Juin 1947, Douglas Chandler qui, durant quatre ans, sous le nom de Paul Revere, occupa les antennes de la Reichsrundfunk, est reconnu coupable de trahison par la Cour fédérale de Boston. Dix-sept audiences mouvementées n’ont pas eu raison de ce que la presse nomme son insolence, et de ce que lui-même appelle sa bonne foi.
Douglas Chandler n’est certes pas l’un de ces pauvres bougres que l’on peut acheter pour un morceau de pain. Né en 1889 dans une bonne famille de Chicago, il disposait d’une certaine fortune. Ses travaux de journaliste, sans ne lui avoir jamais apporté la grande notoriété, avaient fait sortir son nom de l’obscurité, notamment grâce à ses articles dans le « National Geographic Magazine ». La crise de 1930, qui le ruina partiellement, lui ouvrit les yeux sur la situation politique de son pays. Écœuré, dit-il, par « le brouillard antiaméricain sorti des marais de la subversion judéo-bolchevique », il s’embarqua, un beau jour de 1931, pour l’Europe, accompagné de sa femme et de ses deux enfants, Laurette et Patricia.
Douglas Chandler lors de son procès
Ils s’installèrent d’abord en France, dans le joli petit village de Vence, au-dessus de Nice. Ils y passèrent une année heureuse, puis poursuivirent leur voyage vers l’Allemagne. Chandler y entra naturellement en contact avec les nombreux journalistes américains qui visitaient le Reich, ainsi qu’avec Rolf Hoffman, attaché au Ministère de la propagande et chargé des relations avec la presse étrangère. Il étudia avec assiduité le système social allemand, la « Kraft durch Freude », l’organisation du travail, les camps de jeunesse et s’en montra fort impressionné.
Douglas Chandler reconnut sans peine l’admiration qu’il éprouva pour le redressement de cette Allemagne que lui-même, en tant qu’officier de marine de la Première Guerre mondiale, avait contribué à vaincre. 1933, c’était l’époque de la grande foi nationale-socialiste, l’époque où le nazisme devait encore lutter pour s’imposer, l’époque de la « pureté ». Parti d’Amérique dans un moment de dépression et de dégoût, Chandler vit se dérouler en Allemagne précisément ce qu’il aurait souhaité pour sa propre patrie, et subit l’envoûtement des mythes de la vieille Germanie, soudain réveillée par ces centaines de milliers de jeunes hommes qui chantaient sous la forêt de drapeaux de Nuremberg.
Durant un séjour d’été à Starnberg, en Bavière, la famille Chandler fit la connaissance du consul général américain à Munich, M. Robert Longyear, et se lia d’amitié avec lui. M. Longyear se montrait lui-même impressionné par la situation économique et politique de l’Allemagne et cherchait, en vain, les signes de la misère et du mécontentement populaire que ses instructions lui recommandaient de découvrir. Chandler et Longyear s’en allèrent même ensemble visiter le camp de concentration de Dachau, virent les prisonniers à leur repas et à leur travail, examinèrent à loisir les baraquements.
À la fin de l’été, Chandler se rendit en Autriche où, à sa grande surprise, il observa que la population appelait l’Anschluss de tous ses vœux, puis à Budapest où il recueillit de nombreux souvenirs sur le règne éphémère de Bela Kun et ses horreurs. À Tirana, il fut l’hôte durant plusieurs semaines du ministre des États-Unis, M. Post Wheeler, dont les propos l’auraient confirmé dans ses craintes de domination communiste sur le monde. Puis, il retourna en Allemagne.
Photo de Douglas Chandler pour le National Geographic Magazine
Là, en 1935, après avoir assisté au Congrès de Nuremberg, Chandler fut invité à un congrès « anti-komintern » qui tint ses assises au bord du lac de Starnberg. 40 délégués de 14 nations y discutèrent durant une semaine du danger communiste dans leurs pays respectifs.
« L’impression que fit sur moi ce congrès a indubitablement contribué beaucoup à la décision, prise six ans plus tard, de parler au micro en Allemagne, avec l’intention de travailler à la protection de mon propre pays en lui faisant connaître tout ce que j’avais recueilli durant mes voyages en Europe sur les démons du bolchevisme ». (Douglas Chandler 1945)
Ses voyages ne s’arrêtent d’ailleurs pas là. En 1936, Chandler part pour l’Afrique du Nord, non sans avoir retrouvé, à Marseille, ce bon M. Longyear. Il visite l’Algérie, le Maroc, et se trouve à Tanger lorsqu’éclate l’insurrection franquiste qui rend impossible sa tournée projetée en Espagne. À Tanger, Chandler et sa famille seront les hôtes de M. Blake, ministre américain.
De capitale en capitale, Chandler et sa famille itinérante poursuivent leur promenade à travers le monde. En 1940, la guerre les surprend à Florence. De là, Chandler se résout à écrire à Rolf Hoffman et à ses amis de Buelow pour leur demander s’ils ne voyaient pas quelque possibilité pour lui de parler à la radio allemande et de contribuer ainsi au maintien de la paix.
Il faut croire que les Allemands avaient, sur ce point, les mêmes préoccupations « humanitaires » que Chandler, car ce dernier ne tarda pas à recevoir une réponse favorable de Berlin et un Fremdenpass du consulat d’Allemagne à Florence. À la fin de février, il arriva à Berlin où ses amis de Buelow le présentèrent immédiatement au Dr Froelich qui était chargé de la liaison avec les journalistes étrangers au département de presse du ministère de la propagande. Puis, avec le futur général Ditmar, chroniqueur militaire de la Reichsrundfunk et son adjoint, le Dr de Witzleben, Chandler mit au point le programme de ses émissions.
Photo de Douglas Chandler pour le National Geographic Magazine
Le Dr Froelich insista pour qu’il choisisse un pseudonyme afin « d’aiguillonner la curiosité de ses auditeurs américains ». Sans doute était-ce tout simplement que la réputation de Douglas Chandler ne lui paraissait pas suffisamment établie.
Le 26 avril 1941, la voix de Paul Revere lança son premier appel à l’Amérique, précédée d’un galop de cheval et du refrain du « Yankee doodle ». On allait l’entendre pendant quatre ans.
Yankee doodle :
La voix de Paul Revere (Douglas Chandler) :
Quels furent les thèmes des discours de Douglas Chandler ? Jusqu’à la déclaration de guerre du Reich aux États-Unis, le maintien de la neutralité, ensuite, principalement, le péril soviétique et l’activité du parti communiste aux U.S.A. Il y eut bien aussi quelques allocutions plus difficiles à expliquer, par exemple un éloge d’Hitler à l’occasion de son anniversaire en 1942, ou encore cette affirmation, à faire trembler l’Amérique, au sujet de Pearl Harbor : « Les U.S.A. ont poussé le Japon à défendre son honneur ».
À quoi Douglas Chandler expliqua quelle était sa position au moment de la déclaration de guerre : « Il apparaîtra sans doute comme incroyablement naïf que l’idée que je puisse commettre un acte de déloyauté envers mon pays en poursuivant mes émissions ne me soit jamais venue à l’esprit. Lorsque je discutais avec ma femme, je disais constamment : « À la fin de la guerre, lorsque je rentrerai chez moi, si les démocrates sont toujours au pouvoir, je serai définitivement persona non grata, pour l’officiel, mais le peuple m’acclamera ».
Chandler se faisait des illusions. Personne ne vint au tribunal pour l’acclamer, pas même les 16 Allemands amenés d’Europe pour témoigner contre lui.
La Cour, en le déclarant coupable, fit peser sur sa tête une condamnation allant de cinq ans de prison et 10 000 dollars d’amende à la peine de mort.
Photo de Douglas Chandler pour le National Geographic Magazine
Au fond, le cas de Douglas Chandler est affreusement banal. C’est celui d’un homme qui a cru au caractère néfaste d’une guerre dont il prévoyait les conséquences, remède à ses yeux pire que le mal. Il a souhaité le maintien de la neutralité américaine, puis a soutenu l’espoir d’une paix négociée qui aurait arrêté l’effusion de sang et surtout aurait empêché la victoire soviétique.
Il a commis la faute impardonnable de soutenir son point de vue contre les autorités de son pays en guerre et de le faire au service de l’ennemi. Du moins y croyait-il et la presse d’extrême gauche elle-même n’a pas mis en doute sa bonne foi.
Juin 1947, Douglas Chandler est condamné à la prison à vie et à une amende de 10 000 dollars. Il a été gracié en 1963 par le président Kennedy.
Photo de Douglas Chandler pour le National Geographic Magazine