Dale Maple aide deux prisonniers de guerre allemands à s’échapper, complote contre les États-Unis et fait face à un sombre jugement.
Dale H. Maple, soldat de première classe, termine la première étape de son audacieux voyage avec ses deux compagnons en franchissant la frontière mexicaine le 18 février 1944. Trois jours plus tôt, ils avaient quitté une base militaire dans le Colorado et roulé sur 800 km vers le Sud, non sans encombre (pneus crevés et pannes mécaniques). Leur périple ne faisait que commencer.
Au Mexique, les trois hommes rencontrent un douanier inquisiteur. Jugeant les réponses du soldat Maple insuffisantes, il fait alors appel aux autorités américaines, lesquelles détermineront qu’il ne s’agit pas de voyageurs ordinaires : Dale Maple est un déserteur de l’armée américaine, les deux autres des prisonniers de guerre allemands évadés, et ils se dirigent ensemble vers l’Allemagne.
L’étrange histoire de leur identité, de la manière dont ils ont atteint le Mexique et de leurs intentions finales donne lieu à une série de révélations surprenantes. Le plus choquant est d’apprendre que le soldat Maple fait partie d’une vive insurrection nazie au sein de l’armée américaine, et le principal instigateur d’un grand projet pour combattre au nom de l’Allemagne – un acte qui va d’ailleurs bien faillir lui couter la vie.
Né en 1920 à San Diego (Californie), Dale Maple avait l’art d’attirer l’attention. Lorsque ses parents lui apportent un piano à l’âge de 5 ans, il devient prodige de la musique, interprétant des morceaux de Beethoven et Chopin lors de récitals publiques. Avec un QI de 152, il est le meilleur élève du lycée de San Diego, diplômé en premier sur une classe de 585 élèves, et obtient une bourse d’études à Harvard. À l’université, il excelle en langues étrangères ; il a facilement appris à parler la plupart des langues européennes et s’est spécialisé en Allemand – sa préférée. Il éprouve un grand un intérêt pour l’Allemagne, une obsession assez curieuse étant donné que sa famille est de souche irlandaise et anglaise. Il fait également partie de la Reserve Officer Training Corps (ROTC) à Harvard. Du haut de son 1,55m pour 72kg, il est décrit comme « un jeune homme vif d’esprit au visage vermeil et au sourire facile ».
En 1939, sa première année d’études à Harvard, la guerre éclate sur le continent européen, et les Américains débattent pour savoir quelle devrait être la réaction de leur pays. La plupart veulent éviter toute implication à l’étranger. Un sondage effectué par Gallup (entreprise américaine offrant plusieurs types de services de recherche, notamment les statistiques) en janvier 1941 montre que 88% des répondants considèrent que les États-Unis devraient rester hors du conflit. Leurs voix font écho à l’America First Committee (« Comité Amérique d’abord »), composé de 800 000 membres, qui prône alors la neutralité et accuse le président Franklin D. Roosevelt de tenter d’entraîner son pays dans une guerre que personne ne souhaite. Cependant, les critiques affirment que le groupe a un penchant antisémite, pronazi. En septembre 1941, un aviateur célèbre du nom de Charles A. Lindbergh, principale figure de l’America First, s’attire les foudres en affirmant que la communité juive américaine conspire contre le pays pour le faire entrer en guerre.
Une organisation plus extrême encore : la Fondation germano-américaine, qui soutenait Hitler sans équivoque ni réserve. En février 1939, elle convie 22 000 partisans à un rassemblement au Madison Square Garden pour célébrer l’anniversaire de George Washington. « Si le président était toujours en vie aujourd’hui, il serait l’allié d’Hitler, » déclare l’un des intervenants, le révérend Sigmund G. von Bosse. D’après un comité du Congrès présidé par le représentant Martin Dies Jr., un démocrate originaire du Texas, la Fondation est un groupe très bien organisé qui a pour but de former une cinquième colonne pronazie aux États-Unis.
Les étudiants de Harvard débattent eux aussi de la place de leur pays dans la guerre, rejoignant des groupes comme le Committee for Militant Aid to Britain (« Comité d’aide militante pour la Grande-Bretagne ») ou le Committee Against Intervention (« Comité anti-intervention »). Dale Maple ne rejoindra jamais aucune organisation pronazie, mais son penchant pour les idées hitlériennes se manifeste sous d’autres formes. Il dispose par exemple un buste en plâtre du dictateur allemand dans sa chambre d’étudiant, et il assiste à une fête costumée déguisé en Hitler. Il contacte régulièrement le consulat allemand de Boston, manifestement dans le but d’obtenir de l’aide pour poursuivre ses études diplômantes à Berlin.
Il est très actif au sein du club d’Allemand de son université. Les membres évitent d’aborder la politique européenne, mais il ne peut s’empêcher de constamment exposer son point de vue nazi. La goutte de trop se produit lors d’une réunion en octobre 1940, où il ne cesse de chanter la Horst Wessel Lied, l’hymne du parti nazi. Les membres le forcent à quitter le club, mais ils en entendront parler. Dale Maple publie une déclaration dans le journal étudiant, le Crimson, réaffirmant ses opinions nazies, excusant les pires déboires d’Hitler, et affirmant que « même la pire des dictatures est meilleure qu’une bonne démocratie. » C’en est assez pour le commandant du Harvard ROTC, qui l’expulse de son unité. La presse l’apprend, et le 28 octobre 1940, le Time magazine publie le profil de Dale Maple sous le titre Making of a Nazi (« Comment il est devenu nazi »). Le FBI lui prête également attention, et estime qu’il faudra le garder à l’œil si les États-Unis entrent en guerre.
Il sort diplômé de Harvard avec grande distinction en juin 1941. Cette année-là, pendant l’été, alors qu’il se trouve à San Diego pour rendre visite à ses grands-parents, il postule un poste dans l’industrie de l’armement, pour la Consolidated Aircraft Corporation. Toutefois, sa candidature est rejetée car il représente un risque pour la sécurité. Il décide donc de retourner à Harvard pour suivre des études supérieures. Le 8 décembre 1941, un jour après l’attaque de Pearl Harbor, il téléphone à l’ambassade allemande de Washington afin de joindre l’armée allemande, mais il se fait gentiment recaler. Trois jours plus tard, Hitler déclare la guerre aux États-Unis, et comme Maple l’expliquera plus tard, « je me retrouve dans la position de quelqu’un qui espère défendre les idéaux d’un pays contre lequel le sien est en guerre ».
Au lycée (ci-dessus) et à l’université, Dale Maple participe au ROTC. Seulement, ses idées pro-Hitler de plus en plus affirmées lui coûteront sa place dans cette organisation ainsi que le club d’Allemand de Harvard – qui s’est opposé à ce qu’il chante l’hymne nazi, la Horst Wessel Lied (ci-dessous). (The Grey Castle, San Diego High School, 1937) –
(Avec la permission du département des collections spéciales, Memorial Library, Université du Wisconsin-Madison)
Dale Maple sait que l’étiquette de l’individu dangereux le suivra. Ainsi, il se dit que servir dans l’U.S. Army serait le meilleur moyen de laver sa réputation. Il s’engage le 27 février 1942 et est assigné dans une unité d’artillerie à Fort Bragg en Californie du Nord, puis comme instructeur radio à Fort Meade dans le Maryland pour ensuite être promu caporal. Malheureusement, son passé finira par le rattraper. En mars 1943, le Counter Intelligence Corps (CIC) de l’armée l’interroge, il est alors rétrogradé et envoyé dans la 620ème Engineer General Service Company à Fort Meade, Dakota du Sud.
Ce n’est rien de plus qu’une simple unité de l’armée, composée de près de 200 sympathisants nazis présumés. Certains sont des ressortissants allemands, d’autres ont été actifs dans la Fondation ou l’America First. D’autres encore, comme Maple, ont déclaré publiquement soutenir Hitler.
Aux prémices de la guerre, l’armée réalise qu’elle compte parmi ses rangs environ 1 500 soldats de loyauté incertaine. En effet, le Selective Service Act ne leur interdisat de s’engager, et ils n’avaient rien commis durant leur service qui justifiait de faire appel à la cour martiale. Cependant, en les envoyant dans des unités ordinaires, ils risquaient de les saboter ou les espionner.
Le 19 mai 1942, le secrétaire à la Guerre Henry L. Stimson ordonne la mise en quarantaine de ces soldats dans des « organisations spécialement conçues » comme la 620ème et les garde sous la « haute surveillance » d’officiers et sous-officiers loyaux. Il note alors que ces unités « seraient uniquement composées des hommes suspectés d’activité subversive ou déloyauté, et ce même si les investigations n’ont découvert aucune preuve tangible pour justifier ces soupçons ». Le CIC prend une précaution supplémentaire en créant un réseau d’informateurs secrets qui lui rapporteraient toute activité suspecte de la part des soldats. Trois compagnies de ce type seront formées aux États-Unis : la 620ème ; la 358ème ; la Quartermaster Service Company à Carson, dans le Colorado ; et la 525ème Quartermaster Service Company à Fort Leonard Wood, dans le Missouri.
Les hommes de la 620ème comprennent très vite que leur unité n’est qu’un groupe de fortune composé de soldats en qui l’armée n’a pas confiance. Lorsque Maple rejoint la 620ème dans le Dakota du Sud, il côtoie un groupe de sympathisants nazis dans lequel on retrouve Theophil J. Leonhard, Paul A. Kissman et Friedrich W. Siering. Né en Allemagne, Theophil Leonhard, âgé de 30 ans, avait rejoint les États-Unis quand il était enfant et, plus tard, enseigné la science politique à l’Université du Texas. En s’enregistrant comme ennemi étranger en 1942, conformément à la loi, il avait indiqué qu’il « continuait de prêter allégeance » au Reich allemand. Paul Kissman, un inspecteur du froid de 28 ans originaire d’Erie, en Pennsylvanie, avait passé plusieurs années en Allemagne et était affilié à la Fédération. Friedrich Siering, un machiniste de 27 ans originaire de Chicago, était né et avait suivi son éducation en Allemagne. Maple est donc le seul du groupe qui n’a aucun parent allemand et n’a jamais mis les pieds en Allemagne.
En décembre 1943, la 620ème est transférée au camp Hale dans le Colorado. Construit en 1942, le camp accueille 16 000 soldats, dont les troupes de ski de la 10ème Division de Montagne, un détachement de la Signal Corps et une unité de la Women’s Army Corps (WAC). Elle abrite également un camp de prisonniers de guerre avec 200 détenus de l’Afrika Corps.
Un panneau (ci-dessus) du camp Hale (ci-dessous) reflétant des sentiments que ni Maple ni certains hommes de son unité, ou des prisonniers de guerres de l’Afrika Corps détenus tout près, ne partageaient. (R. G. Zellers / Stephen H. Hart Research Center at History Colorado)
(Colorado Snowsports Museum – « musée des sports d’hiver du Colorado »)
Les fidèles soldats de la base connaissent la vraie nature de la 620ème et considèrent ces hommes comme des traitres, ce qui pousse à l’exclusion, aux insultes et aux bagarres. L’armée les considé elle aussi comme des soldats de seconde classe. Elle leur assigne les mêmes travaux qu’aux prisonniers, comme désherber, couper du bois et balayer, et leur fournit les mêmes uniformes de travail en jeans – seules différences : celui de la 620ème n’est pas marqué d’un « PW » (war prisoner – prisonnier de guerre) au dos et elle est libre d’aller et venir comme n’importe quel autre soldat.
Malgré l’interdiction de l’armée, la 620ème et les prisonniers fraternisent. En effet, le grillage des seconds se trouve à deux pâtés de maison seulement des casernes de la première. De plus, de nombreux Américains parlent l’allemand et effectuent les mêmes tâches que les prisonniers. Le 31 décembre 1943, Theophil Leonhard et Friedrich Siering libèrent un prisonnier avec qui ils s’étaient liés d’amitié, lui font enfiler un uniforme américain et l’emmènent à l’Eagle, dans le Colorado, pour fêter le Nouvel an pendant trois jours, aux frais de Theophil. Ils rentrent et ramènent le prisonnier au camp Hale le 2 janvier 1944, sans que l’armée de se rende compte de rien.
Quelques jours plus tard, les évènements prennent une tournure plus séditieuse lorsque, le 8 janvier, le groupe se réunit secrètement dans une chambre du Denver’s Shirley-Savoy Hotel, accompagnés d’une délégation de la 358ème – l’unité de sympathisants nazis présumés dans le camp proche de Carlson. Les hommes avaient affiché une croix gammée, porté des toasts à Hitler avec du champagne, et élaboré un plan ambitieux. La 358ème devait organiser une mutinerie au camp Carson pour faire diversion. Lorsque les troupes du camp Hale se seraient ruées là-bas pour aider à calmer la rébellion, la 620ème, aidée des prisonniers, devait ensuite mener la guérilla dans les Rocheuses. Ils espéraient, comme le précisera le soldat Maple, « perturber l’économie interne et le moral du pays à tel point qu’il lui serait impossible de participer à la guerre… ».
Ce plan extravagant n’ayant jamais dépassé l’étape des discussions, le groupe élabore alors une version plus envisageable : Maple déserterait avec deux prisonniers pour voyager jusqu’en Allemagne en empruntant la seule route disponible et détournée via le Mexique, l’Argentine et l’Espagne. Une fois sur place, il mettrait en contact les espions allemands et la 620ème pour du sabotage. Le groupe réussirait à échapper à la vigilance du réseau d’informateurs du CIC dans le camp Hale grâce à la petite amie d’un homme de la 620ème, qui lui a confié des informations sur le système de surveillance.
Dale Maple emprunte de l’argent à ses parents pour financer le voyage, prétextant une dette envers son université. Theophil Leonhard, qui connaissait un peu le Mexique pour avoir passé quelques années au Texas, briefe Maple sur la topographie des lieux, dresse une liste de ce dont il aura besoin, et lui indique un prêteur sur gage à Denver chez qui se procurer des armes. Vers la fin du mois de janvier 1944, Maple donne 50 dollars à Paul Kissman, lequel achete du matériel pour le voyage, dont un revolver. Le 12 février, Kissman et Maple se rendent à Salida, dans le Colorado, pour s’approvisionner davantage : un pull jaune taille femme, une écharpe, et un sac à main pour déguiser en femme l’un des prisonniers évadés. Le jour suivant, ils visitent Salida une nouvelle fois. Maple achète une voiture – une berline Reo 1934 couleur brun roux – pour 250 dollars, avec 5 dollars de taxes (environ 300 euros).
Deux jours plus tard, Maple met son plan à exécution. Le 15 février, Kissman le couvre et il quitte en douce son travail de détail dans une scierie du coin. Il quitte la base en voiture et rejoint les deux prisonniers allemands, Heinrich Kikillus, 33 ans, et Erhard Schwichtenberg, 25 ans. Ils montent dans la Reo et Maple roule vers le sud en passant par le Colorado et le Nouveau Mexique. Ils discutent en allemand, mangent et dorment dans le véhicule les 15 et 16 février. À cause du rationnement, les pneus ont du mal à tenir, et ils doivent réparer plusieurs crevaisons sur le trajet. Lorsque la Reo tombe en panne au Nouveau Mexique, ils reçoivent l’aide d’un agent de douane américain en dehors de son service pour la redémarrer. Environ 20 km avant la frontière, la voiture rend définitivement l’âme et ils traversent la frontière à pied.
Le 18 février à 16h30, Maple et les prisonniers tombent sur Medardo Martinez Mejia, un agent de douane mexicain, près de la ville frontalière de Palomas, au Mexique. Coiffé d’un chapeau, la tête baissée pour cacher son visage et feignant l’accent allemand, Maple se présente comme Edward Mueller et communique des informations qu’il tient d’un prisonnier de guerre : il explique que lui et ses compagnons cherchent du travail au Mexique. Les doutes de l’agent Mejia se manifestent lorsque les trois hommes ne peuvent pas lui présenter de passeport. Ils s’accentuent, ainsi que pour d’autres agents douaniers, lorsque Maple change sa version et affirme qu’ils se rendent en Allemagne. Les autorités mexicaines appellent alors William F. Bates, un agent de l’immigration américain, qui conduit les trois hommes au Nouveau Mexique. Maple explique à l’agent Bates que lui et ses compagnons sont des réfugiés juifs d’Europe, mais celui-ci pense qu’il pourrait s’agir des prisonniers allemands récemment évadés d’un camp d’Amarillo, au Texas.
Pendant cinq heures, l’agent du FBI Delf A. « Jelly » Bryce fait mijoter Maple, lequel finira par abandonner son accent allemand et révéler sa véritable identité. Il avoue ses activités subversives et incrimine ses complices. Il a même volontairement dévoilé un plan qu’il affirmait avoir élaboré afin de paralyser le système ferroviaire américain, essentiel au transport des troupes et du matériel militaire. L’agent Bryce est sceptique, mais Maple dessine une carte indiquant les ponts et les jonctions qui, une fois détruites, immobiliseraient la circulation des trains. Le FBI arrête Maple et le mettent en examen devant une cour fédérale pour trahison.
Une lettre en possession du prisonnier Schwichtenberg confirmera ces motifs d’évasion. Écrite en allemand par Leonhard puis confiée à Schwichtenberg pour la transmettre aux autorités nazies, elle présente Leonhard comme « le leader du groupe, prêt à tout risquer pour l’Allemagne ». Si les officiers allemands le contactaient, « tout serait possible », écrit Leonhard, qui admettra plus tard que par « tout », il entendait notamment sabotage et espionnage. Il se vante ensuite en disant : « le temps venu, je donnerai volontiers et sans hésiter ma vie pour l’Allemagne ».
Les plans pour créer un soulèvement et mettre fin à la guerre aux États-Unis se transforment pour Maple en tentative de rejoindre l’Allemagne, accompagné de deux prisonniers de guerre en fuite, Erhard Schwichtenberg (ci-dessus) et Heinrich Kikllus (ci-dessous). Résultat : ils sont arrêtés – et photographiés. (AP Photo)
(AP Photo)
À la suite de l’arrestation de Maple, l’armée effectue une descente dans les casernes de la 620ème et le complexe des prisonniers. Seulement, la 620ème l’avait anticipé et détruit toutes les preuves potentielles. Les prisonniers allemands aussi, mais avec un peu moins de minutie. Cachés dans un mur, l’armée retrouve 20 gallons de fruits fermentés destinés au commerce illicite d’alcool et des lettres d’amour de cinq soldates de la WAC, qui seront traduites plus tard devant la cour martiale pour leur indiscrétion.
L’accusation criminelle du FBI contre Maple ne l’arrange pas, un procès civil étant public. En effet, toute divulgation de la présence d’un sentiment nazi ou de subversion au sein de l’U.S. Army embarrasserait l’armée et offrirait à l’Allemagne une aubaine de propagande. L’affaire est alors transférée à une cour militaire, qui se réunira à huis clos. L’armée accuse Maple en vertu des articles de guerre pour les équivalents militaires de trahison (Article 81) et désertion (Article 58), toutes deux passible de la peine de mort.
Le procès débute le 17 avril 1944 au Disciplinary Barracks of Fort Leavenworth, dans le Kansas, le temps qu’un tribunal composé de deux généraux, sept colonels et trois lieutenants-colonels soit formé. Les deux prisonniers allemands témoignent contre Maple, tout comme Leonhard, Kissman et Siering. Les procureurs présentent un dossier en béton, mais Maple pense pouvoir en changer l’issue.
Il prend la barre et raconte une histoire invraisemblable, jurant avoir agi comme un patriote américain pour se justifier ainsi que sa tenue. Il décrit la 620ème comme « deux-cents hommes très compétents, honnêtes et fidèles », parmi lesquels figurent quelques hommes déloyaux, et affirme que l’armée avait stigmatisé toute la compagnie comme des traitres. En se faisant passer pour un nazi, ajoute-t-il, « j’étais accueilli à bras ouverts par les plus radicaux, et prenais connaissance de tous leurs plans et projets ». Il espérait, témoigne-t-il, qu’« en communiquant cette information aux autorités compétentes au bon moment, je pourrais prouver ma loyauté envers mon pays ».
Son évasion, insiste Maple, faisait partie de son plan, orchestré de manière à se faire arrêter et juger pour trahison à la cour fédérale. « En gardant ainsi toute la lumière des projecteurs, je me présentais comme seul responsable afin de [disculper] la 620ème », déclare-t-il. Il savait que ses actes pourraient être incompris, mais il était « si confiant quant au verdict et l’esprit de justice du peuple américain que j’étais prêt à prendre le risque », ajoute-t-il.
Les procureurs le confrontent ensuite avec une lettre qu’il avait écrite à l’attention de Kissman en attendant son procès. Dedans, Maple présente son plan pour duper les juges, priant Kissman, Leonhard et Siering de jouer le jeu. « Me servirai de l’angle de l’américanisme abusif », écrit-il. « Préviens les autres : on va les berner ». Cette lettre, conclura plus tard une commission de révision de l’armée, « a exposé l’arnaque que constituait sa défense ».
Sa crédibilité étant mise en doute, l’avocat civil de Maple, Humphrey Biddle, joue sa dernière carte : celle de la folie. « Aucun être humain avec le même bagage et toute sa tête n’aurait fait ce qu’il a fait », soutient l’avocat, sans convaincre les juges. Le 8 mai 1944, ils reconnaissent Maple coupable des deux chefs d’accusation et le condamnent à mort par pendaison, faisant de lui le seul soldat américain condamné à la peine capitale pour trahison pendant la guerre.
L’armée ne lésinait pas sur la peine de mort : entre 1941 et 1946, elle exécute 140 soldats pour viol et meurtre, et un pour désertion. Le destin de Maple repose entre les mains des autorités qui réexamineront sa sentence. Le 22 juin 1944, un Conseil d’examen de quatre officiers la confirme, mais la décision finale revient au président Roosevelt.
Puisque l’affaire est transférée à la Maison Blanche, Maple se déniche un bienfaiteur improbable : le major général Myron C. Cramer, le juge-avocat général de l’armée. Cet avocat de 63 ans n’est pas un tendre. C’est lui qui a jugé les huit saboteurs allemands qui ont atterri en juin 1942 sur Long Island, en Floride. Il a vigoureusement requis la peine de mort, et six d’entre eux sont rapidement exécutés en août 1942. Après la guerre, il sera juge pour l’International Military Tribunal for the Far East, qui condamnera à mort sept dirigeants politiques et militaires japonais.
Myron Cramer estime que l’affaire Maple mérite une forme de justice plus bienveillante que celle que lui aurait offerte ses héros nazis. « Je pense que la justice sera mieux rendue écrit-il au président, si sa vie est épargnée, afin qu’il puisse témoigner de la destruction que la tyrannie engendre, du triomphe des idéaux contre lesquels il désire s’aligner, et de la victoire finale de la liberté dont il a si grossièrement abusé ». Le président Roosevelt en convient, si bien que le 18 novembre 1944, il modifie la sentence de Maple pour la prison à vie et un renvoi forcé de l’armée (dishonorable discharge). Il est alors envoyé au centre pénitentiaire fédéral de Leavenworth pour purger sa peine en tant que prisonnier numéro 61364-L.
Maple est condamné à la « pendaison par le coup jusqu’à ce que mort s’en suive » – mais le juge-avocat général de l’armée, le Major général Myron C. Cramer, est d’avis qu’une sentence plus appropriée serait de l’épargner pour qu’il témoigne du triomphe des États-Unis. (AP Photo)
Maple n’est pas le seul à subir des conséquences. Leonhard et Kissman sont tous deux condamnés à la prison à vie et leur renvoi forcé de l’armée pour l’avoir aidé à mettre en œuvre son plan et organiser son évasion. L’armée n’a pas directement établit de lien avec Siering, mais ce dernier a écopé de 10 ans de prison et un renvoi forcé de l’armée pour son escapade avec deux prisonniers allemands au Nouvel an.
L’armée démantèle la 620ème – ainsi que la 525ème et la 358ème – peu après l’arrestation de Maple, et réassigne les hommes à une unité unique, le 1800ème Engineer General Service Battalion. Les germano-américains de cette nouvelle compagnie sont assignés à un camp de Bell Buckle, dans le Tennessee, où ils s’occupent de réparer les fermes endommagées par des manœuvres militaires. Après la guerre, le gouvernement asséne le coup de grâce à ces soldats : la blue discharge (littéralement : « démobilisation bleue »). Elles doivent leur nom à la couleur de leur papier d’impression, et ne sont considérées ni comme honorables ni déshonorantes ; pourtant, elles privent ces hommes de certains privilèges comme le G.I. Bill.
En 1946, l’armée écourte les peines des soldats incarcérés dans les pénitenciers fédéraux pour des condamnations prononcées par une cour martiale. Ainsi, Maple quittera Leavenworth le 8 octobre 1950 ; Leonhard, Kissman et Siering seront également libérés autour de cette date.
Maple tire très vite un trait sur son passé. Il décroche un emploi à la National Steel & Shipbuilding Company de San Diego et développe une expertise en assurance maritime. En 1964, il devient gestionnaire d’assurance pour l’American National General Agencies et prendra sa retraite en 1978 en tant que vice-président. Durant ses dernières années, il s’adonne à l’informatique et la fabrication d’orgues, mais refuse d’aborder sa veine évasion. Il mourra en 2001.
La tentative de Maple de mener les prisonniers évadés du Colorado à l’Allemagne lui aura coûté six années de sa vie ; cela relevait de la folie de toute façon, un plan grandiose et plein d’illusions voué à l’échec. Des 435 788 prisonniers allemands détenus sur le sol américain pendant la guerre, 2 222 se sont échappés. La plupart sont retrouvés et capturés en quelques jours seulement, et aucun ne rejoindra l’Allemagne. Maple n’était pas aussi intelligent qu’il le pensait.
L’agent Delf E. « Jelly » Bryce (à droite) avait la réputation du tireur le plus meurtrier du FBI ; son chef d’accusation mentionnait la distinction, contestable, du seul soldat américain à être condamné à mort pour trahison. (ACME / Getty Images)
S.B.