Dans les jungles profondes et humides du Vietnam, les Américains furent confrontés à un environnement particulièrement hostile qui, malgré sa ressemblance avec les îles du Pacifique, ne leur permit, cette fois, nullement d’asseoir leur domination. Nombreux furent les marines qui s’y aventurèrent pour ne jamais en revenir, piégés soit par ses méandres inextricables, soit par ses habitants hargneux et pugnaces : les Vietcongs. Dans le deuxième cas, la mort était souvent perçue comme une échappatoire bienvenue car il n’était pas rare qu’à l’enfermement s’ajoute les sévisses d’une torture constante et atroce aux mains de l’ennemi. Ainsi, lorsque la malaria ou la famine ne venaient leur offrir une telle porte de sortie, les prisonniers de guerre pouvaient toujours compter sur l’infection de leurs plaies pour échapper à cet enfer tropical… ou sur leurs stratégies d’évasion !
Rares sont les individus à avoir survécu ou réchappé à de telles conditions ; dans tous les cas, les séquelles psychiques finissaient toujours par les rattraper. Mais il se trouve un soldat américain qui, le premier, brava cette hostilité autant naturelle qu’humaine en survivant six mois à la famine, à la dysenterie et à ses poursuivants. Son nom est Dieter Dengler et ceci est son histoire.
Le 1er février 1966, sous les ordres de la United States Marine Corps, il décolle de l’USS RANGER avec pour mission d’effectuer une opération aérienne à la frontière entre le Laos et le Vietnam. Accompagné des membres de son escadrille, il s’apprête à verrouiller sa cible lorsque la fumée émanant des champs en feu réduit considérablement sa visibilité. Il perd alors tout contact visuel avec ses compagnons et est touché par des tirs antiaériens. En conséquence, son avion s’écrase en territoire laotien et il lui faut débuter son combat contre la faune et la flore locales.
Rapidement, il est capturé pas les forces du Pathet Lao et enfermé dans un camp de prisonniers avec deux autres détenus américains, trois prisonniers thaïlandais et un prisonnier chinois. Ses deux compatriotes se nomment Eugene DeBruin et Duane W. Martin.
Enfermés dans des cages de bambou, les prisonniers sont régulièrement torturés de manières aussi diverses que sadiques. Toutefois, à ces méthodes de châtiment corporel s’ajoutent d’autres maux bien moins palpables. De fait, la famine contraint souvent Dengler et ses compagnons à chasser des rats ou des serpents à l’aide de bouts de bambous aiguisés. Parallèlement, l’hygiène désastreuse qui règne dans ce lieu est également responsable de nombreux cas d’infections et de dysenterie puisque Dengler et ses compagnons de fortune n’ont parfois pas d’autre choix que de dormir dans leurs propres excréments. En outre, lorsque les moustiques s’invitent dans cet environnement déjà bien sordide, la malaria représente aussi une menace bien réelle pour la santé vacillante des prisonniers.
C’est dans cette atmosphère que Dieter Dengler propose une évasion de ce lieu maudit.
Toutefois, cette évasion se doit d’être organisée dans les plus brefs délais. En effet, le caractère pressant de ce projet s’explique par la présence de trois facteurs : l’amenuisement des provisions, l’approche de la mousson et la précarité de leur situation.
Ainsi, le 29 juin 1965, Profitant d’un moment d’inattention durant lequel les gardes se rendent à la cuisine sans leurs armes, Dieter et ses hommes se défont de leurs liens et abattent quelques gardes avant de s’enfuir en plusieurs groupes.
Martin et Dengler s’aventurent donc à deux dans l’hostile jungle qui borde le camp. Leur objectif est de parvenir au fleuve Mékong d’où ils pourront s’échapper par la Thaïlande. Toutefois le groupe ne réussit jamais qu’à s’éloigner de quelques kilomètres de son point de départ.
Désespérés et à bout de forces, ils poursuivent leur route vers un petit village indigène où ils décident de s’arrêter pour voler de la nourriture. Il s’agit là d’une mauvaise idée, Dengler le sait. Néanmoins, la malaria affaiblit peu à peu son compagnon et il s’avère donc nécessaire qu’il reprenne des forces.
Ils sont malheureusement repérés par les autochtones qui, dans un élan de cruauté, décapitent Duane Martin et livrent ainsi Dengler à une solitude aussi profonde que la jungle qui l’abrite. Pendant plusieurs jours il échappe ensuite à ses poursuivants et parvient même à leur voler quelques provisions.
Enfin, le 20 juillet, au terme de vingt-trois jours de cavale et de survie dans la jungle laotienne, une escadrille de deux skyraiders de l’Air Force américaine observe une tache blanche dans la végétation touffue de la flore en contrebas. Le commandant de cette escadrille, Eugene Peyton Deatrick, survole à nouveau la zone et repère un homme agitant un objet blanc. Dieter Dengler est alors secouru par une équipe de sauvetage et pris en charge par une unité de soin médical.
Ce n’est pourtant qu’à son arrivée à l’hôpital de Da Nang, au Vietnam, que l’identité de Dengler est confirmée. Les médecins, au vu de son état de malnutrition avancé et des parasites qu’il a contractés, décident de le rapatrier par avion aux États-Unis.
La fin de sa vie, à l’instar de cet épisode marquant, est dominée par les lois de la tragédie. En effet, atteint de Sclérose latérale amyotrophique, un trouble neurologique incurable, il lui est bientôt impossible de se déplacer sans son fauteuil roulant. Le sens de l’honneur et la dignité de Dengler lui dictent d’opter pour une fin à l’image de son supplice : romanesque et spectaculaire.
Il se donne ainsi la mort le 7 février 2001 et est enterré au cimetière national de Arlington dans les plus grands honneurs.
Auteur : Maxime Wève