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Le chemin de fer : un monde spécifique

Le chemin de fer : un monde spécifique

Réticences vaincues

À l’avènement de Louis Napoléon, la France comptait 1950 kilomètres de voies ferrées et, en 1883, 18000. Pour réaliser cette prouesse, il avait fallu venir à bout des réticences de Thiers, persuadé que le rail n’avait aucun avenir, et surtout d’Arago, qui agitait l’épouvantail des maladies qui guettaient les voyageurs : pleurésie, épilepsie, explosion de la locomotive... Mais Napoléon avait lui-même donné l’exemple en revenant de Nice dans un de ces monstres, lancé à 80 kilomètres heure...

Origine de la « caisse noire »

Au XIXe siècle, aucune mutuelle ne protégeait les victimes des accidents de travail et leurs familles. Pour les aider, trois délégués collectaient des fonds en présentant aux collègues la «caisse noire ». Son origine vient du fait que la caisse passait entre mille mains enduites de charbons, de cambouis ou de suie et devenait ainsi vite noire, quelle que fût sa couleur primitive. Finalement, on la peignit définitivement en noir. Depuis, cette expression a pris un sens fort négatif puisqu’elle désigne des fonds qui n’apparaissent pas dans la comptabilité d’une entreprise et qui peuvent être ainsi utilisés sans contrôle.

Les multiples métiers du rail

Le personnel des chemins de fer était divisé en trois catégories :

Les gueules noires de la traction: les préposés aux locomotives, chauffeurs mécaniciens ... Les culs terreux de la voie : les ouvriers du rail. Les môssieurs de l’exploitation: les bureaucrates, les gens de la gare.

Chacune des trois comptait divers métiers, tels que :

L’aboyeur annonçait l’arrivée et le départ des trains sans le moindre haut-parleur. Le lampiste avait la responsabilité des lampes. L’acrobate grimpait sur les toits des trains avec son matériel pour allumer les lampes des voitures. Le père bouillotte préparait des bouillottes chaudes pour les première et deuxième classe uniquement. Les ramouniats ou tubistes nettoyaient les tuyaux de la locomotive. Les saboteurs devaient caler le train au moyen d’une sorte de sabot en fer qu’ils plaçaient sur le rail. De là provient le motsaboteur.

Langage machiniste

Quand le charbon utilisé était exécrable, la route devenait une « marche funèbre » : la pression tombait, et, selon le vocabulaire consacré, on «battait la purée», on «traînait la grole», et on «semait des minutes». Le train finissait par s’arrêter en pleine voie, et on « plantait le chou ». Presque toujours, l’« enterrement » se passait au sommet d’une rampe. Alors, par un coup de sifflet spécial, semblable à un long sanglot d’agonie, le chauffeur et son assistant prévenaient les wagonniers de serrer les freins pour empêcher que le convoi ne recule brutalement. Au point culminant de toutes les rampes existait un pont, appelé pour cette raison « pont des soupirs ». Toutes ont résonné longtemps des jurons impuissants des machinistes. Ils mettaient la pression à fond pour que « ça remonte », parfois en vain.

Vie de couple fumeur

Le langage évoquait aussi, de manière presque équivoque, la relation entre le chauffeur et le mécanicien, qui formaient un véritable «ménage», évoluant en «couple», voué parfois au « divorce ». Mais certains refusaient de se remarier avec un autre compagnon. En effet, les deux inséparables devaient vivre des jours ensemble sur le rail, brûler d’une même passion dévorante pour la princesse «loco», se nourrir de mets éventés, laver leur linge... Ils séchaient celui-ci en tendant une ficelle entre la haute cheminée et le dôme de vapeur. Des gardes-barrières ont ainsi vu défiler des locomotives pavoisées et commandées par deux hommes nus dont les vêtements claquaient gaiement au vent !

Plastron bon marché

Les mécaniciens de la locomotive s’aperçurent que le papier journal était un excellent isolant contre le froid et le vent. Ces plastrons de fortune étaient placés entre la veste et le chandail, sur la poitrine ou sur le dos. Les «serre-freins» imitèrent leurs collègues, d’autant plus volontiers qu’ils ne pouvaient se réchauffer, eux, au contact du foyer de la locomotive. Voilà pourquoi les cheminots s’arrachaient les invendus des kiosques à journaux, ce qui fit même prétendre que le chemin de fer avait largement contribué à l’essor de la presse.

Evadé liquidé

Quelle ne fut pas la surprise d’un cheminot de trouver un jour dans sa réserve de charbon un bagnard évadé de Fontevrault (Maine-et-Loire). Il facilita sa fuite en le dissimulant dans le réservoir à eau de son tender, placé derrière la locomotive. Le bandit n’avait qu’à tenir la tête hors de l’eau jusqu’à Bordeaux, où il prétendait trouver asile. En gare d’Angoulême, son complice trouva avec étonnement son cadavre flottant, le ventre gonflé. Malgré tout, il était satisfait d’avoir à la fois « liquidé » un bandit et roulé la police.

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Mathilde

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