Casque d’or : Maîtresse des Apaches

Amélie Élie, dite Casque d’or, devait son sobriquet à sa flamboyante et altière chevelure, coiffée en volumineux cimier. Née à Orléans en 1879, elle est, dès sa naissance, prédestinée à être une femme de petite vertu. Ainsi, à l’âge de deux ans, l’enfant débarque à Paris pour s’installer avec sa grande famille dans un quartier délabré, lieu de vie de la basse classe ouvrière. Plus tard, la belle Amélie à la toison blonde fait une entrée remarquée dans le monde de la grivoiserie parisienne.

Dès sa prime jeunesse, on lui donne des surnoms peu valorisants : « crotte-de-bique » ou « pucelle », car l’adolescente n’a pas encore cédé sa vertu à un homme. Mais cela ne saurait tarder, car force est de constater, quelques années plus tard, qu’elle a tout ce qu’il faut pour réussir dans le milieu de la prostitution : un corps désirable pour l’époque, du caractère et surtout une magnifique chevelure blonde.

Après ses premières expériences sexuelles avec un certain matelot avec qui elle s’est mise en ménage à l’âge précoce de treize ans, Amélie rencontre deux années plus tard Hélène de la Courtille, une mère maquerelle qui œuvre dans le quartier de Belleville. Les deux femmes deviennent amantes et, en maîtresse éprise, Hélène lui offre un bout de trottoir : la jeune fille commence à se prostituer. La courtisane Hélène emmène sa pouliche à la crinière blonde partout avec elle, notamment à La Pomme au Lard, un bistrot qui est aussi le repère de la pègre. Casque d’or y rencontre un premier proxénète, « Dodo la saumure », mais c’est un homme de métier et les jeunes filles de quinze ans ne font pas partie de son business. C’est alors au tour de « Bouchon » de faire la connaissance d’Amélie. Fraîchement sorti de prison, séducteur, paré d’un costume élégant (et probablement volé), il lui propose sa protection. Pour Casque d’or, Bouchon est un gentleman, et c’est le coup de foudre : elle quitte alors Hélène de la Courtille.

Fou amoureux, Bouchon veut épouser la jeune femme au plus vite. Les témoins sont deux membres des bandes criminelles qui sévissent à Paris, qu’on surnomme les Apaches. Les voyous, reconnaissables à leurs chaussures qui se doivent toujours de briller, à leurs pantalons évasés et leurs casquettes, sont fidèles à leur réputation : ils placent des tickets d’omnibus dans la quête du prêtre et Bouchon ne paiera pas les cierges.

Amélie commence alors à se prostituer pour le compte de son époux. Dès lors, chacun travaille de son côté. Lui est adepte de manœuvres douteuses : vols de marchandises, reventes illégales, il vit en accord avec son statut d’Apache et n’hésite pas à commettre des actes criminels. Mais très vite, il montre à Amélie son vrai visage. La jeune femme a un certain talent pour le commerce de sa chair et, Bouchon étant très jaloux,  il la frappe. Néanmoins, sa jalousie ne l’empêche pas d’imposer un tarif à sa gagneuse : douze francs par jour. Elle enchaîne les passes, vole même des clients à d’autres prostituées (ce qui lui vaut d’être cognée par certaines), en espérant atteindre la somme escomptée par Bouchon.

Malheureusement, un soir, le compte n’y est pas. Bouchon bat Casque d’Or avec l’assistance de son compère « Gueule de bois ». Elle est frappée par l’un, puis par l’autre : le tourment de l’humiliation s’abat sur elle. Quelques mois après cet événement, elle fuit ce calvaire, craignant pour sa vie. Pourchassée par les hommes de Bouchon, elle erre pendant quatre jours dans le dédale des rues parisiennes.

Pendant ce vagabondage, Amélie rencontre Joseph Pleigneur, un jeune homme qui désire l’aider. Pleigneur, dit Manda, est, à 22 ans, le chef de la bande des Orteaux, un gang dont le seul nom fait frissonner les Parisiens de l’époque. Bouchon n’ose pas s’attaquer à Manda et cède alors Casque d’or à un dénommé Ballet qui est bien décidé à récupérer cette prostituée connue de tous, et à la faire travailler pour lui. Mais à sa première rencontre avec Manda, Ballet s’écroule dans le caniveau, poignardé.

Experte dans le domaine des fréquentations interdites, Amélie fait par la suite la connaissance du brigand Dominique Leca : les présentations sont surprenantes et arrosées.  Le jeune homme, après avoir envoyé un verre d’eau au visage de l’insolente blonde, se félicite de ses forfaits criminels, exhibe fièrement ses tatouages et malgré un comportement pour le moins grossier, il n’en faut pas plus pour séduire Casque d’or : Dominique Leca, pour son malheur, s’en éprend également.  Il quitte sa compagne, Victorine, et ne tarde pas non plus à faire la galante conquête de la volage enfant. Mais Manda, chef de la bande des Orteaux, est jaloux et refuse de rendre sa liberté à Casque d’Or. La guerre est, dès lors, inévitable entre les deux rivaux, leaders de deux gangs concurrents.

« Si Manda veut sa femelle, il n’a qu’à venir la chercher lui-même ». Trois jours après cette déclaration, Leca se fait poignarder par Manda « le Couteleur ». La tentative de meurtre échoue et donne lieu à une rixe entre les gangs. Leca est grièvement blessé mais résiste. Contre toute attente, c’est Victorine, la compagne qu’il a naguère délaissée, qui le conduit à l’hôpital…

Le lendemain, l’impatient Leca veut rentrer chez sa dévouée Victorine. Mais quelqu’un pénètre dans le fiacre qui le transporte et le frappe d’un coup de poignard à travers le bras. L’attaque est à nouveau signée Manda. Ramené à l’hôpital, Leca n’hésite plus à accuser son rival. La police se décide à arrêter le meneur de la bande ainsi que ses hommes et, en prison, les langues se délient. Leca, devinant qu’on attend sa guérison imminente pour l’arrêter à son tour, juge qu’il est temps de s’enfuir. À sa sortie de l’hôpital, il s’éclipse en Belgique à la suite d’une bagarre qui, cette fois, a dégénéré et fait une victime.  De son côté, Casque d’or change de quartier : dorénavant; elle se prostitue place de la République.

Aux assises du 31 mai 1902, au procès de Joseph Plaigneur, dit « Manda », Casque d’or parade en tailleur et affiche son succès. Manda est condamné aux travaux forcés à perpétuité. L’extravagante prostituée, que la justice n’a pas inquiétée, est pour sa part devenue célèbre. Le Paris des noceurs, toujours avide de sensationnalisme, s’est entiché de cette reine du trottoir pour laquelle des malfrats se sont battus à mort. Manda déclare lui-même devant les jurés :

« Nous nous sommes battus (…) parce que nous l’avons dans la peau ! ».

Pincé en Belgique puis reconduit à Paris, Leca est jugé et condamné à huit ans de bagne et à la relégation. Lui qui a, le 7 décembre 1902, épousé sa Victorine à la prison de Fresnes, avant d’être expédié à Cayenne, est abattu, au bout de trois ans de bagne, lors d’une tentative d’évasion. Casque d’or s’en émeut peu. Lancée dans la haute galanterie, elle aspire désormais à devenir vedette de café-concert. Manda, quant à lui, survit jusqu’en 1935, sans avoir quitté sa tenue de forçat.

Néanmoins, la nouvelle notoriété de Casque d’or ne dure pas. Un peintre, Albert Dupré, réalise son portrait à l’occasion du Salon annuel des artistes français ; toutefois, l’institution le refuse avec indignation pour « outrage aux mœurs ». De même, le Théâtre des Bouffes du Nord, dirigé par les frères Isola, fait mettre en répétition une pièce Casque d’Or et les Apaches dont Amélie devait être à la fois l’héroïne et la principale interprète. Le préfet de police Lépine, soucieux de morale publique, interdit les représentations.

En désespoir de cause, Casque d’or rejoint Louise Weber dite « la Goulue », une danseuse vieillissante de cancan populaire. Elle devient dompteuse et se produit dans la cage aux lions des ménageries de l’époque, de la « fête à Neu-Neu », fête foraine populaire de Neuilly-sur-Seine, et autres foires. On la surnomme encore la Reine des Apaches. Elle est à l’affiche de sa propre ménagerie avec son époux du moment, un dénommé José. Elle devient, dès lors, pour tous « Casque d’Or, la Tigresse ». Mais à terme, une fois encore, la police lui interdit toute représentation.

Les années passent, et Amélie est victime d’un coup de poignard du « Rouget », ancien voyou au service de Manda : on ne connaîtra jamais la raison de cette attaque, mais on peut imaginer que, depuis la galère, son amant passé veut encore lui faire payer ses écarts. Échappant à la mort, Casque d’or prend la décision de s’assagir : elle épouse en 1917 un marchand bonnetier avec lequel elle a quatre enfants et mène une vie beaucoup plus calme. Elle vécut à Paris jusqu’à son décès en 1953, dans l’anonymat le plus total. Elle avait cinquante-quatre ans.

Rares sont les témoignages de ceux qui ont connu l’ère parisienne des Apaches. Il nous reste encore celui de Mme Marie Picard, presque centenaire, réalisé en juin 1973. Cette Parisienne de Belleville, contemporaine des aventures de Casque d’or et de ses voyous, connaissait leur réputation[1].

« Qu’est-ce que Casque d’or allait à Sagaz[2] ! (prison Saint-Lazare)
- Vous êtes sûre de ce que vous dites ?
- Oh oui ! Qu’est-ce que Casque d’or allait à Sagaz !
- C’était à quelle époque ? Vous pouvez situer les années ?
- Oh ! bien vous savez, j’étais petite, je ne me rappelle plus exactement quand c’était… en quatre-vingt-quinze, à peu près. Vous savez mon père ne voulait pas que je lise ces journaux-là, ces trucs-là : ‘’Je ne veux pas, donne-moi ce journal, t’as pas besoin de t’occuper des apaches’’ et il a fait comme ça, déchiré, vlan ! Plus de journaux.
- Pour vous, qui était Casque d’or ?
- Oh là ! C’était une sale bonne femme (avec un mouvement de dégoût)
- Vous avez vu le film ?[3]
- Attendez… oui, oui, oui … !
- Est-ce qu’il vous a paru vrai, réaliste ?
- Moyennement, moyennement !
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas … Il me semble qu’elle n’était pas assez apache. Vous savez, c’était pas drôle le bal de Belleville.


[1].  Ce témoignage, dont les noms des intervenants ne nous sont pas parvenus, est extrait d’un journal parisien du milieu du XXe siècle.

[2].  On surnommait « Sagaz » la prison de Saint-Lazare.

[3].  Casque d’or est un film dramatique français réalisé par Jacques Becker, sorti en 1952. Il s’inspire de l’histoire d’Amélie Élie, dite « Casque d’Or », interprétée par Simone Signoret.

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