FRANÇOIS MITTERRAND (1981-1995)
Ministre de la Quatrième République à plusieurs reprises, il fut le candidat de la gauche à l’élection présidentielle en 1965, puis Premier Secrétaire du Parti socialiste. Son premier septennat, commencé en 1981 avec des gouvernements socialistes, s’acheva dans la cohabitation, avec des cabinets de droite (1986-1988). Lors de son second septennat, le même scénario se rejoua. Homme subtil et mystérieux, il s’accommoda des institutions de son plus célèbre adversaire : de Gaulle.
Portrait
Mitterrand accéda au pouvoir suprême après une longue route semée d’embûches. C’est dire combien était grand son sens inné de la manœuvre. Alain Genestar a écrit à son propos : « S’y côtoient l’orgueil, en fort bonne place, l’autorité qu’il inspire, la séduction, qu’il manie pour convaincre, et la rouerie, que ses ennemis appellent duplicité et ses admirateurs ébahis, habilité, subtilité, fi nesse, intelligence et tout cela à la fois. Chez lui, le chemin le plus court est rarement la ligne droite. » Il ne décidait jamais à la légère, imposait ses idées après une longue maturation, ce que certains de ses ennemis ont interprété comme la marque d’un esprit retors ou un manque d’intérêt pour les véritables questions politiques. Un jour de mai 1991 que le président se montrait aimable avec son Premier ministre Rocard, celui-ci pensa : « Je me souvenais de ce que m’avait dit Chirac : Méfie-toi de Mitterrand. Quand il te sourit, il a le poignard en main. » Des psychanalystes iront jusqu’à prétendre qu’il « ne pouvait maîtriser son pouvoir de nuire ». « La clef de la personnalité de Mitterrand, de son exceptionnelle réussite, de sa longévité – a écrit Laurent Fabius – est son extraordinaire ambivalence, fondamentale, métaphysique, qui le fait considérer toute chose comme à la fois bonne et mauvaise, toute situation comme simultanément tragique et pleine d’espérances. » C’est vrai qu’il était un grand séducteur. Mais la plupart du temps, lorsqu’il avait réussi à séduire une femme, elle ne l’intéressait déjà plus.
Sale caractère
Égocentrique, autoritaire et hautain, Tonton avait un caractère exécrable. Il prenait plaisir à humilier, voire à insulter ses collaborateurs et ses ministres devant des tiers, à les éliminer quand ils en savaient trop sur lui. Il eut l’art de monter en épingle les échecs et de gommer les réussites de son Premier ministre Chirac, nommé en 1986. Il le brocardait volontiers : « Chirac pense comme il monte les escaliers ; il parle comme il sert les mains ; il devrait prendre le temps de s’asseoir. » En privé, il le désignait par des quolibets en v : « velléitaire, vorace, vulgaire et voyou ». En mai 1988, le nouveau Premier ministre, Michel Rocard (Roro pour les intimes !), fit entrer dans son gouvernement quelques non-politiques, dont l’académicien Alain Decaux. Dès le premier Conseil des ministres, en bon historien, celui-ci se mit à prendre d’abondantes notes. Mitterrand avertit : « Je signale, à ceux qui siègent pour la première fois, que l’usage n’est pas au Conseil de prendre des notes ! »
Grand romantique amoureux de sa langue
A lire R. Gouze, Mitterrand était un grand romantique durant sa jeunesse, ce qui « semble attesté par quelques condisciples et par ce qu’on peut savoir de ses premières amours. Ce romantisme survit en lui pour affl eurer dans certains moments de recueillement, de méditation, dans certaines confidences ». Cette sensibilité transparaît dans sa passion pour la nature, comme en témoigne son irrésistible attachement à gravir chaque année la Roche de Solutré ou se promener dans la forêt des Landes, dans les environs de sa résidence de Latche. Lui-même a écrit : « Ah ! le bonheur utile des longues promenades où respirer est penser ! Je marche dans la forêt. Je mesure les progrès des fougères qui, soudain déroulées, déploient leur tapis de haute verdure. Je sens épouser la souplesse du chemin. »
On croirait lire du Lamartine, son poète préféré. Écrivain lui-même, il était passionné de littérature et fervent défenseur de sa langue : « J’ai un grand souci de la langue française, un goût d’artisan pour elle, avoue-t-il. La littérature, c’est d’abord le mot exact qui n’est pas forcément un mot rare. J’aurais été humilié d’écrire un français incorrect. »
Attentat bidon
L’arrivée du général de Gaulle au pouvoir en 1958 obligea Mitterrand – ancien ministre des Anciens combattants et ministre de la Justice dans le cabinet Guy Mollet – à rentrer dans l’anonymat. L’année suivante, pour en sortir et regagner les faveurs de l’opinion publique, il organisa, avec l’aide d’un poujadiste, un faux attentat contre sa propre voiture, avenue de l’Observatoire à Paris. L’attentat bidon réussit, Mitterand fut traité en héros, mais le poujadiste vendit la mèche et provoqua un sérieux malaise chez les socialistes. En 1966, le tribunal prononça un non-lieu en faveur de Mitterrand.
Président pour du beurre ?
Élu le 21 mai 1981 avec 71 % des suffrages, François Mitterrand rédigea sa première déclaration de premier président socialiste de la Ve République sur… du papier-beurre sulfurisé. Elle traitait du droit de vote à accorder aux étrangers qui vivaient en France depuis cinq ans au moins. Sans doute le président voulait-il que le contenu fût aussi solide que le contenant.
Pub sournoise
Le 8 mai 1988, il fut réélu président de la République. Cinq jours plus tard, Le Quotidien de Paris titrait : « A2 : Une pub clandestine pour Mitterrand. » La chaîne TV fut soupçonnée d’avoir diffusé, de septembre 1987 à mai 1988, des milliers d’images subliminales en faveur de ce candidat dans les génériques des journaux télévisés. Le scandale fut rapidement étouffé par l’Élysée.
Sphinx de gauche toujours en retard
Bien avant de devenir président, Mitterrand vivait comme un prince en exil. Lorsqu’il se déplaçait, il appréciait d’être entouré d’égards et veillait à marcher devant ses collaborateurs. Quelqu’un lui portait sa serviette, un autre lui présentait son pardessus, son écharpe et son chapeau, un troisième réglait discrètement les notes… Lui qui taxait le septennat de son prédécesseur de « monarchie giscardienne » n’aurait jamais admis que ses collaborateurs se présentent au palais en négligé. Sa voiture officielle était galonnée d’or et ornée du blason présidentiel, portant le chêne et l’olivier, symboles de force et de paix. Quand il recevait des homologues à l’Élysée, il les faisait annoncer par un huissier en queue-de-pie. Lors des réunions des chefs d’État de la Communauté européenne, il prenait un malin plaisir à arriver le dernier. La plupart de ses biographes affirment que Mitterrand arrivait toujours en retard. Mais ce retard était savamment calculé. Il était capable de faire trois fois le tour d’un pâté de maisons pour ne pas arriver, comme le vulgum pecus, pile à l’heure. Pour le sociologue Paul Yonnet, ce trouble obsessionnel traduit la volonté de soumettre les autres à son bon plaisir. En véritable monarque aussi, il distribuait les grâces et les décorations à tour de bras. L’immortalité semblait l’obséder, comme en témoigne son souci de faire sculpter son faciès marmoréen ou, en passionné d’architecture contemporaine, de faire édifier des monuments prestigieux : l’Arche de la Défense, la Bibliothèque de France, l’Institut du monde arabe, l’Opéra Bastille, ou, surtout, le Grand Louvre. Là, en renouant avec le mécénat d’État, il scella véritablement son règne.
Népotisme et grandes oreilles du dernier grand président
Le prince pratiqua le népotisme, nommant même son dentiste aux Affaires africaines avec, pour second, son fils aîné, surnommé : « Papa m’a dit ». Parmi les autres privilégiés, l’acteur Roger Hanin, beau-frère de Danielle Mitterrand, son ami Pelat et Bernard Tapie. Les malversations dont ces deux derniers furent accusés défrayèrent la chronique. Par ailleurs, il se délectait de voir ses courtisans graviter autour de lui. Le plus infl uent fut Michel Charasse, « bonne fourchette au langage de charretier », selon Poisson. Pour mieux gouverner son monde, il organisa un système d’écoutes téléphoniques. De 1983 à 1986, il fi t ouvrir une vingtaine de lignes d’écoutes, dévolues officiellement au service de la sûreté de l’État, mais il s’en servait surtout pour sa propre sûreté et, apparemment, pour sa mainmise des affaires publiques. Il craignait entre autres que sa vie privée fût étalée au grand jour et plus particulièrement l’existence de sa fille naturelle Mazarine. Mitterrand marquait d’un « vu » les comptes rendus, tel Louis XV dans son cabinet noir. Des centaines de journalistes, acteurs (dont Carole Bouquet), intellectuels et responsables politiques furent espionnés durant des années. Le procès de cette « forme moderne des lettres de cachet », a commencé fi n 2004. L’ancien ministre socialiste Roland Dumas est l’un des rares à être venu témoigner en faveur de son ancien ami, au début de février 2005, invoquant les risques réels d’attentats terroristes. Le matin de son dernier Conseil des ministres, le 3 mai 1988, Mitterrand confia : « Je suis le dernier des grands présidents. Après moi, il n’y en aura pas d’autres en France. » Alain Duhamel concède que, par rapport à de Gaulle, qui se comporta en véritable roi de France, il se comporta, lui, en roi des Français, par un plus grand souci de partage du pouvoir ou une conception moins plébiscitaire du suffrage universel.
Pas de quoi marquer l’histoire ?
P.-M. de la Gorge et B. Moschetto jugent sévèrement sa présidence puisqu’ils estiment que ses quatorze ans de règne – durée comparable à ceux d’Henri IV, de Louis-Philippe ou de Napoléon Ier – se soldèrent par seulement deux acquis : l’abolition de la peine de mort et… la fête de la musique. Pierre Pilza, lui, a souligné son grand dessein en politique étrangère, proche de celui du général de Gaulle. Mais il est vrai aussi qu’il laissa – tout au moins ses gouvernements – à son successeur une situation fi nancière et un taux de chômage catastrophiques. Mitterrand s’éteignit le 8 janvier 1996, après avoir lutté de longues années contre un cancer diffus qu’il avait caché aux Français pendant onze ans, malgré sa promesse de les tenir au courant de son état de santé.
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