Le roman policier occidental est né aux alentours de 1840, à l’apparition d’une civilisation industrielle et l’émergence d’une science positive, qui transforme le mystère en problème. Néanmoins, en Orient, le premier texte de ce genre, qui s’oriente vers la résolution d’une énigme, voit le jour au XVIIIe siècle de notre ère et met en scène le juge Ti.
Le juge Ti, un détective de fiction ? Pour ne pas dire le premier détective de fiction ? Si le roman Di Gong An est bien fictionnel, il n’empêche qu’il prend appui sur un personnage qui a bel et bien existé plus de mille ans auparavant: Di Renjie, homme politique de la dynastie Tang et de la dynastie de l’impératrice Wu Zetian, sous le règne de laquelle il fut chancelier. Personnalité des plus en vogue de son temps, il est apprécié pour avoir tempéré le régime de la terreur par son efficacité et son honnêteté. Réputé pour ses capacités d’enquêteur, Di est le héros de romans policiers chinois. Il y résout des affaires entouré d’une équipe d’acolytes.
En 1945, le diplomate et orientaliste Robert Van Gulik découvre cet ouvrage, jamais encore traduit et dont les Occidentaux n’avaient pas eu connaissance. Il le traduit, le publie quatre ans plus tard et décide d’écrire lui aussi des aventures dont le juge serait le héros. À sa mort, Frédéric Lenormand, auteur français, reprend le personnage également. Le juge Ti est aussi célébré au cinéma où, en 2010, est sorti Détective Dee.
Héros oriental, le juge Ti présente aux lecteurs des procédés qui lui sont encore inhabituels: le nom de l’assassin est, par exemple, connu dès le début dans la version chinoise de ses aventures, bien que Van Gulik préfère se libérer de cette convention. Par ailleurs, toutes les tortures qui sont infligées, que ce soit pour faire parler un coupable ou lors de la peine capitale, sont décrites dans les moindres détails. Il arrive aussi que les fantômes des victimes viennent en aide au magistrat enquêteur ou que ses rêves le guident d’une façon ou d’une autre. Si Van Gulik et ses successeurs ont pris soin de moderniser quelque peu les récits du juge Ti, du moins de les rendre accessibles au lecteur moderne puisque les intrigues se déroulent toujours entre 630 et 700, dates de vie et de mort du magistrat, il n’empêche que ce personnage est révélateur d’un goût que pouvait avoir le lectorat pour des aventures policières. Le juge Ti « anglais» est certainement plus le héros de romans d’enquêtes influencés par Agatha Christie que son ancêtre « chinois», mais tous deux dépeignent la société chinoise médiévale et les crimes qui pouvaient s’y dérouler.
Mathilde de Jamblinne, la vraie vie des détectives de fiction.