Aujourd’hui, nous connaissons tous cette légende selon laquelle ce souverain aurait inventé l’école, popularisée par la chanson Sacré Charlemagne de 1964.
Cependant, il faut rendre à César ce qui appartient à César, dans la mesure où cette idée reçue n’est pas contemporaine des sixties, ayant fait son apparition au sein des programmes d’Histoire dès les années 1870.
D’où provient donc l’idée selon laquelle Charlemagne aurait inventé l’école ?
De prime abord, il convient de préciser que l’école est une institution qui existe au moins depuis l’apparition de l’écriture, vers le quatrième millénaire avant Jésus-Christ (les premières régions du monde à bénéficier de cette découverte furent la Mésopotamie et l’Égypte). En effet, la transmission du savoir aux jeunes générations existait déjà à l’époque des pharaons, de la Grèce Antique ou de l’Empire romain.
Toutefois, suite à la chute de l’Empire romain, un grand nombre de savoirs se perdirent progressivement (réseaux de tout-à-l’égout, bitume, béton, verre, etc.), entraînant un net recul intellectuel pendant le Moyen Âge (d’autant qu’à cette époque les villes se vidèrent peu à peu au profit des campagnes, ce qui mit un terme aux vieilles écoles romaines).
Ainsi, pendant plusieurs siècles, les souverains qui se succédèrent à la tête des royaumes barbares ne se soucièrent guère des questions de culture ou d’éducation...
En 768 après Jésus-Christ, Pépin III mourut. Ce fut alors son fils Charlemagne qui s’empara du pouvoir. Souverain énergique, régnant pendant quarante-quatre années (un des plus longs règnes de l’histoire de France, derrière celui de Louis XIV), Charlemagne fit en sorte d’étendre les frontières du royaume, établissant partout son autorité et imposant le christianisme aux derniers peuples païens d’Europe.
Ce souverain, à la tête d’un royaume s’étendant de la Catalogne à l’Allemagne, était reconnu et respecté par les grandes puissances européennes. Irène, l’Impératrice de Constantinople, lui proposa même de l’épouser, souhaitant peut-être redonner naissance à l’Empire romain.
Mais Charlemagne, bien qu’étant un guerrier, fut toutefois un monarque administrateur, législateur et protecteur des lettres (le Carolingien lui-même apprit la grammaire, la rhétorique, la dialectique et l’astronomie).
Mais à la fin du VIIIe siècle, les écoles publiques héritées de l’époque romaine avaient disparu, l’enseignement étant alors prodigué par les monastères et des églises, mais réservé aux jeunes souhaitant épouser une carrière ecclésiastique.
Charlemagne fit donc promulguer le capitulaire Admonitio generalis (ou « exhortation générale ») en 789 : désormais, chaque évêché et chaque monastère devaient ouvrir une double école ; l’une intérieure, l’autre extérieure.
La première était réservée aux clercs[1] et aux moines (on y enseignait la théologie et les sept arts libéraux[2]) ; au contraire, la seconde était ouverte à tout venant (on y enseignait la foi, les prières, les psaumes, le chant, la grammaire, la lecture et l’écriture).
Par ailleurs, à une époque où la majorité des fonctionnaires étaient des clercs, Charlemagne décida d’améliorer la formation de son personnel : c’est ainsi que se développèrent les scriptoria, ateliers d’écriture dans lesquels travaillaient les moines copistes[3] ; en outre, afin que les fonctionnaires puissent travailler dans chaque province de l’Empire, le latin fut choisi comme langue officielle.
Dans un même ordre d’idée, Charlemagne fit ouvrir l’académie palatine au sein de son palais, contribuant à la diffusion de la minuscule caroline (cette réforme de l’orthographe eut un important succès car elle introduisait des lettres minuscules arrondies, séparées d’un espace[4]).
Toutefois, la légende s’empara rapidement de cette école palatine, qui nous est présentée de façon très différente dans la chronique Vie de Charlemagne, rédigée par le moine Nokter le Bègue.
Ainsi, l’auteur nous explique que l’école palatine était en principe réservée aux enfants de seigneurs, mais que le roi se plaisait à y introduire des enfants d’humble condition. Toujours selon cette même chronique, Charlemagne fit un jour subir aux élèves une sorte d’examen. Les enfants sans fortune avaient travaillé ferme, et ils répondirent bien. Mais les autres, fils de comtes et de ducs, échouèrent. Le roi les admonesta, vantant les mérites de leurs jeunes compagnons qui, eux, avaient réussi.
En réalité, il semblerait que cette école palatine fut en réalité bien différente. Ainsi, plutôt qu’une école au sens moderne, avec maîtres, cours et examens, cette dernière était vraisemblablement composée de copistes, de chantres[5] et de scribes, dont certains étaient en phase d’apprentissage.
À noter par ailleurs qu’il existe une confusion dans les sources d’époque entre école palatine et académie palatine (il n’y eut peut-être qu’une seule entité et non deux).
À noter toutefois que c’est cette image de l’école palatine, bien plus charmante que l’originale, qui fut reprise au XIXe siècle. C’est ainsi que Charlemagne obtint cette image de maître d’école « égalitaire » !
Au final, si Charlemagne ne fut pas l’inventeur de l’école, il parvint à remettre les études au goût du jour, ne serait-ce que pour une partie privilégiée de la population.
Ce mouvement intellectuel, qui se poursuivit jusqu’à la mort de ce souverain, au début du IXe siècle, fut baptisé renovatio dans les chroniques de l’époque (ou « renouvellement » en latin), mais il reçut le nom de Renaissance carolingienne à l’époque contemporaine.
Toutefois, contrairement à la Renaissance du XVIe siècle qui fut un mouvement intellectuel laïc, amplifié par l’apparition de l’imprimerie, la renovatio fut purement religieuse, ne touchant donc qu’un public restreint.
[1]. C’est-à-dire aux membres du clergé.
[2]. Les sept arts libéraux étaient divisés en deux catégories : le trivium (grammaire, rhétorique, logique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie).
[3]. Les moines copistes avaient pour fonction de copier des œuvres plus anciennes, d’où leur nom. Grâce à leur travail, des textes datant de l’Antiquité, et dont nous avons perdu les originaux, ont pu parvenir jusqu’à nous.
[4]. Jusqu’à cette date, les mots étaient écrits en majuscules et n’étaient pas toujours séparés.
[5]. Le chantre était un chanteur qui officiait dans une église ou une cathédrale.