Anastasia Romanov, fille du tsar Nicolas II et de son épouse Alexandra Feodorvna, vit le jour le 18 juin 1901, à l’aube du 20e siècle. Entourée de ses trois sœurs et de son frère Alexis, elle mena pendant seize ans l’existence d’une princesse impériale, jusqu’à ce qu’éclate, en 1917, la révolution bolchevique. Suite à ces bouleversements, Nicolas II et sa famille furent assignés à résidence au palais Alexandre, puis enfermés à Tobolsk, en Sibérie, avant d’être transférés à la maison Ikatiev d’Ekaterinbourg. Ils y furent détenus quelques jours, dans le noir absolu, en attendant que le tsar soit amené à Moscou, où il devait être jugé dans les règles.
C’était du moins l’espoir de la famille impériale russe, qui vola en éclat la nuit du 16 au 17 juillet 1918. Ce soir-là, les bolcheviques eurent vent de l’arrivée imminente de l’Armée blanche, venue libérer le tsar et ses enfants. Les gardes, abandonnant l’idée d’un procès équitable pour Nicolas II, s’empressèrent de conduire le couple impérial et toute sa marmaille au sous-sol, où ils furent abattus par balles. Ceci fait, ils défigurèrent leurs visages à la chaux et jetèrent les corps dans un puits de mine.
L’histoire de la jeune Anastasia, a priori, était arrivée à sa fin. Pourtant, trois ans plus tard, survint de nulle part une jeune femme, qui prétendit être la princesse. Celle-ci avait tenté de se suicider en février 1920, en se jetant dans le canal de Berlin. Aperçue par des passants, elle put être amenée à l’hôpital à temps et fut ainsi sauvée de la noyade. Comme elle ne possédait aucun papier et ne semblait pas savoir qui elle était, les médecins ne purent l’identifier et la firent interner. Elle rejoignit donc l’hôpital psychiatrique de Dalldorf, où elle se faisait appeler Anna Anderson.
Presque un an et demi plus tard, alors qu’elle lisait le journal, elle tomba par hasard sur un article à propos de la famille Romanov et des événements de 1917, qui sembla la bouleverser plus que de raison. Une autre pensionnaire de l’asile remarqua son trouble et lui dit qu’elle savait qui elle était, ce à quoi Anna répondit Tais-toi. La tête emplie de soupçons, la camarade d’Anna n’obéit cependant pas à ses instructions, puisqu’elle invita un capitaine de l’ancien régiment de l’impératrice ainsi que quelques familiers d’Anastasia à venir la voir.
Intrigués, plusieurs membres de la famille de Nicolas II accoururent pour voir la prétendue princesse. Certains, le cœur rempli d’espoir, affirmèrent qu’il s’agissait bien d’Anastasia. D’autres, en revanche, ne la reconnurent pas, notamment sa grand-mère. Felix Dassel, proche de la famille Romanov, se montra également sceptique face à la jeune femme, qu’il essaya à maintes reprises de piéger, en évoquant des détails de la vie intime des Romanov. À chaque tentative, Anastasia le reprenait et le corrigeait avec exactitude.
De même, Ernest de Hesse, l’oncle d’Anastasia, démentit les dires de la jeune femme, lorsqu’elle affirma l’avoir aperçu à Moscou en 1916, ce qui signifiait qu’il avait trahi sa famille. Pour la faire taire, il engagea un détective privé qui prétendit qu’Anna se nommait en vérité Franziska Schanzkowska, et qu’elle était une ouvrière polonaise. Malgré tous les efforts déployés par Ernest de Hesse, les dires d’Anna furent néanmoins confirmés par la suite : le duc de Hesse avait effectivement prévu de trahir sa famille, avant que les bolcheviques ne l’emportent.
Suite à ces différentes entrevues, Anna Anderson emménagea le 30 mai 1922 chez le baron Kleist, ancien chef de la police russe sous le régime tsariste, et sa femme la baronne. Anna, dès lors qu’elle eut totalement recouvré ses esprits, décida de dévoiler à la presse son histoire.
Selon les souvenirs embrumés de la jeune femme, elle aurait survécu à la fusillade grâce aux diamants cousus dans sa robe, qui auraient arrêté les balles. Face à la vision monstrueuse de sa famille, assassinée sous ses yeux, la jeune adolescente se serait ensuite évanouie, avant de reprendre connaissance dans une charrette, conduite par deux hommes. Ces derniers appartenaient à la garde bolchevique, mais avaient refusé de prendre part au massacre. Ils s’étaient donc écartés le temps que leurs confrères effectuent leur sale besogne, puis étaient redescendus au sous-sol pour emporter les corps. Ils auraient alors remarqué que la princesse Anastasia, qui avait perdu connaissance, respirait encore. Pris d’un soudain élan de compassion, ils auraient décidé de la sauver des griffes des bolcheviques, à leurs risques et périls. Ensemble, ils se seraient enfuis de la Russie, prêts à prendre un nouveau départ.
Par après, Anastasia aurait épousé l’un des gardes, avec lequel elle aurait eu un fils. Cependant, à la mort de son époux, elle aurait sombré dans une profonde dépression, à la suite de laquelle la garde de son fils lui aurait été retirée. Ces événements l’auraient poussée à sauter dans le canal de Berlin, où elle fut retrouvée en 1920.
Son histoire, véritable bouteille à encre, fut relayée à grande échelle par la presse, si bien que la légende selon laquelle Anastasia Romanov aurait survécu fit rapidement le tour du monde. Désormais assurée d’être la descendante de Nicolas II de Russie, Anna Anderson engagea des démarches judiciaires en vue de prouver son identité. Entrainées par la folie de l’événement, d’autres femmes déclarèrent alors être Anastasia, notamment Eugénia Smith, en 1963, mais toutes furent discréditées.
Cinq ans plus tard, après avoir analysé de nombreux témoignages et avoir fait appel à une graphologue, qui assura que l’écriture d’Anna était identique à celle de la princesse disparue, le tribunal d’Hambourg rendit cependant un jugement négatif en 1968. Le fait qu’elle ait totalement oublié le russe, sa prétendue langue maternelle, plaida entre autres en sa défaveur. Comme ce combat lui semblait vain et durait depuis de nombreuses années, Anna abandonna. Elle rendit l’âme le 12 février 1984 à Charlottesville, dans l’État de Virginie.
L’enquête se poursuivit cependant, plusieurs décennies après la mort de l’usurpatrice. Les corps de la famille royale furent effectivement exhumés en 1990, et les autorités purent alors constater qu’il en manquait deux. Un soldat, interrogé lors du procès d’Anna, avait d’ailleurs affirmé que, lorsqu’ils avaient enterré les corps, ils avaient remarqué que certains manquaient. Pris par le temps, ils n’avaient néanmoins pu s’assurer que la famille était au complet dans la fosse.
Parallèlement à cette funeste découverte, plusieurs psychologues affirmèrent que, suite à un événement traumatisant, l’adolescente aurait très bien pu oublier sa langue maternelle. À nouveau, le doute s’immisça dans l’esprit du peuple russe : se pouvait-il qu’Anna Anderson ait dit vrai ?
Le voile fut levé sur ce mystère quatre ans plus tard, lorsqu’on procéda à des analyses de l’ADN d’Anna, comparé à celui du Prince Philip, duc d’Édimbourg qui présentait une parenté avec la tsarine Alexandra. Ce test s’avéra négatif, confirmant la décision du tribunal.
Plus d’une décennie après ce premier examen génétique, en 2007, des ossements furent retrouvés dans les environs d’Ekaterinbourg, qui s’avérèrent suite à des analyses être les restes d’Alexis, le cadet de la fratrie, et de Maria, une des sœurs d’Anastasia. Cette dernière avait donc été enterrée avec ses parents et ses deux sœurs, Olga et Tatiana, dans le puits, tandis que les deux autres enfants avaient été inhumés à l’écart.
Il était désormais assuré qu’Anastasia avait perdu la vie sous les balles, le 17 juillet 1918, en même temps que le reste de sa famille. Pour autant, cela ne signifie pas qu’Anna Anderson, ou plutôt Franziska Schanzkowska, ait délibérément menti à la Cour. Selon nombre de spécialistes, elle était une jeune femme perturbée, facile à manipuler pour des personnes mal intentionnées, qui l’auraient persuadée qu’elle était la princesse pour s’emparer des richesses de l’empire tsariste.
Auteur : Élise Vander Goten