La fessée, et les châtiments corporels en général, est aujourd’hui réprimée par la loi dans nos régions. Que ce soit à l’école ou à la maison, il est désormais formellement interdit de lever la main sur un enfant. Certains, plus conservateurs, s’opposent à cette législation, qu’ils estiment abusive. La fessée, en effet, semble bien intégrée dans la mentalité française, et est même considérée par certains comme une tradition éducative. Pour beaucoup, un retour aux bonnes vieilles méthodes permettrait de réinstaurer l’autorité parentale et enseignante, ainsi que de canaliser la violence des jeunes. Selon ces mêmes personnes, une attitude trop laxiste de la part des enseignants entraînerait, à l’inverse, une recrudescence de la violence des élèves.
Si les châtiments corporels semblent à ce point intégrés dans notre société, c’est parce qu’elles tirent leur source dans l’Antiquité. Elles sont attestées par toute une série d’auteurs grecs et romains, de Platon à Juvénal, en passant par Hérondas. Ce dernier, dans un mime, écrit l’histoire d’une mère désœuvrée face à son enfant turbulent. À bout de force, elle en recourt à son maître d’école, qui n’hésite pas à faire montre de son bâton. Lucien de Samosate, également, témoigne de ce genre de violences : il décrit des enfants en larmes, effrayés, dégoutés des études. Pour autant, les auteurs antiques ne remettent pas en cause ce système, critiquant uniquement les maîtres qui en abusent.
En effet, l’enseignement des Anciens est basé sur les principes d’imitation et de répétition. Ainsi, le corps, considéré comme malléable par le maître et le père, est le miroir de l’âme. L’enfant apprendra donc davantage de ses erreurs s’il en garde les stigmates. Grecs et Romains ne voient pas ces châtiments comme des punitions, mais plutôt comme un outil pédagogique.
Cette conception de l’enseignement s’explique par certaines conceptions philosophiques propres à cette époque. Ces hommes concevaient alors l’enfant comme une bête dépourvue de raison, dont l’éducation s’apparenterait à une forme de dressage et dont le but serait de débarrasser le rejeton de l’animalité primitive qui le caractérise.
À Sparte, violence et éducation font particulièrement bon ménage. Dès l’âge de huit ans, l’enfant quitte sa famille pour rejoindre un troupeau de bovins, ou bouai, constitué d’enfant de son âge, géré par un pédonome et un porte-fouet. Afin de s’endurcir, ils y sont élevés à la dure, allant jusqu’à les priver de nourriture pour les encourager au vol.
La Bible, dans la continuité de cette tradition, préconise le châtiment corporel. De même, Saint-Augustin prône ces violences éducatives, dont il a lui-même subi les sévices. Les évangiles, en revanche, sont marqués par l’idée de sacralisation de l’enfant, figure de l’innocence par excellence, car il n’est pas marqué par le péché originel.
Cette vision occidentale de l’enfant et de son éducation perdure jusqu’au 19e siècle, souvent justifiée par la tradition biblique et religieuse. Ce n’est qu’au 20e siècle que le Comité des Droits de l’Enfant et l’ONU légifère contre les violences à l’égard des enfants, quelles qu’elles soient. D’abord abolies en Islande et en Pologne, elles sont interdites au Canada en 2004, après moult discussions. Elles demeurent néanmoins autorisées à l’école dans un état de l’Australie et dans vingt-trois états des États-Unis, principalement au sud du pays.
Toutefois, même dans les pays où cette pratique a été officiellement abolie, en pratique, les professeurs continuent de frapper leurs élèves. À Taïwan, par exemple, la fessée est pratiquée dans 93,5 pour cent des écoles, ainsi que le frappement mutuel de deux élèves et la mise au piquet dans une posture inconfortable.
Selon une étude de Bernard Douet, la France des années 80 aurait connu une situation similaire, avec une prédilection des instituteurs pour la gifle et la fessée. Selon l’étude d’Éric Barbieux, en revanche, ils préféraient envoyer les élèves au piquet ou faire copier des lignes. On manque, en vérité, de données pour tirer de réelles conclusions à ce sujet.
À Djibouti, pays d’Afrique marqué par une guerre civile meurtrière et par la pauvreté, les punitions corporelles, bien que proscrites, sont également d’usage.
À la demande de l’Unicef, l’Observatoire européen de la Violence en Milieu scolaire a réalisé en 2004 une étude sur le climat qui règne dans les écoles primaires de cet état. À cette occasion, 1699 élèves entre 9 et 14 ans ont été interrogés, révélant les agressions dont ils avaient été victimes. Ceux-ci ont expliqué recevoir régulièrement des coups de tuyaux en OVC sur les mains et les mollets. Une autre punition courante est l’attente, à genoux sur le sol, face à un mur et les mains derrière la tête, pendant une durée indéterminée, jusqu’à trois heures d’affilée. Ils reçoivent également des gifles et se font tirer les oreilles et les cheveux. Les punitions collectives corporelles sont aussi usuelles.
Les professionnels de l’enseignement djiboutiens défendent ces pratiques en affirmant que ces punitions permettent de maintenir une certaine discipline, et de réprimer la violence. Suivant cette logique, les résultats scolaires devraient être meilleurs dans les écoles où la punition corporelle est plus présente. Pourtant, l’école de Djibouti dont le taux de réussite est le plus haut ne pratique pas ces punitions.
Cette même étude a permis de démontrer que plus un élève est victime de punitions, plus il est victimisé par les autres élèves et mêlé à des bagarres. Ainsi, la violence du professeur, présentée comme admissible, pousse l’enfant à l’imiter. Les écoles dans lesquelles les professeurs sont les plus violents sont effectivement celles où les élèves sont les plus bagarreurs.
Ces violences sont aussi justifiées par la tradition, alors même que selon les écoles, les pratiques varient. Ces violences ne sont donc pas une tradition éducative inévitable, mais bien un choix.
Il a ainsi été démontré que ces châtiments corporels, intégrés depuis des siècles dans nos mœurs, étaient inefficaces. Ceux-ci peuvent même avoir l’effet inverse à celui escompté et contribuer à la violence des élèves.
Elise Vander Goten