Pendant l’été 1954, Nicholas Winton se lançait dans une campagne, qui s’avéra veine, pour obtenir un siège dans le conseil municipal de Maidenhead, une petite ville à l’ouest de Londres, en Angleterre. Sa brochure de campagne comprenait les informations de vote de base, une photo de lui, un appel au vote de trois paragraphes et, tout en dessous, une section intitulée « détails personnels ».
Quelque part enfui dans cette section – après le détail de ses accomplissements dans la politique locale et dans les affaires, et avant ses talents d’escrime et ses services dans l’armée de l’air – on pouvait lire :
« Après Munich, a évacué 600 enfants réfugiés de Tchécoslovaquie. »
Les votants de Maidenhead ainsi qu’à peu près tous ceux qui vivaient en dehors de la ville ne prêtèrent pas grande attention à cette mention. Pourtant, cette petite phrase faisait référence à une histoire douloureuse mais inspirante, pleine de courage, de ruse et d’altruisme.
Entre décembre 1938 et septembre 1939, à l’approche imminente de la Seconde guerre mondiale, Nicholas Winton et ses associés réussirent à sauver pas moins de 669 enfants des nazis en Tchécoslovaquie.
Pourtant, personne n’aurait pu le deviner simplement en lisant cette mention très indirecte sur le dépliant de sa campagne 15 ans plus tard. De ce fait, ce ne fut que 34 ans plus tard que les médias internationaux s’intéressèrent à Mr Winton et qu’on lui rendit hommage, érigeant des statues en son nom et le surnommant « le Schindler britannique » – tout ce que Winton tentait d’éviter.
Cette position convenait à un homme qui, comme il le déclara au journal the Guardian en 2014, se disait appartenir à la dernière catégorie de l’adage « certains naissent grands, d’autres le deviennent, d’autres encore se voient imposer la grandeur ».
D’ailleurs, l’évènement qui l’incita à réaliser des missions de sauvetage permet de mieux comprendre pourquoi il se rangeait dans une telle catégorie. En effet, il suffît d’un seul coup de fil et d’un séjour au ski annulé pour que l’histoire de ses missions débute.
En décembre 1938, Mr Winton, qui travaillait alors comme courtier à Londres, où ses parents allemands et juifs avaient émigré 30 ans plus tôt, se trouvait sur le départ d’un séjour de ski en Suisse. Seulement, il reçut un appel inattendu d’un ami appelé Martin Blake – un appel qui changea définitivement sa vie.
Puisqu’il aidait déjà les réfugiés, juifs pour la plupart et originaires de la région occidentale de Tchécoslovaquie, laquelle venait d’être annexée par l’Allemagne, Martin Blake savait que la situation s’empirerait. Il demanda donc à Mr. Winton de se rendre à Prague, la capitale, plutôt qu’en Suisse.
« Sur un coup de tête », pour citer le New-York Times, Nicholas Winton accepta.
« Ne t’encombre pas de tes skis, » répondit Mr. Blake.
Sur ces mots, Mr Winton se rendit en Tchécoslovaquie. Il fut très vite horrifié de constater les conditions de vie dans les camps de réfugiés, et fut consterné de réaliser que leurs habitants ne pourraient sans doute jamais voyager sereinement à l’étranger, à cause des restrictions européennes sur l’immigration juive.
Malgré les efforts de la Grande-Bretagne pour tirer les enfants réfugiés (puisque les adultes étaient toujours soumis aux restrictions prévues dans la loi britannique) hors d’Allemagne et d’Autriche, la Tchécoslovaquie n’en faisait aucun, et sombrait ainsi dans l’engrenage nazi. Toutefois, Mr Winton – aidé de ses associés tels que Mr Blake et d’autres amis comme Trevor Chadwik et Bill Barazetti – ne négligerait aucun enfant tchécoslovaque.
Nicholas Winton et compagnie installèrent ensuite leur bureau à Prague, où ils prirent rendez-vous avec des milliers de parents désemparés. Chacun venait dans l’espoir d’arranger le transport sécurisé de ses enfants à l’étranger, tout en sachant que si une telle disposition était prises, il ne les reverrait probablement jamais.
Les nazis commencèrent à se méfier en voyant autant de parents faire la queue, et se mirent à suivre Mr Winston tout en le harcelant, lui et ses associés. Mais à maintes reprises, la vivacité de leur esprit accompagnée de quelques compliments bien placés suffit à maintenir leur opération.
Ce n’était pas la première fois que Mr Winston usait de telles tactiques afin d’agir de manière juste dans un système injuste.
Avec plus de 900 enfants enregistrés sur sa liste pour un départ, il devint temps d’assurer leur entrée sur le territoire anglais ainsi que leur résidence sur place (chez des parents adoptifs volontaires qui avaient versé 1 700 $ de dépôt qui servirait à financer le retour de l’enfant dans son pays d’origine le moment venu). Toutefois, puisque le siège social britannique tarda à répondre et à délivrer les visas, Nicholas Winton et compagnie décidèrent de les falsifier.
Quelles que soient les difficultés et peu importe si leurs moyens étaient légalement douteux, ils parvinrent à réaliser toutes les pièces d’identité pour le 14 mars 1939, lorsque le premier train transportant des réfugiés quitta Prague.
Le train passa ensuite par le nord pour traverser l’Allemagne centrale jusqu’aux Pays-Bas, où des bateaux attendaient pour transporter les enfants sur la Manche jusqu’en Angleterre. Ce premier train contenait seulement 20 enfants. Les sept suivants en transportèrent bien plus.
Toutefois, aussi réconfortant qu’eut été chaque départ, ce fut tout autant un bien tragique tableau : des parents éplorés partout sur les quais faisant leurs à dieux à leurs propres enfants, s’abonnant au tragique destin auquel ces derniers étaient à présent en train d’échapper.
Il est évident qu’ils ne fondaient pas tous en larmes – et leurs histoires font peut-être d’ailleurs partie des plus déchirantes. C’est le cas d’un des rescapés, sauvé par Mr Winton :
« Mes parents, pour me faire monter à bord, m’ont fait croire que je partais à l’aventure, en vacances chez mon oncle Hans Popper à Folkestone (Angleterre). Ils n’ont même pas versé une larme, ils ont enfui toutes leurs émotions pour ne pas m’alarmer. Je n’avais aucune idée que c’était la dernière fois que je voyais mon père vivant et qu’ils étaient destinés à l’enfer d’Auschwitz. »
Zuzana Marešová, l’une des enfants sauvées par Mr Winton, ainsi que d’autres enfants dont les parents survécurent à la guerre et qui purent donc se revoir, ont décrit le même type de scènes poignantes à la gare :
« Tous les parents pleuraient en nous disant au revoir. Je les revois encore aujourd’hui. Je me rappelle leurs mains en l’air et nos visages que l’on collait à la vitre du train, ce qui m’a fait comprendre qu’on se séparait. La phrase qu’on entendait le plus sur le quai, c’était “à bientôt”. »
Ce tableau se répéta lors du départ des huit trains suivants, le dernier étant parti fin août. Le neuvième était prévu pour septembre, mais ce jour-là, les Allemands envahirent la Pologne et la Seconde guerre mondiale débuta officiellement.
La tempête que Mr Winton et d’autres comme lui avaient senti venir de loin finît par se produire. Et ses effets furent rapides et brutaux.
« Dans les heures qui ont suivi l’annonce, le train a disparu », déclara-t-il au New-York Times en 2015.
« 250 familles britanniques ont attendu à la gare de Liverpool Street ce jour-là, en vain, rappela-t-il. Si le train était parti un jour plus tôt, il serait arrivé à destination. »
Cependant, si la plupart de ces enfants, sinon tous – ainsi qu’1,5 millions d’autres – perdirent la vie pendant l’Holocauste, l’héritage de Nicholas Winton se refléta dans les 669 enfants qu’il avait sauvés.
Il fallut cependant des décennies pour que cet héritage soit pleinement mis en lumière.
Même si son épouse, Grete Gjelstrup, et certaines personnes de son entourage proche étaient au courant, il n’en parlait pas et faisait absolument tout pour que rien ne soit divulgué.
En 1983, par exemple, c’est son travail caritatif dans une organisation d’assistance aux personnes âgées qui lui valut de devenir membre de l’ordre de l’Empire britannique – et non ce qu’il avait accompli durant l’Holocauste.
En 1988, le choses changèrent lorsqu’en fouillant dans le grenier, son épouse tomba sur ses albums secrets, remplis des noms et des photos des enfants juifs qu’il avait sauvés. Mr Winton les ignora et suggéra même qu’elle les jette.
« Tu ne peux pas les jeter !, répliqua son épouse. Elles représentent la vie d’enfants. »
Non seulement Grete Gjelstrup ne les jeta pas, mais elle les partagea avec un historien spécialisé sur l’Holocauste. Ils firent bientôt l’objet d’une couverture médiatique internationale, et pendant trois décennies, Mr Winton reçut les honneurs et les commémorations de plusieurs pays européens (ainsi qu’une planète : deux astronautes tchécoslovaques la nommèrent après lui lorsqu’ils entendirent parler de son histoire en 1988).
Il resta néanmoins très modeste face à tous évènements. « Cela devient un peu ennuyant de passer une éternité à parler de la même chose, déclara-t-il au Guardian en 2014. Mes actions se sont avérées remarquables, mais je n’en avais pas conscience sur le moment. »
Alors qu’il aurait pu monopoliser tous les projecteurs, Mr Winton préféra soutenir Doreen Warriner et Trevor Chadwick, ses associés restés sur le sol autrichien à Prague après qu’il fut rentré en Angleterre. « Je n’étais pas un héros, tout simplement parce que je n’ai jamais été en danger », déclara-t-il au journal.
Néanmoins, les hommages ont continué jusqu’à sa mort, alors âgé de 106 ans, le 1er juillet 2015, date d’anniversaire de la plus grande évacuation (241 enfants) qu’il avait organisée 76 ans auparavant.
De nouveaux hommages apparaissent encore aujourd’hui. Toutefois, de tous les honneurs qu’il reçut, celui qui captive le plus le public et met un visage sur son héroïsme de la meilleure des manières, est celui qui aida à initier l’avalanche médiatique qui se produisit juste après que sa femme eut trouvé son album en 1988.
En effet, les producteurs de l’émission télévisée de la BBC That’s Life avaient invité Mr Winton à assister à l’une de leurs émissions en faisant partie du public, sans vraiment lui en indiquer la raison – en réalité, certains des enfants qu’il avait sauvés de l’Holocauste 50 ans plus tôt le rejoindraient.
De la même manière, au moins certains des enfants maintenant adultes appelés « les enfants de Winton » ne se doutaient pas une seconde que leur sauveur serait dans le studio, dans le public, juste à côté d’eux.
Pendant les années qui suivirent cette réunion, Nicholas Winton minimisa le moment, tout comme il l’avait fait dans son dépliant de campagne en 1954, à Maidenhead. Par exemple, le court extrait de son interview avec le journal the Guardian à propos de l’évènement mentionnait simplement qu’il n’avait « pas beaucoup apprécié d’avoir été piégé pour faire sensation à la télévision – et provoquer des larmes ».
Évidemment, lors de cette réunion sur le plateau de l’émission, tout le monde avait remarqué Nicholas Winton passer deux doigts sous ses lunettes pour essuyer les siennes.
A.L.
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