie, j’oublie tout, ma langue se glace, un feu subtil circule dans mes veines, un tintement confus bourdonne à mon oreille, mes yeux se couvrent d’une nuit épaisse » nous chante ainsi le jeune ingénu, aux prémisses de cette relation. Fou amoureux, il en perd l’usage de ses sens et surnomme Claudia Lesbie, du nom de l’île de Lesbos, où a grandi l’illustre poétesse Sappho. Cette dernière a composé un poème fort semblable à celui de Catulle, à une différence près : il émane des vers de Catulle un sentiment profond de jalousie, annonciateur de la souffrance qui le guette, et qui n’apparaît pas chez Sappho.
Car le cœur de Lesbie n’est plus à prendre. Elle est, en effet, mariée à un certain Quintus Metellus Celer. Pourtant, elle cède aux avances du poète et, bien vite, devient sa maîtresse. Pour ses beaux yeux, il compose de somptueux épigrammes : « Donne-moi cent baisers, et puis mille, et puis cent, mille encore, que leur nombre aille toujours croissant » murmure-t-il à l’oreille de la matrone.
Mais la magie ne dure qu’un temps et, bientôt, l’histoire vire au cauchemar. Lesbie, aux mœurs légères, le trompe allègrement, avec pas moins de 300 hommes différents, selon ses dires. Vu la possessivité de Catulle, la rupture est inévitable. « Je te connais enfin. Plus que jamais la flamme me brûle : mais tu n'as pour mon cœur plus de prix », dit-il après avoir découvert son vrai visage.
Le temps passe et la souffrance demeure, aussi vive qu’au premier jour. Désespéré, ses pointes se font de plus en plus piquantes : « Je la maudis moi-même, et cependant, je veux mourir, si je ne l'aime! »
À bout de forces, en 57 avant notre ère, il décide de partir en Bithynie pour l’oublier. Il revient à Rome quelques mois plus tard, toujours aussi amoureux, et meurt deux ans après, atteint de la tuberculose. Il n’a alors que trente ans, mais il laisse derrière lui le témoignage d’une des histoires d’amour les plus marquantes de l’histoire de la littérature.
Toutefois, ne perdons pas de vue que Catulle était l’héritier de la poésie lyrique grecque, laquelle prône l’imitation et les effets de style. Pour les Grecs, tels qu’Archiloque, Sappho ou Anacréon, de tels poèmes ne sont qu’inventions, et n’ont pas vocation à exprimer les sentiments réels de l’auteur. Ainsi, face aux émouvants poèmes de Catulle, deux écoles s’opposent. D’un côté, les romantiques affirment qu’il n’aurait pu écrire ces mots sans ressentir l’amour véritable, et proclament Catulle l’inventeur de la poésie lyrique personnelle. D’un autre, les pragmatiques, tout en reconnaissant la beauté de ces vers, prétendent qu’il ne pensait pas un mot de ce qu’il a écrit.
Au final, le fin mot de cette histoire ne nous sera probablement jamais connu, mais rien n’interdit de rêver…
Elise Vander Goten