Dans le métro de Singapour, à côté des signes interdisant de fumer, manger ou transporter des produits toxiques, il y a la défense de porter un fruit : le Durian.
En effet, il s’agit d’un aliment tropical très consommé en Asie du Sud-Est, mais à l’odeur si pestilentielle que les autorités ont dû adopter cette interdiction pour ne pas incommoder les voyageurs.
En 1856, le naturaliste britannique Alfred Russel Wallace décrit les saveurs du durian :
Les cinq quartiers du fruit sont d’un blanc soyeux au-dedans, et sont constitués d’un amas de pulpe ferme, contenant environ trois noyaux chacun. Une épaisse crème anglaise parfumée à l’amande donne une idée de son goût, mais il y a parfois des apparitions occasionnelles d’une saveur qui rappelle une sauce à l’oignon, du xérès et des plats incongrus. La pulpe est d’une texture onctueuse, gluante et épaisse pareille à nulle autre, mais qui ajoute à sa finesse ? La chair n’est ni acide, ni sucrée, ni juteuse. Pourtant elle n’a besoin d’aucune de ces qualités, car elle est parfaite en elle-même. Le durian ne produit pas de nausées ou d’autres mauvais effets, et plus l’on en mange, moins l’on a envie d’arrêter. En fait, en consommer est une nouvelle sensation qui mérite elle-même un voyage vers l’Asie pour en faire l’expérience.
Wallace avertit que l’odeur peut paraître désagréable au premier abord. Des portraits récents sont plus crus et plus précis. Anthony Bourdain, bien qu’amateur de durians, raconte sa rencontre avec le fruit de la façon suivante :
« Son goût et sa saveur ne peuvent être expliqués que par le qualificatif… d’indescriptible, quelque chose que soit vous adorerez, soit vous détesterez. Votre haleine ressemblera à celle que vous auriez si vous aviez embrassé intensément votre grand-mère morte depuis des lustres. »
L’écrivain féru de gastronomie et de voyages Richard Sterling a employé des mots bien plus durs :
… On peut le sentir loin à la ronde. Malgré sa grande popularité locale, le fruit est interdit dans certains établissements comme les hôtels, les métros et les aéroports, ainsi que les transports publics du Sud-est asiatique.
L’odeur inhabituelle force les gens à trouver des comparaisons pour la décrire. Des analogies sont faites avec les égouts, le vomi, le fumet du putois. La large gamme d’effluves du durian fait qu’elles sont nombreuses. Les espèces ne dégagent pas toutes la même odeur, par exemple le rouge a des relents de caramel avec de la térébenthine alors qu’un autre émet des senteurs proches des amandes grillées. Le degré de maturité contribue grandement à la puanteur. Trois études scientifiques de la composition de l’arôme du durian ont eu lieu. À chaque fois, le mélange détecté était différent, avec des esters, cétones et organosulfurés, sans toutefois arriver à déterminer l'élément qui a la plus grande responsabilité dans l’odeur distinctive du fruit. En 2017 et 2018, la plante est entièrement séquencée. Ces études montrent qu’elle contient 46 000 gènes dont un groupe produit en excès deux variétés de composés volatils, des soufrés, caractéristiques de l’odeur d’oignon et des esters, à l’origine des effluves fruités.
Le parfum peut être détecté à plus d’un kilomètre par les animaux. L'aliment est très apprécié par les rongeurs, écureuils, les cochons, les orangs-outans, les éléphants et même certains carnivores comme le tigre. Si certains de ces animaux le mangent et laissent les graines de côté, d’autres avalent tout le fruit et les rejettent dans leurs excréments, contribuant à la dispersion du durian par endozoochorie. Il est possible qu'il ait évolué au cours du temps avec l’apparition des pointes ayant découragé les petits animaux, moins susceptibles de transporter les graines que les gros.