Les choix que nous faisons au cours de notre existence conditionnent celle-ci, de notre naissance à notre mort. La vie de Belle Starr, née Myra Maybelle Shirley, en est un exemple parfait. Cette fille de famille de fermiers respectables du Missouri deviendra, par ses propres décisions et celles de son entourage, l’une des criminelles les plus légendaires des États-Unis.
John et Elizabeth Shirley accueillent une petite fille dans leur ferme le 5 février 1848, qu’ils appellent Myra Maybelle, mais que tout le monde surnommera May. Les premières années de la vie de May se passent tranquillement, jusqu’au déclenchement de la Guerre de Sécession en 1861. Le climat est de plus en plus tendu au Missouri et plus particulièrement dans la ville de Carthage où vivent les Shirley. En 1864, sentant que leur localité est devenue une poudrière prête à s’enflammer, ils déménagent à Scyene au Texas. Bien leur en a pris puisque Carthage est détruite par des hors-la-loi confédérés quelques mois plus tard.
John, le patriarche de la famille, s’est engagé dans le conflit dans le camp des confédérés. Il est tué au cours de cette année 1864 par des soldats de l’Union, dirigés par Abraham Lincoln. Désormais privée de son père, May ne reste pas inactive : elle aussi rejoint les confédérés et indique aux troupes du Sud où sont situées les garnisons ennemies. En plus de ces actions, elle se sert de sa maison pour cacher des hors-la-loi recherchés par les troupes du Nord. Parmi eux, on retrouve notamment Cole Younger et les célèbres frères James, Frank et Jesse. Si Younger est un ami d’enfance, la fratrie James est une découverte pour May, qui conditionnera le reste de sa vie.
La Guerre de Sécession terminée, elle épouse Jim Reed en 1866, avec qui elle a deux enfants : Pearl (que beaucoup d’initiés estiment encore aujourd’hui être en réalité la fille de Cole Younger) et Ed Jim s’est lui aussi essayé à l’exploitation agricole, sans succès. Lui aussi fréquente les frères James, ainsi que les Starr, une famille de Cherokee bien connue dans la région pour ses nombreux vols de bétail. Ses fréquentations l’incitent de plus en plus vers le crime, dans lequel il plonge la tête la première en 1869 lorsqu’il abat un homme qu’il suspecte être l’assassin de son frère. Pour échapper à la justice, il fuit avec sa femme en Californie, où naitra Ed quelques mois plus tard. La famille sera à nouveau obligée d’échapper aux ennuis judiciaires deux ans plus tard puisque Jim est poursuivi pour une histoire de fausse monnaie. C’est au Texas qu’ils posent leurs bagages.
Jim n’est pas décidé à se ranger et vole la modique somme de 30 000 dollars avec l’aide de deux complices. Cette fois, et pour la première fois, May est accusée d’avoir aidé son mari dans son méfait. Ils décident alors de rester au Texas, mais de se séparer pour mieux se cacher : Jim va à Paris et May retourne à Scyene pour retrouver sa famille. Comme son mari quelques années auparavant, May se lie d’amitié avec le clan des Starr, dont les membres la font glisser vers leurs activités illicites.
Elle apprend que Jim s’est fait abattre lors d’une attaque de diligence et se lance à temps plein dans le crime : elle organise et planifie des vols, cache des hors-la-loi… elle se remarie avec Samuel Starr en 1880 et le couple sévit à la frontière entre l’Arkansas et l’Oklahoma. Ils seront tous les deux emprisonnés en 1883 pour vol de chevaux pendant neuf mois. Aussitôt libérés, ils reprennent leur mode de vie : plusieurs fois, celle qui se fait désormais appeler Belle est arrêtée pour vol. Faute de preuves, elle est à chaque fois relâchée.
1886 marque le début de la fin pour Belle. C’est au cours de cette année que Samuel trouve la mort, des suites d’une longue querelle familiale. L’année suivante, son fils Ed est condamné à sept ans de prison pour vol de chevaux (comble de l’ironie : Belle et Ed entretiennent des relations tendues, car la mère reproche à son fils ses activités criminelles). Grâce à sa puissance et sa renommée, ses avocats contactent le Président des États-Unis Cleveland. Celui-ci accorde l’amnistie à Ed qui peut repartir libre.
Le 3 février 1889, Belle chevauche sa monture après avoir fait quelques courses près de son ranch d’Eufaula dans l’Oklahoma. Un individu lui tire une balle dans le dos, elle décède de ses blessures quelques heures plus tard. L’identité de son assassin demeure aujourd’hui inconnue, bien que trois pistes sont privilégiées : Edgar Watson, avec qui elle était en conflit de longue date ; Jim July, son amant avec qui elle venait de se brouiller ; son propre fils Ed, dont la relation difficile qu’ils entretenaient est évoquée ci-dessus.
Bien que le nom de Belle Starr était connu dans la région qu’elle habitait, ce n’est qu’après sa mort que sa légende s’est construite nationalement et même au-delà des frontières des États-Unis. La police publie ses exploits, avérés ou non, dans son journal national. Très vite, le cinéma se penche sur elle : le premier film où son personnage est visible sort dès 1928. Depuis, une dizaine de longs-métrages l’ont fait apparaître à l’écran. La bande dessinée Lucky Luke lui dédie même un album complet en 1995.
Bien que le cinéma, la BD ou encore la musique aient fait de Belle Starr une légende, il convient toutefois de la nuancer : si elle n’était pas un enfant de cœur, elle n’a officiellement jamais été liée personnellement à un crime de sang. Son image de fine gâchette vient notamment de son comportement à Dallas en 1873, où elle passe son temps à boire dans les saloons et tire en l’air lorsqu’elle se promène dans la rue. Comme souvent, les faits sont là et la légende se charge de les amplifier.
Arnaud Pitout