Il court, il court le furet
Le furet du bois, mesdames,
Il court, il court le furet
Le furet du bois joli.
Il est passé par ici
Le furet du bois, mesdames
Il est passé par ici
Le furet du bois joli.
….
Comptine enfantine très connue dans la Francophonie, « Il court, il court, le furet » est une rengaine parfois utilisée comme méthode heuristique en mathématiques dans l’apprentissage des chiffres, nommée « jeu du furet ». Ce jeu consiste à faire dire des nombres rapidement à tour de rôle aux élèves en respectant une règle : donner le chiffre suivant (cela peut être compter de x en x, compter de façon décroissante,…). Garantir la mémorisation de la suite numérique par le calcul mental et la répétition d’une manière ludique, tel est l’objectif de ce jeu.
Mais pourquoi au fait est-ce un furet qui court ? Y aurait-il une référence cachée derrière cette innocence apparente ? Une hypothèse plutôt insolite – mais pertinente – a été suggérée. Découvrons-la !
Une contrepèterie moqueuse
Il s’agirait à l’origine d’une contrepèterie ironique. Comme le définit le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), une contrepèterie est un jeu de mots consistant en la « Permutation de sons, lettres ou syllabes dans un énoncé de manière à obtenir un autre énoncé de sens cocasse et souvent obscène ». C’est à François Rabelais que nous devons ce procédé comique, lequel a écrit en 1532 dans son illustre Pantagruel, l’exemple bien cocasse de la « folle à la messe », interverti en « molle à la fesse », mais aussi le « À Beaumont-le-Vicomte » parodié en « à beau con le vit monte » (lexique ancien renvoyant aux sexes féminin et masculin; image donc plutôt parlante…).
Dans le cas qui nous occupe, il faut remonter aux années 1710-1720, années de la Régence de Philippe d’Orléans, neveu de Louis XIV. Dans son entourage proche, on note la présence d’un conseiller à la réputation sulfureuse, fiévreux amant des femmes, le cardinal Dubois. Cette chanson fort connue à l’époque aurait donc pris pour cible ses mœurs qui étaient, semble-t-il, quelque peu dissolues.
Le cardinal Guillaume Dubois par Hyacinthe Rigaud (1723)
Les dames sont prévenues : « Il est passé par ici, le furet du bois, mesdames ». On constatera ce bel homophone entre « du bois » et « Dubois ». La contrepèterie joue sur le registre grivois : « Il court, il court, le furet » doit être transformé en « il fourre, il fourre, le curé » (à nouveau, l’allusion sexuelle est explicite). Seules les femmes nobles pouvaient recevoir l’appellation de « Madame », aussi la destination de cette chanson semble bien viser la Cour et les personnages qui la composent.
Après avoir été son précepteur, Guillaume Dubois devint le Principal Ministre de l’Etat sous la Régence de Philippe d’Orléans, soit la période s’étendant de 1715 à 1723, faisant la transition entre la mort de l’oncle de Philippe d’Orléans, Louis XIV, et la date de la majorité de son neveu, Louis XV.
L’Histoire a gardé l’image d’un Régent bon vivant, très libéré concernant ses mœurs. Résidant au Palais-Royal, Philippe d’Orléans, très souvent accompagné du cardinal Dubois, a donné à ce lieu fastueux une réputation quelque peu sulfureuse en transformant le palais en un lieu de débauches, organisant des fêtes et des soupers où joie de vivre et laisser-aller virèrent parfois à l’orgie selon l’Histoire du Libertinage de Didier Foucault. Cumulant les maîtresses et condamnant quelques enfants au statut de bâtard, Philippe d’Orléans a scandalisé la morale de l’époque ; les chansons satiriques de son temps racontent même qu’il aurait eu une relation incestueuse avec sa fille aînée, Marie-Louise-Elisabeth d’Orléans, dont la réputation ne fut pas meilleure concernant sa vie sentimentale et sexuelle.
Le régent Philippe d'Orléans par Jean-Baptiste Santerre, en 1717
Concernant le cardinal Dubois, son histoire personnelle montre qu’il fut comme la plupart des cardinaux assez fortuné – il posséda entre autres sept abbayes dont les rentes lui permirent d’obtenir pas moins de 10 millions de livres, soit près de 13 millions d’euros –, et s’il a contribué au relèvement de la France, il est surtout notoire qu’il avait une maîtresse officielle, Madame de Tencin, une femme de lettres ayant tenu un salon littéraire réputé et qui fut aussi la mère de Jean d’Alembert, connu lui pour avoir corédigé l’Encyclopédie avec Diderot ! Le cardinal s’éteignit à Versailles durant l’été de 1723, quelques mois avant Philippe d’Orléans lui-même.
Dans tous les cas, il n’était pas rare que pour éviter la prison en étant accusé de crime de lèse-majesté, des chansons furent dotées d’un double sens, notamment par l’utilisation de contrepèteries ou de métaphores. C’est par exemple le cas de « Au clair de la lune », « A la pêche aux moules », « A la claire fontaine », « Nous n’irons plus au bois »,…
Mélanie Castermans