Qu’ont en commun Haïti, petit pays situé au sud de Cuba et à l’est de la Jamaïque, et le Liechtenstein, principauté d’à peine 25 kilomètres de long entre la Suisse et l’Autriche ? A priori, pas grand-chose. C’est vrai, ces deux pays ne partagent pas la même culture, ne parlent pas la même langue, ne sont même pas situés sur le même continent. Et pourtant, il existe un lien très particulier entre les deux nations, découvert complètement par hasard aux Jeux olympiques de 1936.
Cette année-là, les JO ont lieu à Berlin, en pleine Allemagne nazie. Hitler compte bien se servir de cette vitrine pour promouvoir ses idées à travers le monde. Selon lui, l’Homme supérieur, l’Aryen, est de « race » blanche. Malheureusement pour lui, la plus grande star de ces quinze jours de compétition est Jesse Owens, un athlète américain noir. Il y remporte quatre médailles d’or : le 100 mètres, le saut en longueur, le relai 4x100 mètres et le 200 mètres, épreuve qu’il écrase en devançant son plus proche poursuivant de quatre dixièmes. Il faut attendre Usain Bolt aux JO de 2008 pour voir un vainqueur de cette course avec plus d’avance sur son dauphin.
Malgré le phénomène venu des États-Unis, la plus grande surprise de la quinzaine olympique berlinoise s’est déroulée lors de la cérémonie d’ouverture. Comme le veut la tradition, l’intégralité des athlètes défile dans le stade afin de se présenter une première fois au public. Chaque pays suit son « chef de file », l’un des meilleurs espoirs de médaille du pays qui joue le rôle honorifique de porte-drapeau. Les pays représentés apparaissent les uns après les autres dans le stade berlinois en suivant un ordre alphabétique. Vient le tour d’Haïti, dont la modeste délégation participe pour la quatrième fois d’affilée aux Jeux olympiques. Rien d’anormal à signaler, les quelques athlètes du pays réalisent un tour de l’anneau en marchant et saluant les spectateurs présents, dont Adolf Hitler. Lorsqu’apparait le Liechtenstein, qui participe lui pour la toute première fois de son histoire à la plus grande fête sportive du monde, les spectateurs sont un peu perdus. Ils pensent avoir déjà vu ces sportifs défiler et se demandent pourquoi ils repassent devant eux. Et pour cause : Haïti et la petite principauté ont exactement le même drapeau !
Il s’agit d’un drapeau de forme rectangulaire composé de deux bandes horizontales. Celle supérieure est bleue et l’inférieure est rouge. Aucun signe distinctif, rien ne permet de distinguer les deux symboles. Évidemment, cela créée quelques problèmes, tout d’abord sportifs : le public, parfois situé assez loin du lieu des épreuves, se réfère avant tout au drapeau qu’on lui montre pour savoir quel athlète il regarde. Évidemment, lorsqu’un sportif haïtien et un homologue liechtensteinois sont tous les deux inscrits sur une même course, cela pose quelques difficultés pour suivre les résultats. Au-delà du sportif, les autorités des deux pays prennent ce « problème » très à cœur. Les deux pays décident de rajouter un symbole sur son drapeau afin de se différencier de l’autre.
Au Liechtenstein, les couleurs bleues et rouge sont selon toute vraisemblance utilisées en référence aux armoiries de la famille princière du XVIIIe siècle. Haïti adopte ces couleurs au début du XIXe siècle. Il s’agit du drapeau tricolore français dont on a découpé la partie blanche, symbole de la « race blanche » et que l’on a posé à l’horizontale. Ce geste fort est réalisé en 1803, juste après la Révolution haïtienne qui donne l’indépendance au pays.
Ces deux drapeaux ne changent donc pas jusqu’à la fameuse cérémonie d’ouverture où deux pays qui ne se connaissaient pas découvrent qu’ils avaient exactement les mêmes symboles pour se représenter. À ce moment, le Liechtenstein décide d’ajouter une couronne en haut à gauche de la partie bleue afin de se distinguer d’Haïti. De son côté, le pays des Caraïbes floque ses armoiries en plein centre où on peut voir un bonnet de la liberté, signe d’une volonté d’émancipation de cette ancienne colonie française.
Depuis, les deux délégations se retrouvent toutes les deux à quatre ans pour une nouvelle édition des Jeux olympiques, d’été et d’hiver. La skieuse Tina Weirather vient d’ailleurs d’apporter à son pays une première médaille depuis quarante ans, ce qui a permis au Liechtenstein de pointer à la vingt-sixième place du tableau des médailles des JO de 2018 à Pyeongchang.
Un article d'Arnaud Pitout.