Non, les nazis n'étaient pas qu'une clique de fous ou de barbares, contrairement à ce que l'on peut croire. On retrouvait parmi eux des médecins, des intellectuels, de bons pères de famille et même des gens aimables, relate l'historien français Johann Chapoutot, expert de cette période sombre du XXe siècle. L'adhésion des uns, en amont de la société allemande, a encouragé celle des autres.
Dans un entretien accordé au journal suisse Le Temps, Johann Chapoutot revient sur les fondements culturels du nazisme qui ont permis à l'époque de convaincre non seulement les masses appauvries de la société allemande et les soldats frustrés de la défaite de 14-18, mais aussi, et avant tout, les intellectuels de l'entre-deux-guerres.
Contributeurs de bonne foi
Dans La Loi du sang, penser et agir en nazi, le spécialiste analyse les motivations de ces philosophes, juristes, historiens, médecins, ces lettrés et savants qui ont contribué à la primauté de la notion de race pour structurer leur pensée et s'arroger tous les droits face aux ennemis biologiques, et ce en toute bonne foi: les nazis s'inscrivent dans un mouvement banal, qui est le retour au paradis perdu, affirme Johann Chapoutot.
Crise morale des années 20
Car l'auteur croit en la sincérité de ces intellectuels. En attestent les journaux intimes et les correspondances qu'il a pu consulter. Comme si le nazisme avait répondu à la crise morale des années 1920, à l'humiliation de la défaite, et appliqué méthodiquement le concept du racisme de plus en plus reconnu dans la première partie du XXe siècle.
Un peuple angoissé
Johann Chapoutot mentionne, comme terreau fertile du nazisme, l'extraordinaire croissance de la population allemande entre 1870 et 1914, à l'origine de cette angoisse d'être un peuple sans espace. Il décrit également le rejet des valeurs universalistes de la Révolution française, du christianisme, du judaïsme, du communisme et du siècle des Lumières, responsables selon eux de la destruction du modèle germain originel: les nazis se réclament du particularisme de la race, ils estiment que chaque race produit une morale et un droit valables pour elle, précise l'historien.
Race en péril
Pour comprendre le processus qui a amené des millions d'Allemands cultivés à adhérer au nazisme, il faut s'intéresser au discours normatif, c'est-à-dire aux normes morales et juridiques qui structuraient le crime, confie Johann Chapoutot, à savoir la légitimité et la justification de la discrimination, de la ségrégation et du meurtre pour défendre la cause allemande. Bref, ces discours et ces théories qui pointaient le péril planant sur le modèle germanique et la nécessité vitale de le défendre, de combattre pour le sauver.
Pays le plus alphabétisé au monde
L'historien rappelle que l'Allemagne était le pays le plus alphabétisé au monde à cette époque et que cette période sombre a maladroitement et trop souvent été expliquée sous le prisme de la bêtise et de l'instinct grégaire, sans prendre en compte les normes défendues par les intellectuels pour encourager cette adhésion populaire.