L'école du XIXe siècle
Locaux de fortune
Jusqu’aux environs de 1840 au moins, l’école se réduisait généralement à une seule pièce, local d’emprunt non conçu pour faire la classe, sans cour, préaux et latrines. Quand, en 1882, fut institué l’enseignement primaire obligatoire, les jeunes maîtres découvrirent dans les villages des conditions de travail toujours aussi déplorables. Les élèves déféquaient dans la rue ou dans les champs voisins. Quand la mairie prêtait le local, elle y tenait aussi les réunions du Conseil, y entreposait ses archives et son cadastre. L’instituteur louait parfois la salle de classe. Le plus souvent, elle était une pièce de sa propre maison. Dans ce cas, il pouvait s’occuper du ménage, de ses enfants, ou cuisiner tout en enseignant. La classe pouvait aussi être une grange ou une étable, le bétail présentant l’avantage de la chauffer gratuitement. De toute façon, elle était malodorante, puisque volaille et chiens se mêlaient aux enfants, sombre, humide, mal aérée, glaciale en hiver. Il pouvait s’agir aussi d’un taudis dangereux, prêt à s’écrouler, au sol de terre battue, transformé en bourbier en cas de pluie, ce qui arrivait généralement à la mauvaise saison, quand la fréquentation était la plus importante. Dans bien des écoles, chaque élève devait apporter sa bûche pour participer au chauffage de la classe.
Internats insalubres
Comme les collèges et leurs dortoirs n’étaient pas chauffés, les étudiants grelottaient en hiver, étaient perclus de crevasses et d’engelures. Le froid était une raison de plus de ne pas se laver, puisque l’eau gelait dans les cuvettes. Les tables de toilette dans les chambrées étaient considérées comme un luxe. En 1872, le pensionnat du lycée de Vanves (Hauts-de-Seine) fut cité en exemple parce que les élèves y prenaient un bain par trimestre et un bain de pieds tous les quinze jours. L’idée que les poux sucent le mauvais sang, qui prévalait toujours, ne contribuait pas à débarrasser les internes de la vermine.
Révoltes
Dans les lycées créés sous Napoléon Ier, des insurrections sont attestées. Ainsi, en 1814, les élèves se révoltèrent quand la cloche remplaça le tambour et la cocarde blanche, l’insigne tricolore. Quand l’autorité du préfet ou du recteur ne suffisait plus, on faisait appel aux gendarmes. Les indisciplinés pouvaient être mis aux arrêts et jetés en prison.
Châtiments corporels
Bien des écrivains du XIXe siècle, comme Jules Vallès, Emile Zola ou Maxime Du Camp, ont décrit des pratiques pédagogiques violentes. L’agressivité caractérisait d’abord le comportement des élèves entre eux. De Guizot à Ferry, il était convenu que l’école avait pour mission d’instruire et d’éduquer afin d’éradiquer la violence sociale, l’injure, la bagarre, les barricades... L’école avait vocation de domestiquer la masse au nom de la morale, principe qui aboutit à la brutalité des détenteurs de savoir et de pouvoir, en complet porte-à-faux avec les vertus démocratiques. Jusqu’au milieu du siècle au moins, prévalait l’idée de l’enfant instinctivement criminel, tendance que renforçaient l’hérédité et l’appartenance aux classes déshéritées. La pédagogie par les coups, à l’école comme dans la famille, était ainsi justifiée. Aussi se mirent- ils à pleuvoir. Quand, à partir de la Monarchie de Juillet, et surtout sous le Second Empire, les pouvoirs publics s’attelèrent à interdire les châtiments cruels à l’école, ils invoquèrent aussi leur caractère immoral, en particulier quand ils entraînaient de graves blessures, voire la mort! Ils inventorièrent par la même occasion les excès: «Enfants roués de coups, parfois entravés par des cordes tel un animal domestique mis à mort, oreilles arrachées ou déchirées par un objet métallique, usage de baguettes effilées comme le sont les aiguillons du bouvier...» La loi Guizot de 1834 interdit bien toutes ces méthodes mais, pour toutes sortes de raisons qui rendaient les condamnations compliquées, les maîtres continuèrent longtemps à recourir aux humiliations publiques, aux pensums et aux violences en tout genre. Dans son Numa Roumestan (1881), Daudet évoque ce petit garçon marqué à vie par des châtiments «féroces», comme «balayer à coups de langue le carreau fraîchement arrosé, sa poussière devenue boue et souillant, mettant à vif le palais tendre des coupables». Quand il ne disposait pas d’une férule – palette formée d’épaisses et larges bandes de cuir –, le maître ou le professeur utilisait le fouet – composé de lanières de cuir –, de verges – assemblage de baguettes d’arbustes – ou d’une simple baguette de noisetier ; un instituteur conseilla un jour à un stagiaire de ne pas craindre de la briser. L’historien Ernest Lavisse se rappelle la tyrannie de ses instituteurs à l’école de Nouvion-en-Thiérache (Aisne), vers 1850 :
«La discipline de l’école était sévère; pour les petites fautes on était puni par l’agenouillement simple; pour les grandes, par l’agenouillement avec une main levée portant une brique, ou bien par des coups de baguette, la peine la plus grave; placé près du maître, je voyais la grimace du supplicié qui tendait une main et cachait l’autre derrière son dos afin d’être tranquille au moins pour celle-la. »
Lavisse évoque ici une des variantes de la punition du jambon. Elle consistait à rester en mi-flexion, parfois sur une seule jambe, les bras en croix, avec une pile de livres dans chaque main.
On punissait aussi par l’immobilisation debout sur un cube en bois ou au centre d’un cercle tracé à la craie dans la cour, l’agenouillement sur une réglette en bois, l’enfermement dans des espèces de cages à roulettes, d’où le cancre pouvait suivre les cours.
Dur dur l’enseignement
Un instituteur témoigne en 1873, dans l’Avenir républicain de l’Aube, du poids considérable de la charge des maîtres à la campagne :
« Plus de la moitié d’entre nous sont atteints d’infirmité dès l’age de 35 ans : vue faible, maladie du cœur de poitrine, extinctions de voix, etc. Pour ma part, j’ai 70 élèves des deux sexes; ma classe est divisée en deux parties par une cloison ; les filles sont d’un côté et les garçons de l’autre; j’ai 5 divisions de filles et 5 divisions de garçons. Tout ce monde travaille constamment, il me faut instruire et surveiller les autres en même temps; un grand nombre de ces enfants ne s’en retournent pas chez eux à midi ; ils dînent en classe ; il me faut alors garder la récréation, prendre mon repas et préparer mes leçons pour la classe du soir. Après mes six heures de classe, pendant lesquelles j’ai enseigné : lecture, écriture, calcul, orthographe, histoire, et géographie, [...] il me faut faire dans la soirée un cours d’adultes à 20 jeunes gens. »