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On serait tenté de croire que les toutes premières productions hollywoodiennes étaient prudes et bien comme il faut, si loin de la libération sexuelle des années soixante.
Pourtant, dans les années 1910, la nudité, même si elle était souvent suggérée, était déjà bien présente à l’écran, comme dans une scène de A Daughter of the Gods, où l’actrice principale apparaît complètement nue, ses seuls cheveux voilant ses parties intimes. Le cinéaste visionnaire Cecil B. DeMille fut tellement emballé par la première scène de bain qu’il tourna en 1919 qu’il fit en sorte d’en insérer une dans chacun de ses films, que sa présence fut justifiée ou non. Les femmes n’étaient d’ailleurs pas les seules à se dévoiler : Elinor Glyn, romancière et scénariste, tenait à ce que les hommes jouant dans ses films portent des collants en soie sans sous-vêtements, car d’après elle, il fallait laisser faire la nature.
À l’exception de quelques hommes d’Eglise ou politiciens qui se présentaient comme les garants de la bienséance, les spectateurs ne s’offusquaient pas à la vue de jeunes gens dénudés, mais, dans une certaine mesure, l’industrie hollywoodienne se chargea elle-même de mettre un terme aux réjouissances. En 1922, Will Hays, ancien directeur général des postes américaines, fut proclamé président de la Motion Pictures Association of America. Face au scandale de Fatty Arbuckle, entre autres, qui engendrait plus de publicité pour les dessous de la machine à rêves que ses productions, il décida de sévir. Il chercha non seulement à calmer les ardeurs d’Hollywood en coulisses, mais aussi à contrôler ce qui apparaissait à l’écran. En 1915, la Cour suprême des Etats-Unis avait déclaré que les films n’étaient pas protégés par le premier amendement de la constitution américaine, qui garantit la liberté d’expression, et les Etats avaient chacun créé leur propre commission de censure.
Avec Hays, tout serait plus simple : plutôt que d’être amputés de certaines scènes selon la volonté de chaque gouvernement local, les films seraient visionnés par un comité de censure national qui évaluerait leur contenu et prierait les studios d’apporter d’éventuelles modifications.
Au début, l’industrie ne prêta aucune attention aux desiderata de Hays, en témoigne une scène de La Reine Kelly en 1929 où l’on voit Gloria Swanson enlever sa culotte pour la jeter sur un soldat qui se caresse ensuite le visage avec.
Toutefois, la même année, des changements commencèrent à se faire ressentir quand un prêtre jésuite et un critique de cinéma catholique proposèrent un nouveau code qui obligerait à l’industrie du cinéma de s’autocensurer, tout cela dans le but d’assurer la bonne morale des messages transmis par les films. Dorénavant, les autorités devaient toujours gagner, le crime ne pouvait pas être attrayant et surtout, l’adultère devait rester de l’ordre du fantasme.
Une astuce pour contourner la censure revenait donc à tourner des histoires de méchants, car si les héros devaient être vierges et sans reproches, les criminels, eux, pouvaient tromper, tuer, voler, violer et torturer… tant qu’ils payaient pour leurs méfaits. Sorti en 1932, Scarface, film de gangsters d’Howard Hughes ultraviolent pour son époque et dont le scénario fut d’ailleurs interdit par Will Hays, utilisa cette méthode sans complexes. Malgré le mécontentement de la censure, Hughes n’hésita pas à produire son long-métrage et, au moment de la sortie, il parvint à contourner les interdictions grâce à deux sous-titres : La honte d’une nation et Ce film est une condamnation du gangstérisme en Amérique et de l’indifférence coupable du gouvernement. Que comptez-vous faire pour changer cela ? Avec ces quelques mots, il faisait mine de désavouer son film, alors qu’il offrait aux spectateurs une heure et demie de fusillades sanglantes.
Extase, film tchèque datant de 1933, fut la première production à dépasser les bornes en montrant son actrice Heddy Kiesler courir nue dans les bois et en suggérant l’orgasme lors d’une scène d’amour. Censuré dans de nombreux pays, le film faillit disparaître pour de bon quand le mari de Kiesler, furieux à l’idée que d’autres hommes puissent voir son épouse dans le plus simple appareil, s’acharna à racheter toutes les bobines du film pour les détruire. La rumeur veut qu’Extase survécût uniquement grâce à un exemplaire gardé dans… la collection privée de Benito Mussolini !
Face à tant de turpitude, il fallait se montrer ferme et, dès l’année suivante, en 1934, l’apparition officielle du Code de production, aussi appelé code Hays ou Hays Office, allait mettre un terme définitif au contournement de la censure. Pendant les trente années qui suivront, tous les films devront recevoir un certificat du PCA avant de sortir aux Etats-Unis. Sous Joseph Breen, qui fut à la tête du Code de production pendant vingt ans, les directives concoctées par Will Hays seraient respectées à la lettre ! Celles-ci consistaient en une liste noire d’une centaine de personnalités hollywoodiennes jugées dangereuses en raison de leur vie de débauche, mais surtout, elles détaillaient ce qui pouvait et ne pouvait plus être montré à l’écran : le métissage était proscrit, les chambres des couples mariés devaient avoir deux lits séparés et les baisers ne pouvaient durer plus de huit secondes. Bien évidemment, la nudité était également interdite à l’écran, même les nombrils, à cause d’une obsession de Hays à en croire les déclarations de son ex-épouse lors de leur divorce.
N’oublions pas la taille des jupes ou encore des décolletés : en 1941, la censure n’avait jamais vu quelque chose d’aussi inacceptable que la poitrine à peine contenue de Jane Russell dans Le Banni d’Howard Hughes. Même les dessins animés comme Betty Boop n’échappaient pas aux ciseaux des censeurs. L’affriolante chanteuse de jazz en robe de soirée, telle qu’elle fut dessinée dans les années 1920, s’était assagie pour mieux s’adapter au nouveau règlement : sa robe était moins légère, elle portait moins de bijoux et avait moins de boucles dans ses cheveux. Son personnage avait perdu son côté frivole et devint plus populaire chez les enfants que chez les adultes. La censure n’était évidemment pas une spécialité américaine, car en France, les seins étaient coupés au montage dès que la pointe apparaissait et au-delà des scènes osées, même le mot nu était inacceptable à une époque. Ainsi, l’affiche de Trois jeunes filles nues se transforma en Trois jeunes filles n…
Les changements requis par le code Hays pouvaient donc modifier radicalement le thème d’un film. Billy Wilder, qui avait adapté la pièce de théâtre Sept ans de réflexion de George Axelrod pour le cinéma, eut l’impression que son oeuvre s’était fait dérober ce qu’elle avait de plus piquant.
Dans la pièce, un homme marié profite de l’absence de sa femme et de son fils pour courtiser et, en fin de compte, coucher avec sa voisine. Mais au cinéma, pas question de promouvoir l’adultère, les tentatives de l’homme devaient rester vaines. Wilder essaya bien d’ajouter une scène où l’épouse, rentrée de vacances, trouvait une épingle à cheveux dans le lit conjugal, mais même ce subtil détail fut refusé par la censure. D’après le cinéaste, Hollywood sous le code Hays, qu’on décrivait comme une entreprise juive qui vend du catholicisme à l’Amérique protestante avait gâché tout l’intérêt de son film.
Toutefois, la censure pouvait aussi comporter ses vertus.
Ces strictes directives poussèrent scénaristes et cinéastes à se montrer plus créatifs dans leur façon de suggérer l’érotisme.
Enfin, pas toujours, car dans la pratique, certains réalisateurs parvenaient toujours à montrer des jeunes femmes légèrement vêtues en tournant des films historiques qui se conféraient un air de respectabilité en s’inspirant par exemple de l’antiquité ou de la Bible. Tant que les naïades exhibées face caméra se faisaient dûment châtier avant la fin de l’histoire, la censure ne sourcillait pas trop. D’autres cinéastes, plus novateurs, se mirent plutôt à tourner des comédies où les protagonistes féminines étaient les égales des hommes, quand elles n’étaient pas plus malignes qu’eux, comme dans La Dame du vendredi ou L’Impossible Monsieur Bébé. Exit les douces ingénues, ces femmes plus mûres et moins naïves charmaient grâce à leur intelligence.
Dans un autre registre, la règle qui limitait la durée des baisers à précisément huit secondes n’empêcha pas Alfred Hitchcock de filmer le plus long baiser jamais tourné pour le cinéma dans Les Enchaînés, en 1946. Il fit en sorte que son couple, joué par Cary Grant et Ingrid Bergman, s’embrasse pendant huit secondes, s’arrête, échange quelques mots, se caresse le visage, puis s’embrasse à nouveau et ainsi de suite. La scène dura deux minutes trente en tout, soit dix-huit fois la durée supposément autorisée.
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