Le 9 août, en Mandchourie, les troupes soviétiques lancèrent une offensive. L’armée japonaise du Kuan-tung stationnée dans ce pays comptait un million et demi de soldats. Ils ne représentaient pourtant pas une grande valeur guerrière. Jeunes, mal instruits et équipés encore plus mal, ils n’avaient guère de chances dans une confrontation avec des divisions bien armées et endurcies au feu des combats en Europe. Malgré tout, les partisans de la poursuite de la guerre évoquaient la possibilité de recourir à eux pour combattre les armées américaines si elles mettaient le pied sur les îles japonaises. Ils envisageaient aussi la possibilité d’évacuer l’empereur et le gouvernement en Chine ou en Mandchourie. À partir de là, ils auraient dirigé le combat contre les Américains et les Russes. Les défaites en Mandchourie rendirent ces plans caducs et obligèrent les Japonais à se demander si résister plus longtemps avait un sens.
Session de la conférence de Potsdam.
Le 9 août à 23 h 30 dans l’abri de dimensions modestes creusé profondément sous le palais impérial au centre de Tokyo, les membres du gouvernement et les plus hauts chefs militaires se réunirent en conseil. D’ordinaire, ce sont eux qui conseillaient l’empereur. Ce jour-là, c’est lui qui devait leur exposer son opinion au sujet de la poursuite de la guerre. Au bout de 20 minutes, l’empereur Hiro-Hito en uniforme de général entra dans la petite salle. Quand tous eurent pris place, le secrétaire général du Cabinet, Hisatsune Sokomidzu, lut le texte de la déclaration de Potsdam, signée par Truman, Churchill et Staline. Elle appelait les autorités du Japon à une capitulation sans condition. Le premier ministre Suzuki demanda pardon à l’empereur de ce que ni le gouvernement, ni le Conseil supérieur de la guerre n’arrivaient à prendre une décision unanime au sujet de la poursuite des hostilités. Les hommes politiques et les militaires présentèrent leurs points de vue. Le ministre Togo se déclara en faveur de la capitulation. L’amiral Jonai et le baron Hiranuma exprimèrent le même avis. Les plus hauts chefs militaires plaidèrent pour la poursuite des hostilités.
Le général Anami termina sa courte allocution par ces mots :
– Cent millions de Japonais sont prêts à mourir pour défendre l’honneur de notre race. Et cela passera dans l’Histoire.
– Nous avons rassemblé des forces pour les futures opérations et nous passerons à l’attaque le moment venu, déclara le chef du grand état-major, le général Umezu.
– Nous ne pouvons pas affirmer que la victoire est certaine, mais nous ne croyons pas que nous serons complètement battus, dit le commandant en chef de la marine de guerre, l’amiral Toyoda.
En 1945, Hiro-Hito avec Douglas MacArthur, lors de la première rencontre entre les deux dirigeants.
La discussion dura jusqu’à 2 h. Là, le premier ministre Suzuki se leva. Il s’inclina profondément devant l’empereur et dit :
– Dans ces conditions, je me tiens humblement au pied du trône pour prier la vénérable sagesse impériale de trancher la querelle conformément à la décision de Votre Majesté impériale.
Le premier ministre comprenait parfaitement que l’empereur était la seule personne dont l’autorité pouvait obliger l’armée à se soumettre à la décision de capituler. Pour en arriver là, l’empereur devait dire ouvertement qu’il fallait mettre fin à la guerre.
Hiro-Hito parla brièvement :
– J’ai examiné la question avec le plus grand sérieux et j’ai conclu que poursuivre la guerre ne pouvait apporter au peuple que la ruine, la prolongation de l’effusion de sang et des atrocités.
L’empereur parla des grands sacrifices que les soldats et le peuple japonais avaient consentis dans cette guerre, mais il ne voyait aucune possibilité de continuer à se battre.
– Le temps est arrivé où nous devons supporter ce qui semble insupportable. Quand je remonte dans le passé, quand je pense à ce qu’a éprouvé mon aïeul, l’empereur Meiji, à ce qu’il a souffert lors de l’intervention des trois puissances, je retiens mes larmes et j’approuve la proposition d’accepter la déclaration des Alliés, présentée par le ministre des Affaires étrangères.
Les délibérations étaient terminées…
Le 14 août 1945, 804 bombardiers B-29 partirent pour un dernier raid sur le Japon. Ce jour-là, le président Truman interdit d’en effectuer d’autres. Les dirigeants du pays du soleil levant s’apprêtaient à capituler.
Le 2 septembre 1945 à 5 h, dans la résidence démolie du nouveau premier ministre du Japon, Toshihiko Higashikuni, eut lieu une réunion de militaires et de diplomates présidée par le ministre des Affaires étrangères âgé de 64 ans, Mamoru Shigemitsu. Près de lui se tenait le chef de l’état-major impérial, le général Yoshijiro Umezu. Celui-ci avait jusqu’alors refusé de participer à la cérémonie de capitulation, mais il y avait été obligé par un ordre personnel de l’empereur. Il manquait le commandant en chef de la marine de guerre, l’amiral Soemu Toyoda. Il n’avait pas obéi à l’ordre de l’empereur et il avait envoyé pour le remplacer un officier de son état-major, Sadatoshi Tomioka.
Yoshijiro Umezu signant les documents officiels de la capitulation japonaise le 2 septembre 1945.
Avant que la délégation ne quitte Yokohama, les participants avaient retiré leurs sabres et les fanions avaient été ôtés des automobiles dans lesquelles ils s’en allaient. Des soldats sans armes et des diplomates sans drapeaux allaient rendre l’empire. Dans le port, ils virent le destroyer Hatsuzabura. L’un des rares bâtiments de la marine de guerre jadis si puissante était amarré au quai, les tubes de ses canons baissés, comme s’il saluait profondément…
À 8 h 55, la délégation aborda le cuirassé Missouri.
Le ministre Shigemitsu s’approcha le premier de la passerelle. Il gravit péniblement les échelons raides. C’est que, quelques années auparavant, il avait perdu une jambe dans un attentat à la bombe à Shanghai. Un Américain tendit la main pour l’aider. Le ministre hésita, mais il accepta. Les chefs alliés étaient déjà sur le pont. Anglais, Canadiens, Australiens, Néo-zélandais, Chinois, Français, Russes, Hollandais et Américains étaient rangés en formant un U dans l’ouverture duquel était dressé un micro et une vieille table tirée du mess et recouverte de drap vert.
Au-dessus d’elle s’étageait un échafaudage pour les opérateurs et les correspondants de guerre. Les marins s’entassaient sur les tourelles d’artillerie et sur les tubes des énormes canons du cuirassé.
Quand les Japonais se trouvèrent aux places indiquées par le capitaine de vaisseau Bird, le chef des Forces alliées, le général Douglas MacArthur, fit son entrée sur le pont. Il était arrivé beaucoup plus tôt et il avait attendu dans la cabine de l’amiral l’ouverture de la cérémonie. Il alla au micro. Il tenait à la main une feuille de papier, mais il croisa ses bras derrière son dos. Il parla brièvement de l’importance de l’acte qui devait être signé. Je n’avais reçu aucune instruction sur ce que je devais dire, ni sur ce que je devais faire, a-t-il reconnu plus tard. Debout sur le pont, j’étais livré à moi-même, seulement avec Dieu et avec ma conscience, et c’est ce qui m’a guidé.
Sur la table étaient posés deux exemplaires de l’acte de capitulation : l’américain, relié en cuir, et le japonais, dans une couverture en toile. Quand il eut fini de parler, MacArthur fit un signe de tête au ministre Shigemitsu. Celui-ci vint à la table en boîtant. Il s’assit et se mit à passer nerveusement d’une main à l’autre sa badine, ses gants et son chapeau haut de forme. Sentant que le ministre était complètement perdu, MacArthur dit au capitaine de vaisseau Sutherland debout à côté de lui :
– Montre-lui où il faut signer !
Mamoru Shigemitsu signant les actes de capitulation du Japon à bord de l'USS Missouri.
Après les Japonais, ce furent les Alliés. Ils vinrent à tour de rôle apposer leurs signatures. MacArthur s’assit le dernier à la table. Il posa 5 stylos devant lui, avec lesquels il signa les documents. Le dernier, un stylo rouge bon marché, appartenait à sa femme Jane. Elle lui avait demandé de le garder pour leur fils.
À 9 h 25, la cérémonie prit fin. MacArthur, visiblement détendu, passa un bras autour de la taille du capitaine du cuirassé Missouri et demanda en regardant le ciel :
– Bill, où diable sont tous ces avions ?
Comme sur ce signal apparurent des formations de chasseurs et de bombardiers B-29. Le défilé des vainqueurs de la guerre du Pacifique…