gens s’étant retirés aux bois; les autres demeurant dans leurs pauvres cabanes toutes ruinées, destitués de bois, sont péris malheureusement, en sorte que l’on trouve les villages tout déserts, sans être habités que de fort peu de gens, si hâves et défaits qu’on les prendrait pour des squelettes et anatomies. Et, ce qui cause un désespoir général sans ressource, c’est le prix excessif du blé [...] de sorte que si le Bon Dieu ne regarde d’un œil de pitié et de compassion le pauvre monde, il est impossible de plus subsister. Il n’y a plus ou fort peu d’animaux pour cultiver la terre, ni d’hommes pour les conduire. Voilà en somme l’état misérable et déplorable où se retrouve le monde en cette année, sans parler des courses exécrables et tyranniques qu’exercent les soldats allemands par les campagnes, accompagnées de toutes sortes de cruautés en leur manière accoutumée. »
Dans son Journal, Jean Conrard, habitant de Malzéville (Meurthe-et-Moselle), confirme :
« Jamais on a vu un tel cher temps et durer tant. Aussi, le reste des gens qui est encore à présent meurt de mal famine, car il ne mange plus rien que de la chair des bêtes mortes, comme chevaux, chiens, chats ; encore, ne s’en trouve-t-il plus. Des rats et des mulots qu’ils trouvent devant les maisons, ils les mangent sans les écorcher ; même les créatures se mangent l’une, l’autre. Dieu veuille cesser ! »
En Allemagne, les affres de la guerre de Trente Ans ont provoqué la disparition d’au moins un tiers de sa population, peut-être la moitié.
La guerre franco-espagnole
Les traités de Westphalie (1648), qui mirent un terme à la guerre de Trente ans, ne pacifièrent pas la France parce qu’elle resta en conflit avec l’Espagne jusqu’en 1659. Les armées des belligérants dévastèrent surtout la Picardie et la Champagne au point que, dès 1650, ces deux provinces furent ruinées, comme le rapporte ce témoignage :
«Il n’y a point de langue qui puisse dire, point de plume qui puisse exprimer, point d’oreille qui ose entendre ce que nous avons vu dès les premiers jours de nos visites... Toutes les églises profanées et les plus saints mystères, les ornements pillés, les fonts baptismaux rompus, les prêtres ou tués ou maltraités ou mis en fuite, toutes les maisons démolies, toute la moisson emportée, les terres sans labour et sans semence, la famine et la mortalité presque universelles, les corps sans sépulture et exposés la plupart à servir de curées aux loups. Les pauvres qui restent de ce débris sont réduits (après avoir perdu tout ce qu’ils possédaient) à ramasser par les champs du blé ou avoine germés et à demi pourris. Le pain qu’ils font est comme de la boue et si malsain que la vie qu’ils mènent est une mort vivante. Ils sont presque tous malades, cachés dans des cabanes découvertes, ou dans des plates terres ou sur la paille pourrie, sans linge ni habits que de méchants lambeaux. Leurs visages sont noirs et défigurés, ressemblant plutôt à des fantômes qu’à des hommes. »
Le comble de la misère en 1652
Madame de Maintenon témoigne ainsi des événements de la Fronde des princes et de son lot de misères en juillet 1652 :
« Le Roi chassé de Paris, Turenne assiégeait la ville où le prince de Condé, ses frondeurs et ses Espagnols, avaient trouvé refuge. On tirait au canon à la Bastille, on s’étripait aux portes, on ne franchissait plus un carrefour sans y être arrêté par quelque pendard d’Andalou ou quelque soudard allemand. Les pauvres paysans des alentours s’étaient jetés dans la ville, pensant y être en sûreté pendant que les armées désolaient les campagnes. Leurs bestiaux mouraient sur la place faute de nourriture. Quand les bêtes étaient mortes, ils mouraient eux-mêmes incontinent. Les enfants suivaient de peu leur mère dans la tombe. Je vis alors sur le pont Neuf trois enfants sur leur mère morte, l’un desquels têtait encore. Les Parisiens eux-mêmes mangeaient peu et mal, les vivres ne pénétrant plus dans la ville... »
En septembre, l’injurieuse Mazarinade – écrite par son époux Scarron – l’obligea à quitter Paris avec lui (Scarron en chaise à porteurs, elle en coche) pour gagner les propriétés familiales de celui-ci, entre Amboise et Tours, plus précisément son petit manoir de La Vallière. «Il faisait froid et le lieu n’était pas gai, écrit-elle. Trois années de guerre civile avaient désolé les campagnes. Epuisé de misère et de pillages, le peuple vivait de racines. On trouvait par les champs des corps morts auxquels on avait arraché tout le gras pour le manger. »
Le vicaire général envoyé en mission par l’archevêque de Paris dans les campagnes environnantes de la capitale confirme :
« On traverse les lieux, villages et hameaux déserts et destituez de pasteurs. Les rues et voisinages infectez de charognes, puanteurs et des corps morts exposez. Les maisons sans portes, fenêtres, cloisonnages et plusieurs sans couvert et toutes réduites en cloaques et instables. Toutes les femmes et filles en fuite et les habitants restez sans meubles, ustensiles, vivres et destituez en tout secours spirituel et temporel. Mais surtout les malades languissants moribonds et mourants, sans pain, viande, remèdes, feu, lits, linges, couverts et sans prestre, médecin, chirurgien, ni aucun secours pour le soulager. Les uns ont vécu d’eau et d’herbes pendant quinze jours et d’autres de fenelles et de racines qui ont épuisé toutes leurs forces, d’autres de vin qui les a consumés et d’autres de quelques restes de pain de munition (des troupes) moisi détrempé dans de l’eau et du vin qui n’ont servi qu’à prolonger leurs misères... »