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À peu près au même moment que se déroulait l’affaire Humbert en France, les États-Unis connurent aussi le même genre d’histoire.
Vers 1870, James Addison Reavis, qui avait pour professions tantôt charretier, tantôt homme d’affaires ou soldat, ou encore agent immobilier, annonça haut et fort qu’il avait l’intention de devenir sous peu le propriétaire de rien de moins qu’une partie de l’Arizona, et qu’il avait l’intention dans les jours à venir de se présenter devant l’United States Court of Claims pour déposer une demande en revendication d’une succession dévolue à sa femme et la désignant comme unique propriétaire du vaste territoire de cette région des États-Unis, ce qui représentait au bas mot au moins cent millions de dollars.
Le jour venu, la presse et tout qui voyait là une occasion de se faire peut-être une bonne affaire se précipitèrent sur les bancs du tribunal.
Reavis présenta d’abord l’acte principal dans cette affaire, un parchemin daté de l’an 1742 par lequel Philippe V, roi d’Espagne, pour services rendus à la Couronne au Mexique en 1730, octroyait à Don Miguel Silva de Peralta, à ses ayants droit et descendants un territoire immense :
Nous, Philippe V,
Faisons savoir à notre Excellentissime vice-roi de la Nouvelle Espagne, qu’il nous a plu de faire cession à Don Miguel Silva de Peralta de la Cordoba, Grand d’Espagne, chevalier des Terres Rouges, baron d’Arizona, gentilhomme de la chambre du Roi avec privilège d’entrée, capitaine de Dragons, aide de camp et enseigne de la maison royale, chevalier des Ordres militaires de la Toison d’or, de Sainte-Marie de Monesa, membre du Collège royal de Notre-Dame de Guadeloupe, etc., d’un territoire mesurant dans l’ancienne commune mesure de Castille, trois cents lieues carrées, lequel territoire sera situé dans la partie nord de notre vice-royauté de Nouvelle Espagne, et en telle forme qu’il ne puisse se produire, ni dans le présent, ni dans l’avenir, aucun conflit avec des concessions antérieures. Et y seront incluses toutes les terres, eaux, rivières, mines et autres appartenances et dépendances, ordre devant être donné que lesdites propriétés soient envoyées en possession dudit baron d’Arizona. Et déclarons que ledit Don Miguel Silva de Peralta de la Cordoba prendra le titre de Caballero de los Colorados avec le rang de Grand d’Espagne.
Fait à San Ildefonso, le 26 août de l’an de grâce 1742
Signé : YO, EL REY
Par ordre du Roy :
Don José de Galvez.
La succession consistait donc en un territoire de l’Arizona qui faisait à l’époque partie du Mexique avant d’être cédé en 1849 aux États-Unis avec la Californie. Mais surtout donnait droit à toutes les terres, eaux, rivières, mines,… … et le sol et les rivières de l’Arizona sont réputés riches en pépites d’or !
Reavis devait ensuite établir la filiation de sa femme, qui s’appelait Sophia Loretta Manuelo de Maso, avec le baron d’Arizona.
Sophia Loretta ayant été trouvée par un ranchero alors qu’elle avait été abandonnée dans un bois, la tâche semblait perdue d’avance, mais pas pour Reavis. Voici l’histoire qu’il raconta.
Après une longue enquête historique qu’il mena principalement en Espagne et au Mexique, il avait pu établir que Don Miguel Silva de Peralta avait eu un fils unique qui s’était établi au Mexique où il avait revendiqué le domaine de l’Arizona. Ce fils unique eut à son tour un fils unique qui chercha épouse en Amérique ; le couple à son tour n’eut qu’un enfant unique, mais cette fois-ci une fille qui épousa à son tour un certain Don Ramon Carmen de Manuelo y Maso y Castillo. Le dernier baron d’Arizona, en revenant en Europe avec sa fille et son mari, Don Ramon, fut surpris par une tempête et jeté sur la côte de Californie à San Bernardino où le baron décéda, suivi de peu par sa fille qui succomba en donnant naissance à des jumelles dont une seule survécut ; cette fille n’était autre que Sophia Loretta. Le père, toujours en vie, et sa fille quittèrent San Bernardino quelques semaines après en direction du Mexique où un ranchero finit par trouver l’enfant dans le bois. On ne connaît pas la raison pour laquelle Don Ramon abandonna sa fille, mais on pouvait facilement deviner que celui-ci, par chagrin d’avoir perdu sa femme, décida peut-être de se suicider ou, ne supportant pas la très forte ressemblance de la fillette avec sa mère, préféra abandonner celle qui, chaque jour, lui rappelait son malheur et ravivait par sa seule présence son chagrin.
Conscient que son histoire, par certains aspects, pouvait paraître à certains un peu tirée par les cheveux, il présenta le témoignage d’un habitant de San Bernardino, encore vivant, qui affirmait sous serment qu’il y avait eu réellement une tempête, et qu’il n’était pas le seul à San Bernardino à s’en souvenir, qu’un noble espagnol avait ce jour-là bien été jeté sur la côte, par la violence des vents et de la mer, avec sa famille ; que des jumelles étaient bien nées, mais que l’une des deux décéda ; que le noble qui se disait Grand d’Espagne mourut à son tour ; que le père et l’enfant survivant prirent un jour un bateau en direction du Mexique. Mais que surtout, et c’était là la chose la plus importante pour Reavis, la mère des deux jumelles ressemblait comme deux gouttes d’eau à Sophia Loretta.
Les avocats de Reavis soutinrent que cette famille naufragée était celle du baron d’Arizona, ce que confirma le témoin, se disant qu’il ne pouvait en être autrement.
Reavis, sachant que la justice aime surtout avoir des documents officiels, en produisit en quantité suffisante que pour convaincre les plus sceptiques : actes de mariage, actes de naissance, actes de décès, acte royal,… Tout y était. Il alla même jusqu’à fournir un fac-similé de la carte des propriétés revenant aux Peralta dans l’Arizona, qui était jointe au parchemin et qui, fit-il remarquer, coïncidait avec une carte reproduite sur une roche qu’il appelait le « Roc monumental » et qu’il présenta comme étant une borne naturelle du territoire revendiqué.
Et comme ce fut le cas pour Thérèse Humbert, à peine était-il sorti du tribunal que des banquiers, des hommes d’affaires, de futurs investisseurs, vinrent saluer monsieur et madame le baron d’Arizona. À quoi bon attendre que le tribunal se prononce, le verdict est couru d’avance, au vu de la quantité de documents apportés par Reavis, il ne peut que reconnaître Sophia Loretta dans son bon droit comme seule et unique héritière de cette immense fortune.
Un des plus grands banquiers de la région qui avait fait le déplacement, voulant faire un bon mot, s’adressa à la presse qui s’était déplacée pour couvrir l’affaire :
Mme Reavis n’a rien à craindre, son titre est écrit sur un roc. Je suis aussi certain des droits de Mme Reavis que je le suis d’être le propriétaire du chapeau que voilà et que j’ai acheté et payé moi-même au chapelier.
Les plus grands avocats lui proposèrent leurs services qu’ils auraient bien le temps de rémunérer plus tard, une fois l’affaire conclue, l’un des plus réputés affirmant même que :
Je suis tout à fait rassuré sur l’issue de votre procès, chère madame Reavis ; pour nier vos droits, il faudrait nier le soleil.
Et la belle vie commença pour le couple Reavis, l’un payant une avance pour pouvoir exploiter telle mine, l’autre prêtant des fonds à taux intéressant,… Reavis alla même jusqu’à convoquer les actuels propriétaires et exploitants des ressources de son futur royaume pour les inviter à lui payer un droit de propriété ou d’exploitation qu’il allait être très prochainement en droit de leur réclamer.
Le tribunal soumit les différents documents à toutes sortes d’experts en histoire, graphologie, héraldique,… Mais aucun ne trouva rien à redire sur l’authenticité des documents. La signature du roi Philippe V était bien la sienne.
L’annonce de l’avis des experts, pesant de tout son poids dans la balance pour une décision en faveur de Mme Reavis, ouvrit encore un peu plus grande la porte des banques, des financiers,...
Comme Thérèse, Reavis savait que maintenant, ce qu’il fallait, c’était tenir, tenir le plus longtemps possible. Il donna comme consigne à ses avocats de surtout prendre tout le temps qu’il estimait nécessaire, qu’il n’y avait pas urgence, l’important était d’arriver avec des dossiers suffisamment solides que pour aboutir à un jugement absolument définitif face auquel l’état d’Arizona ne pourrait que s’incliner.
Les avocats s’appliquèrent si bien à leur mission qu’avant que l’affaire soit plaidée, on en était déjà à plus de deux millions et demi en fait de procédures à charge de Reavis, sommes bien sûr que des banquiers s’étaient précipités pour lui avancer.
Ayant épuisé tout ce qu’il était possible légalement de faire pour repousser la date fatidique où le tribunal allait devoir prononcer un arrêt en sa faveur ou pas, si on pouvait voir sur le visage de tous les prêteurs et fournisseurs un large sourire à l’idée de revoir bientôt leur argent, en regardant bien, on aurait pu voir les lueurs d’un plus grand sourire encore dans les yeux de Reavis, car comme sorties de nulle part, voilà que le tribunal reçoit des dizaines et des dizaines de lettres d’autres Peralta qui eux aussi aimeraient avoir leur part du gâteau.
Et revoilà la machine judiciaire relancée, devant cas par cas savoir qui sont ces gens ? S’ils ont des titres réels ?...
On en dénombrait cent soixante et cela pouvait donc encore durer longtemps, si ce n’est l’état d’Arizona qui, ne voulant pas se laisser dépouiller d’une partie de son territoire sans réagir, avait de son côté engagé des experts pour analyser les documents présentés par Reavis et procéder à des contre-expertises. Et c’est un de ceux-ci qui mit une fin à la vie dorée du baron d’Arizona.
Le rapport qu’il fit devant la Cour commençait pourtant bien pour Reavis, l’acte produit par celui-ci portait bien la signature authentique du Roi Philippe V et de Don Jose Galvez, que le parchemin et les sceaux sont bien semblables à ceux d’autres documents de la même époque, mais, car il y avait un mais, l’écriture du contexte est, en certains passages, d’une époque beaucoup plus récente, qu’en vérité cet écrit sur lequel s’appuient les Reavis est un palimpseste merveilleusement fabriqué, l’écriture primitive ayant été effacée pour faire place à de nouveaux caractères qui, eux, ne sont pas ni d’une main ni d’une encre du XVIIIe siècle.
L’expert précisa aussi qu’au niveau historique, si les vrais Peralta ont réellement existé, s’il y a eu un vrai Don Miguel Silva de Peralta en 1792 dont il est fait mention dans certaines archives, cette famille est complètement éteinte : il n’existe plus aucun Peralta authentique ni en Espagne, ni au Mexique, ni ailleurs.
En quelques minutes, toute l’œuvre de Reavis s’écroule comme un château de sable. Tout, absolument tout est faux, les actes, le témoignage de l’habitant de San Bernardino, les cent soixante candidats à l’héritage de dernière minute,… Tout est faux et l’œuvre d’un seul homme : James Addison Reavis.
Un procès a évidemment lieu où on demande à Reavis de s’expliquer.
C’est alors qu’il était soldat sous les drapeaux des Confédérés au Nouveau-Mexique, qu’il rencontra un certain Docteur Willing, qui avait pour habitude de lui raconter qu’il était l’héritier d’une succession colossale remontant à des temps ancestraux sans pour autant être atteinte par la prescription. À la mort du docteur, sa veuve confia les documents de famille à Reavis.
Parmi ces documents, il en retrouva qui faisaient allusion à un territoire dans l’Arizona cédé au XVIIIe siècle par le roi d’Espagne à un certain Peralta.
Il avait presque oublié tous ces documents et cette histoire, lorsqu’il rencontra sa future femme. Dès qu’il vit pour la première fois la jeune Mexicaine, il fut directement persuadé par sa beauté, ses longs cheveux noirs soyeux, la distinction qui émanait naturellement de sa personne, sa façon de monter à cheval, son intelligence, qu’elle ne pouvait être que de noble extraction.
Et le tout se mélangea dans son esprit : pourquoi cette femme, aux allures d’aristocrate, ne serait-elle pas l’unique héritière des Peralta ?
Il lui fallait maintenant fabriquer et surtout documenter l’histoire. Il devait pour cela effectuer des recherches en Espagne et au Mexique, ce qui représentait un coût qu’il n’avait pas le moyen de payer. Il décida de se rendre auprès d’un banquier de sa connaissance et de tester sur lui son histoire. Il présenta au financier sa jolie femme comme l’unique héritière des Peralta, et sous le charme de la belle jeune fille, le banquier lui accorda de quoi faire les voyages et les recherches nécessaires pour permettre à la vraiment très jolie baronne d’Arizona de faire reconnaître ses droits.
Reavis se rendit alors auprès d’un grand journal de San Francisco, leur proposant de profiter des voyages qu’il allait faire pour leur envoyer des articles sur les curiosités de l’Espagne. Le journal accepta, ce qui avait comme avantage pour Reavis, avec son titre de correspondant d’un grand journal américain, de se voir ouvrir plus facilement les portes des archives et autres bibliothèques.
Pendant ses recherches, il découvrit, comme le constata l’expert, qu’une famille noble du nom de Peraltan avait bien existé, et que cette famille avait eu rang à la Cour, mais qu’elle était complètement éteinte, ce qui était parfait pour ses projets.
Plus tard, il apprit l’existence de Peralta au Mexique, mais ceux-ci étaient des descendants des serviteurs des vrais Grands d’Espagne, dont ils avaient usurpé le nom qui, avec les années, était devenu leur patronyme officiel. C’est grâce à cette découverte qu’il eut l’idée de faire apparaître les cent soixante prétendants à l’héritage.
De retour auprès de sa femme, il lui montra une miniature datant du XVIIIe siècle, représentant une grande dame espagnole qui lui ressemblait de façon troublante. Il lui montra ensuite tous les documents qu’il avait trouvés et au passage dérobés, dans divers fonds d’archives, dont le fameux parchemin portant la signature royale. Il ne lui en fallut pas plus pour être convaincue d’avoir pour aïeux des personnages de très haute noblesse.
Ne lui restait plus qu’à modifier les documents originaux pour leur faire raconter l’histoire de Reavis. Ce qui ne lui posa pas trop de problèmes, car, très tôt, pour rendre service à l’un ou à l’autre, il s’était exercé à l’art de la contrefaçon. Il réalisa aussi la carte du domaine au cœur de l’héritage afin de la joindre à l’acte royal, et avait gravé la même carte sur le Roc monumental.
Sa Sophia Loretta parvint sans trop de mal à se disculper devant les juges ; son mari écopa de deux ans de prison, qu’il effectua, ironie de l’histoire, dans une prison de son royaume, l’Arizona.
Il sortit en 1899 et s’installa avec sa femme, qui lui était restée fidèle, à Denver. Dans ses vieux jours, lorsqu’on le faisait parler de l’affaire, il n’exprimait qu’un seul regret, celui d’avoir trop compliqué son histoire avec l’apparition soudaine d’une centaine de prétendants à la fortune de Peralta :
J’ai mis trop de personnages dans ma pièce, disait-il, avec dans les yeux l’amertume de ceux qui ne regrettent qu’une seule chose : avoir échoué.
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