Le prisonnier qui parlait l’allemand

Il s’appelait Charles Joseph Coward, n’avait rien d’un lâche et fut même un exemple de courage. Qui l’eut cru avec un tel patronyme ? Citoyen britannique, il s’engage dans l’armée en 1937, à l’âge de 32 ans. Il sert dans le régiment d’Artillerie quand éclate la Seconde Guerre mondiale en 1939. Le 21 mai 1940, les Allemands prennent le port de Calais. Les Alliés battent en retraite et les forces armées britanniques fuient le pays par le port de Dunkerque. Nombre d’entre eux en réchappent juste à temps, mais les moins chanceux sont faits prisonniers. C’est le cas de Charles Coward, qui est alors fait prisonnier de guerre et envoyé au camp de travail de Stalag VIII, dans le sud de la Pologne actuelle.

Coward avait un avantage sur les autres prisonniers : il maîtrisait bien l’allemand. Lors de son séjour au camp, il mit ses compétences linguistiques à l’œuvre, ne s’évadant pas une fois, mais sept ! Déguisé en soldat allemand, il parvenait à duper ses gardes grâce à la langue de Goethe. Un jour, il fut blessé au cours de l’une de ses escapades. Le malheureux, vêtu de l’uniforme allemand, fut envoyé dans un hôpital militaire… allemand. Non seulement lui prodigua-t-on tous les soins nécessaires, mais on lui décerna même la Croix de Fer pour récompenser son courage et sa bravoure !

Très vite, Coward mérita sa réputation de saboteur, et il fut envoyé dans le camp de travail de Monowitz-Buna, aussi connu sous le nom d’Auschwitz III, à quelques kilomètres seulement du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau et de ses chambres à gaz. En tant que prisonnier de guerre britannique, il résidait dans la partie du camp réservée aux non-juifs et travaillait à la production de caoutchouc synthétique. Parlant l’allemand, il se distingua des autres prisonniers et fut nommé agent de liaison pour la Croix-Rouge, car l’Allemagne prétendait alors encore respecter la Convention de Genève et autorisait donc les prisonniers, les non-juifs uniquement, à recevoir les aides de l’organisation.

De par son statut auprès de la Croix-Rouge, Coward bénéficiait d’avantages divers. Il pouvait notamment se déplacer assez librement dans le camp. C’est ainsi qu’il découvrit les conditions de vie horribles dans lesquelles étaient détenus les Juifs, forcés de travailler pour l’entreprise pharmaceutique IG Farben. Coward tenta alors de plaider en faveur des Juifs auprès des représentants d’IG, proposant même de leur offrir notamment les vêtements supplémentaires dont disposaient les prisonniers britanniques. Ils lui rirent au nez. Il était inutile d’insister et il lui faudrait trouver un autre moyen de leur venir en aide.

Avec les autres prisonniers de guerre, ils entreprirent de récolter les vêtements, la nourriture et les médicaments dispensés par la Croix-Rouge. Coward profitait alors de son statut pour introduire en douce ces précieux dans la partie juive du camp. Ses découvertes ne s’arrêtèrent pas là. Très vite, il comprit le sort réservé aux Juifs qui arrivaient dans ce camp voisin et à ces travailleurs juifs, une fois épuisés et, surtout, inaptes au travail, qui y étaient envoyés. Cette fois, il ne se donna pas la peine de s’adresser aux Allemands. Pour quoi faire ? Autorisé à écrire des lettres, il se mit à entretenir une correspondance avec un certain William Orange. Comprenez War Office, dont s’était en réalité le nom de code. Dans ses lettres, Coward y dénonce les actes atroces perpétrés par les Allemands : il y décrit les conditions de vie horribles des Juifs et leur mise à mort dans les chambres à gaz.

Cependant, il ne put s’imaginer rester les bras croisés devant tant d’horreurs. C’est alors qu’avec son ami Yitzhak Persky, dont il avait aidé à cacher l’identité juive sous un faux nom, ils mirent au point un plan. Grâce aux colis d’aide humanitaire qu’ils recevaient, et tout particulièrement au chocolat qu’ils pouvaient contenir, Coward parvint à soudoyer un travailleur allemand : celui-ci lui laissait alors disposer des corps des prisonniers non-juifs décédés. Coward et Persky récupéraient alors les vêtements et les papiers du défunt et les donnaient à des prisonniers juifs pour leur évasion, aidés par des locaux polonais. Ils laissaient ensuite les corps dans des fossés, où les Allemands pourraient les trouver. Ainsi, le nombre de prisonniers juifs disparus correspondaient sur les rapports avec celui des décédés, et personne ne remarquait leur absence, les chiffres portant à croire que personne ne manquait à l’appel. Coward estima à quatre cents le nombre de juifs sauvés de la sorte des griffes de la mort.

Une nuit a tout particulièrement marqué Coward : une nuit de l’enfer. Un jour, il reçoit une lettre, parvenue jusqu’à lui à l’insu des gardes, d’un certain Karel Sperber. L’homme est un Juif britannique et a servi comme médecin dans la Marine britannique. À sa capture, il n’est pas envoyé avec ses camarades dans la partie du camp réservée aux prisonniers de guerre, mais de l’autre côté, avec les détenus juifs. Coward, souhaitant venir en aide à son compatriote et militaire, décida d’échanger ses vêtements avec un détenu juif et de prendre sa place le temps de retrouver l’individu. Il ne trouva jamais le marin en question, mais se trouva aux premières loges de l’horreur. Il passa une nuit entière dans les baraquements réservés aux juifs, témoin des conditions inhumaines dans lesquelles ces prisonniers étaient forcés de vivre, ou plutôt de survivre.

En décembre 1944, Coward est renvoyé dans le camp de Stalag VIII. En janvier 1945, alors que les forces alliées progressaient, commença pour lui et pour d’autres prisonniers de guerre britanniques une marche forcée vers la Bavière, où ils furent libérés par les Alliés. Coward témoignera des horreurs dont il fut témoin lors de sa captivité aux procès de l’après-guerre, notamment au procès de Nuremberg ainsi qu’à celui d’IG Farben, responsables du camp de Monowitz-Buna.

Si Coward n’avait rien d’un lâche, il plane, autour de ses histoires, une aura de scepticisme. En effet, si l’on s’accorde à dire qu’il est bel et bien venu en aide aux juifs, certains le soupçonnent d’avoir extrapolé. Il faut dire qu’il est difficile de corroborer ses dires, aucun évadé n’ayant été retrouvé ou ne s’étant fait connaître. Un autre prisonnier de guerre, Doug Bond, détenu au même moment dans le camp, remet notamment en doute sa nuit passée dans les baraquements juifs.

Son histoire en a cependant inspiré plus d’un, notamment l’auteur du livre The Password is Courage, écrit sous le nom de plume de John Castle, livre dont une adaptation éponyme a été faite au cinéma par Andrew L. Stone en 1962. Vrai ou faux ? Personne ne le saura probablement jamais. Ça n’en reste pas moins une belle histoire de compassion et d’entraide à une des époques les plus noires de notre Histoire.

Auteur : Florence Monnaie

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