Capitaine Charles de Gaulle : 32 mois de frustration et 5 tentatives d’évasion

Figure emblématique de la France lors de la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle fut pourtant frappé de nombreuses déconvenues durant le conflit qui la précéda. Pendant 32 mois, l’illustre chef d’État, à l’époque capitaine, fut fait prisonnier et tenta par tous les moyens de mettre un terme à cette condition qu’il jugeait dégradante et déshonorante. À cinq reprises, il s’acharna, sans succès, de rejoindre les forces françaises dans des batailles qui allaient modeler l’Europe moderne.

À cinq reprises il échoua.

Toutefois cette suite d’échecs ne doit pas faire oublier la force de détermination qu’afficha le futur Président français lorsque, après avoir été capturé à la bataille pour le fort de Douaumont, en 1916, ses espoirs semblèrent coup sur coup réduits à néant.

C’est donc au lendemain de cet affrontement que démarre un autre combat semé d’imprévus où le mental devra parfois prendre le dessus sur le corps.

Première évasion :

La même année, dans les remparts du fort n°IX d’Ingolstadt, en Bavière, de Gaulle élabore un plan sophistiqué qui lui permettra, si la chance est de son côté, de mettre un terme à son insoutenable confinement. Ce ne sera pas le cas.

Pour ce faire, il obtient, grâce aux colis envoyés par sa mère, des habits civils ainsi que de l’acide picrique, principalement utilisé dans le traitement des engelures. En outre, il se procure, par l’intermédiaire d’un garde corrompu, un uniforme allemand ainsi qu’une boussole pour se repérer dans son échappée.

Ces préparatifs accomplis, il avale une rasade d’acide et se fait transporter dans l’hôpital de garnison en compagnie de son compagnon d’évasion, le capitaine Ducret. Étant donné ses symptômes, les médecins allemands croient, en effet, pouvoir lui diagnostiquer un cas de jaunisse. Peu après, Ducret enfile rapidement une blouse d’infirmier et emmène de Gaulle, affublé de son costume de soldat allemand, vers l’aile réservée aux blessés de Verdun. Tous deux revêtent alors leurs habits civils et s’extirpent du bâtiment en se mêlant aux visiteurs venus voir leurs proches.

Le 29 octobre 1916, de Gaulle est ainsi de nouveau libre et marche pendant plusieurs jours avec son acolyte vers l’enclave suisse de Schaffhouse, située à 200 km du fort. Malheureusement, le sort lui refuse cette escapade et au 2/3 du chemin, il est saisi par des gardes allemands qui le renvoient immédiatement à Ingolstadt. Il y est condamné à plusieurs jours d’isolement et en profite donc pour s’immerger de plus belle dans ses lectures classiques et philosophiques du moment.

Son corps enchaîné, il se doit au moins de conserver la liberté de son esprit. L’occasion se présentera où il pourra rejoindre les troupes françaises et s’illustrer à la bataille.

Deuxième évasion :

C’est en juillet 1917 que se présente enfin cette occasion, après 8 longs mois de stagnation entre les murs du fort n°IX. En effet, c’est à ce moment qu’il rejoint le kriegsgefangenenlagen de Rosenberg, situé non loin de Kronach, en Haute-Franconie. Là-bas aussi on lui soutient que « d’ici on ne s’échappe pas », mais la conviction et l’assurance du jeune capitaine enchaîné n’ont d’égal que sa volonté d’évasion. Aussi, du haut de ce véritable château fort monté sur un piton escarpé, de Gaulle réfléchit à son prochain plan d’attaque.

Pour ce faire, il rassemble trois lieutenants prisonniers et leur expose les étapes nécessaires à sa deuxième évasion. Tout d’abord, il leur faudra escalader un mur intérieur derrière lequel se dresse un rempart, franchissable uniquement par le biais d’une échelle construite au préalable. Ensuite, une corde tressée à l’aide de draps, de serviettes et de couvertures, sera attachée à son sommet et les fugitifs descendront ainsi les dizaines de mètres que constituent l’à-pic bordant le château. Schaffhouse se situant cette fois non plus à 200, mais à 480 km, il leur faudra redoubler d’énergie pour accomplir la longue marche qui s’ensuivra.

Ainsi, le 15 octobre 1917, après plusieurs mois passés à obtenir le matériel indispensable à l’échappée, le petit groupe profite d’une pluie diluvienne pour se glisser dans la cour en l’absence des sentinelles, parties s’abriter. Arrivés au rempart, les fugitifs se rendent compte que la corde tissée est trop petite pour les amener en contrebas. Un des prisonniers se porte alors volontaire pour se pencher et la tenir à bout de bras alors que le reste la descend.

Une fois dehors, de Gaulle et son compagnon marchent un certain temps dans la pluie battante avant de se glisser dans un pigeonnier placé en pleine campagne. Il ne faut pas longtemps avant qu’ils soient découverts par un fermier accompagné d’un soldat allemand.

Les évadés sont alors renvoyés à Rosenberg où il leur faudra très rapidement songer à une troisième tentative avant qu’ils ne rejoignent les enceintes redoutées du fort d’Ingolstadt.

Troisième évasion :

Le 30 octobre, de Gaulle revêt alors de nouveau ses habits civils, s’affuble d’une moustache postiche et de lunettes avant de s’échapper par les barreaux sciés de sa cellule. Il en descend grâce à une corde et rejoint la cour du château où, pour tromper les gardes, il discute à voix haute avec son compagnon d’évasion. Afin de parfaire l’illusion, le capitaine s’est souvent reclus dans ses lectures de journaux allemands, y apprenant les bases de la langue germanique.

Le subterfuge est couronné de succès et le binôme se croit alors sauvé des griffes d’un calvaire bien trop frustrant. Toutefois, le sort s’acharnera de plus belle sur le capitaine et ses désirs de liberté.

À la gare de Lichtenfels, les fugitifs ont pour intention de monter à border d’un train en direction de la frontière hollandaise. Alors qu’ils se dirigent vers ses voitures, un groupe de gendarmes leur en bloque l’accès. Ils sont, à nouveau, repérés et envoyés, cette fois, à Ingolstadt.

Durant son retour forcé, de Gaulle est bien conscient de ce qui l’attend : il sera condamné à 120 jours de réclusion dans une cellule du fort n°IX.

Quatrième évasion :

Son jugement pour outrage se déroule le 30 avril 1918 ; il écopera finalement de 14 jours d’isolement.

Toutefois, les Allemands prennent la décision de fermer le camp d’Ingolstadt et de transférer ses prisonniers au fort Prinz Karl, à quelques kilomètres de là. L’endroit est légèrement plus agréable, mais le séjour ne sera que de courte durée puisqu’ils sont directement redéplacés vers la forteresse de Wülzburg, près de Weissenburg. De Gaule y fera la connaissance du capitaine Brillat-Savarin qui, depuis 1914, croupit dans ce lieu qu’il abhorre déjà.

L’éventualité de recourir au même stratagème qu’à l’hôpital d’Ingolstadt lui vient rapidement à l’esprit : il lui suffira de se fournir en habits civils et de se munir d’un uniforme allemand, comme la dernière fois.

Ainsi, le 10 juin 1918, le lieutenant Meyer, son acolyte, se déguise à l’aide d’une moustache postiche et l’accompagne alors qu’il porte une valise de vêtements civils qui leur serviront plus tard dans leur échappée.

Malheureusement, ils ne pourront éviter, dans leur chemin, de passer par un poste de police qui, de nouveau, mettra brusquement fin à leurs intentions initiales.

De Gaulle et son compagnon sont alors raccompagnés jusqu’à Wülzburg où ils seront chacun condamnés à des périodes de confinement.

Cinquième évasion :

Dès son retour, il constate qu’un large panier de linge sale quitte fréquemment le camp pour être transporté à Weissenburg. Il décide donc, avec l’aide de quelques soldats français, de s’y introduire pour quitter l’enceinte aux bras des Allemands.

Le 7 juillet 1918, il est ainsi emmené par les gardes de Wülzburg jusque la blanchisserie de la ville où il peut finalement s’extirper de son espèce de palanquin. Il enfile les vêtements civils qu’il a emportés avec lui et se dirige directement vers la gare de Nuremberg, située à 3 jours de marche. Son objectif consiste, cette fois, à s’introduire dans un train de nuit ce qui, en raison de la moindre influence à ces heures, lui permettra sûrement d’éviter les contrôles des gardes et de rejoindre le territoire allié en toute sécurité.

Toutefois, son voyage est long et pénible. Il devient fiévreux et arrive à sa destination en grelottant et en frissonnant.

Lorsqu’il s’installe dans le train, il recouvre sa bouche d’un bandeau pour éviter de devoir parler et redoute d’être à nouveau réceptionné par les gendarmes allemands qui inspectent les voyageurs. Finalement, sa crainte se concrétisera puisque peu avant le départ de la locomotive, un groupe de gendarmes pénètrent dans sa voiture, l’identifient et le capturent.

Au vu de son état de santé, de Gaulle est, cette fois, transféré dans l’infirmerie de Wülzburg où il se rétablira pendant 15 jours.

Revenu des enfers :

Le jeune capitaine ne recouvrera sa liberté qu’au lendemain de l’Armistice, le 12 novembre 1918 et ne prendra pas le temps d’attendre les ordres de rapatriement pour regagner Paris.

Une nouvelle aube s’annonce déjà pour l’Europe, il le sait. Toutefois, c’est sous un soleil pourpre que ce matin se présentera, car il n’ignore nullement que la victoire de cette guerre suscitera, chez ses anciens geôliers, un sentiment qui, durant 32 longs mois de captivité, ne le quitta jamais réellement.

Auteur : Maxime Wève

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