En 1951, les dirigeants (qui sont surtout des dirigeantes) de la Planned Parenthood Federation of America ont une idée. Depuis des décennies, ils (ou elles) s’occupent de la « libération » de la femme, et organisent notamment la promotion du birth control, le contrôle des naissances. La libération de la femme, pensent-ils (ou elles), en effet, implique que celle-ci ne soit plus déterminée, dans sa vie, par le poids des réalités biologiques, par les contraintes de la nature. Avoir des enfants quand elle veut, ou même ne pas avoir d’enfants du tout ! Et alors, voilà l’idée qui germe dans les couloirs et les bureaux de la Fédération américaine de la parenté planifiée. Puisque la science biologique a tellement progressé, puisque les biologistes et les médecins ont appris à connaître tous les aspects de la reproduction sexuée, avec notamment toute la complexe chimie des hormones, ne serait-il pas possible de trouver une molécule qui inhiberait la fertilité des femmes ? Ce serait tout de même plus smart de prendre une cuillerée d’une potion ou une pilule plutôt que de demander à son conjoint d’enfiler un préservatif en caoutchouc. Surtout, ce serait plus éthique que de recourir à l’avortement. L’idée est trouvée. Il n’y a plus qu’à la développer. Après tout, on soigne bien les maladies par l’ingestion de médicaments. Un enfant non désiré, n’est-ce pas comme une maladie ?
C’est pourquoi, en cette année 1951, la Planned Parenthood Federation a rencontré le docteur Gregory G. Pincus (1903-1967). Pour qu’il fasse quelque chose. La fédération est prête à financer les recherches nécessaires.
Gregory G. Pincus
Gregory G. Pincus est un américain qui a commencé sa carrière, en 1930, comme instructor in general physiology à l’Université de Harvard. L’année suivante, en 1931, il est déjà nommé assistant professor. Il s’intéresse surtout à la physiologie de la reproduction chez les mammifères. En 1934, il parvient à réaliser des fécondations in vitro chez le rat. C’est bien l’homme qu’il fallait aux femmes de la fédération. Pincus se met à chercher. Il procède à des essais chez l’animal. Il trouve. En 1954, il a inventé la pilule contraceptive.
En 1956, Pincus démarre une série de tests, sur des femmes, de substances stéroïdes contraceptives, à Porto Rico, sous la supervision de la doctoresse Edris Rice-Wray (née en 1904). Résultats positifs.
Reste à obtenir l’autorisation de commercialisation, qui doit être accordée par la FDA (Food and Drugs Administration) pour qu’un médicament puisse être mis sur le marché. C’est chose faite le 3 mai 1960. La pilule est mise en vente aux États-Unis.
Edris Rice-Wray
Comme la pilule est un produit relativement cher, seules les femmes américaines, d’abord, puis les femmes européennes, ensuite, bénéficieront de ce moyen chimique pour être libérées de leur corps. Cela va accentuer d’une manière spectaculaire l’écart de natalité entre les pays « riches » et le Tiers Monde.
Certains observateurs de la vie postmoderne, qui n’ont pas peur des mots, sont allés jusqu’à dire que la non-naissance, en Occident, de dizaines de millions d’enfants depuis 1960 du fait du recours à la contraception chimique correspond à un génocide. Ou, plus exactement, à un suicide collectif, comme si les deux guerres mondiales n’avaient pas suffi pour l’auto-élimination des Occidentaux. D’autres observateurs des mœurs depuis 1960 se réjouissent de la libération de la femme grâce à l’industrie chimique, mais se posent une question qui me paraît délicate : libérées, oui, mais pour quoi faire ?
Nous n’entrerons pas dans ce débat éthico-politique, me contentant de constater que Gregory Pincus, indiscutablement, a changé le monde.