Le Moyen Âge constitue l’une des périodes les plus fascinantes de l’histoire. Parce qu’elle s’est étendue sur plus de dix siècles, mais aussi et surtout parce qu’elle regorge de mystères et d’énigmes encore non résolus aujourd’hui. Combien de personnes sont encore à l’heure actuelle, par exemple, à la recherche du trésor des Templiers ? S’il s’agit là d’une des affaires les plus connues dans le monde, cette période longtemps rejetée lors des siècles suivants renferme de nombreuses autres histoires plus locales et méconnues. Pourtant, beaucoup d’entre elles mériteraient plus de reconnaissance. C’est assurément le cas des « enfants verts de Woolpit ».
Pour s’intéresser à cette histoire, il faut se plonger au cœur du Moyen Âge, au milieu du XIIe siècle, dans la campagne anglaise. Woolpit est un petit village paisible de l’Est du pays, à 60 kilomètres de Cambridge. Comme partout à cette époque, les habitants du bourg vivent essentiellement de l’agriculture et de l’élevage. C’est en pratiquant ces activités que quelques villageois aperçoivent deux enfants inconnus, une fille et un garçon, non loin de l’entrée d’une caverne. A cette époque, les communautés sont très soudées et tout le monde se connait. Ces deux étrangers attirent donc rapidement l’attention sur eux. En s’approchant, les agriculteurs sont stupéfaits : les enfants sont non seulement des étrangers, mais ils ont en plus la peau verte ! Pour rendre la situation encore plus bizarre, ils ne parlent pas l’anglais mais une langue inconnue et aux sonorités très différentes. Ils portent des vêtements qu’aucun villageois n’a jamais vu et, pour couronner le tout, ils refusent systématiquement la nourriture qui leur est proposée.
Plusieurs jours passent, au cours desquels les enfants verts ne mangent rien, jusqu’à ce qu’on leur propose des fèves. Il s’agit là de l’unique menu qu’ils acceptent d’ingurgiter durant des semaines. Durant ce temps, la rumeur selon laquelle deux créatures humanoïdes auraient été trouvées à Woolpit se répand comme une trainée de poudre dans la région. Les gens du coin avancent des théories toutes plus ingénieuses les unes que les autres afin d’expliquer ce qui est en train de se passer. Pour certains, c’est un signe clair qu’il existe une civilisation sous-terraine et la caverne près de laquelle les enfants ont été trouvés constitue le passage entre les deux mondes. Pour d’autres, il s’agit d’extra-terrestres venus en repérage pour préparer une invasion.
Durant des semaines, voire des mois, les deux pré-adultes sont incorporés dans la communauté formée par les résidents de Woolpit. On leur apprend l’anglais, on les baptise afin qu’ils deviennent de bons chrétiens. On leur donne également un nom. Le petit garçon décède rapidement d’une maladie qu’il a contractée sur place. En revanche, la fille, à qui l’on attribue le prénom d’Agnès, s’insère dans la vie du village. Elle est notamment embauchée dans l’une des maisons les plus importantes de la région. Au fur et à mesure que le temps passe, sa peau retrouve une couleur plus normale.
Grâce à son apprentissage de l’anglais, Agnès est désormais capable de discuter avec les habitants de Woolpit, et tous sont très impatients de savoir comment elle s’est retrouvée devant la caverne, et surtout pourquoi elle avait la peau verte à ce moment. En guise de toute réponse, elle rétorque invariablement : « je ne sais pas ». Elle se rappelle qu’elle et son frère avaient pour mission ce jour-là de surveiller le troupeau de bêtes de leurs parents. Ils ont suivi les animaux sans trop réfléchir et ont entendu au loin des cloches sonner. Ils se sont alors dirigés vers elles et, d’un coup, se sont retrouvés près d’un piège à loup et n’ont plus osé bouger, jusqu’à ce que les agriculteurs viennent à leur rencontre.
Par la suite, les sources, déjà rares à se pencher sur cette histoire, se taisent à propos de l’enfant à l’origine inconnue. Avec si peu de données, et provenant d’acteurs indirects (l’une des deux sources énoncées est constituée d’écrits de Raoul de Coggeshall, un homme d’Eglise sans doute né après les faits qu’il relate. L’autre est écrite par l’historien et chanoine William de Newburgh, contemporain des faits mais qui avoue voir une signification, sans pouvoir donner d’explication), il est et sera bien difficile pour les historiens actuels et futurs de tirer cette histoire au clair.
Plusieurs théories sont avancées : il est possible qu’il s’agisse d’enfants d’émigrés flamands, nombreux dans la région à cette époque. Cela expliquerait pourquoi les anglais de Woolpit ne comprenaient pas leur langue. En ce qui concerne leur peau verte, Derek Brewer imagine qu’ils auraient pu souffrir de chlorose, une maladie qui donne un teint verdâtre à la peau des personnes qui en souffrent. Cette coloration disparait au fur et à mesure avec une alimentation équilibrée. Ce même historien pense d’ailleurs détenir l’explication globale de cette histoire : il s’agirait simplement de deux enfants effectivement chargés de surveiller un troupeau dans l’un des villages voisins. Comme ils venaient de débarquer de Flandre, ils ne connaissaient pas la région et se seraient perdus. Enfin, puisque les communautés rurales étaient très fermées et centrées sur elles-mêmes, il n’y avait que peu de contacts entre habitants de localités voisines et personne ne serait jamais venu réclamer les enfants.
Simples enfants perdus ou lien avec un monde sous-terrain encore inconnu de nos jours, les enfants verts de Woolpit font encore fantasmer les chercheurs de vérité, 850 ans après leur apparition.
Auteur : Arnaud Pitout