Aujourd’hui considéré comme le plus large empire jamais constitué dans l’Histoire de l’humanité, l’Empire mongol, à son zénith, s’étendait sur la quasi-totalité du continent asiatique et sur de vastes régions d’Europe de l’est et du Moyen-Orient. Sa structure de gouvernance, bien qu’elle se montrât initialement impitoyable envers les populations assujetties en les massacrant et en les réduisant au statut d’esclave, se développa considérablement par la suite en intégrant leur culture et en s’enrichissant de leurs découvertes.
Soucieux de préserver la cohésion des territoires conquis, son fondateur et illustre représentant, Gengis Khan, entreprend alors de le scinder, en 1260, en quatre pays appelés ulus. Chacun de ces fiefs se retrouve ainsi placé sous la férule d’un descendant du grand conquérant, dont Kubilai Khan en est l’exemple le plus évocateur.
C’est toutefois en raison de cette scission que l’empire finira par s’effriter ; les grands Khan cherchant à fonder leur propre état et Kubilai, à s’étendre vers le Pacifique… où il sera à deux reprises éconduit par un mélange de malchance et d’imprévoyance.
Car s’il est une région où viendront mourir les ambitions expansionnistes des Mongols, c’est bien au travers des côtes nippones qu’il faut en voir le témoignage le plus retentissant.
En effet, en l’an 1266, Kublai Khan, qui s’est déjà emparé de la Corée, envoie des émissaires au Japon afin de transmettre à son peuple ses ardeurs de conquête. Par la même occasion, il lui somme de s’astreindre au versement d’un important tribut, faute de quoi le pays tout entier sera assiégé par des hordes de guerriers sanguinaires.
Leurs demandes resteront lettre morte.
Aussi, une seconde délégation mongole est envoyée avec la ferme intention de ne pas être autant négligée que la précédente. Mais à nouveau, leur message semble susciter le même engouement que lors de leur dernière tentative.
En effet, le Shikken, sorte de dictateur militaire japonais de l’époque, exprime une défiance particulière face à ces deux communications et ordonne que les prochains émissaires du Khan ne puisse plus débarquer sur le territoire nippon. De plus, prévoyant une invasion imminente sur les côtes de Kyūshū, l’île la plus au sud de l’archipel, il ordonne aux différents seigneurs de la région de mobiliser leurs forces et d’organiser la défense du territoire. De son côté, l’Empereur japonais, entité davantage divinisée que politisée, concentre les efforts du Palais vers la résolution de cette crise malgré sa réticence initiale à s’y engager.
Le 5 octobre 1274, les hordes de Kubilai débarquent sur l’île de Tsushima.
Dans ses rangs, l’armée mongole rassemble à la fois des soldats chinois et coréens récemment assujettis et compte essentiellement sur l’ingénierie navale de ces derniers pour traverser les eaux qui la sépare du Japon. Malgré un équipement essentiellement centré sur l’archerie montée, les Mongols bénéficient aussi de la poudre chinoise qui leur permet d’avoir recours à toutes sortes d’armement futuriste telles que des fusées ou des grenades.
D’abord dépassés par la taille des contingents ennemis et par la sophistication de leurs armes, les samouraïs sont rapidement défaits à Tsushima, ce qui permet aux guerriers du Khan de progresser jusque l’île d’Iki. Les japonais, privilégiant les affrontements singuliers, sont à nouveau vaincus par la vague déferlante de l’Empire mongol.
Le 19 novembre, l’envahisseur débarque sur la baie d’Hakata.
S’ensuit alors la célèbre bataille de Bun’ei au cours de laquelle les forces du Khan connaîtront enfin leur première défaite sur le sol nippon. En effet, malgré leurs avantages numériques et technologiques sur les samouraïs, les forces du Khan finissent par être bloquées dans leur progression et doivent se résoudre à passer la nuit sur place pour réorganiser leur stratégie. C’est une aubaine pour les généraux japonais qui n’attendent que l’arrivée des renforts pour bouter l’ennemi hors de l’archipel.
Néanmoins, du côté adverse, l’idée d’une retraite définitive en pleine nuit commence à naître dans les esprits. À ce changement de cap drastique, les historiens attribuent plusieurs facteurs : un profond manque de cohésion entre les différentes ethnies composant l’armée mongole, un objectif de repérage alors accompli, un manque de ressources, un cas d’épidémie… Aujourd’hui encore, les raisons de ce retournement de situation restent mystérieuses.
Profitant de cet affaiblissement, les soldats japonais rejoignent, à l’aide d’embarcations plus légères, plus discrètes et plus navigables, les jonques de l’ennemi en fuite où ils parviennent à causer de nombreuses pertes parmi ses rangs. En réalité, les Mongols ne peuvent répliquer efficacement puisque leurs compétences au combat dépendent essentiellement de leurs montures et de leurs arcs. Ces derniers se trouvent donc bien désemparés lorsque débarquent en pleine nuit sur leurs ponts des troupes de samouraïs formés exclusivement aux affrontements rapprochés.
Mais la débandade ne s’arrête pas là…
Et pour preuve : les navires du Khan font, pour la première fois, l’expérience redoutable et destructrice des « vents divins » qui semblent protéger le Japon contre tout envahisseur. Au pays du Soleil levant, ce déchaînement venteux portera le nom de… Kamikaze !
Toutefois, si cette première évasion se solde par un échec cuisant, il en faut davantage au chef des Mongols pour assumer la défaite. Ainsi, cinq nouveaux missionnaires coréens sont envoyés en terres japonaises afin de réitérer les ambitions de son empire. Cette fois, les Nippons adressent à leur tour un message : ils font décapiter les cinq messagers et ordonnent la construction de murs de défense le long de leurs côtes.
Au comble de sa frustration, Kubilai Khan lance alors une deuxième invasion sur l’archipel insoumis. En 1281, deux imposantes flottes mongoles débarquent à nouveau sur l’île de Tsushima où elles se heurtent violemment aux fortifications japonaises. Malgré leur supériorité numérique, les envahisseurs sont repoussés et doivent se résoudre à fuir d’île en île.
Finalement, la majorité des généraux du Khan sont vaincus lors de la bataille de Mikuriya et l’armée ennemie se trouve ainsi dépourvue de toute épine dorsale. Les soldats adverses décident de rebrousser chemin devant l’étendue du massacre sans s’attendre une seule seconde à ce que la nature, à nouveau, leur prépare…
Le 15 août, un puissant typhon balaye en effet la région et anéantit la totalité des forces mongoles restantes. Les Japonais, devant ce spectacle, loue le ciel pour leur salut et attribue à ce phénomène des origines divines et protectrices.
Il faudra attendre presque 700 ans pour que les kamikaze, symbole de la protection des dieux, prennent la signification que nous leur connaissons aujourd’hui. D’envahis à envahisseurs, la frontière des mots semble parfois bien refléter la ténuité des réalités qu’ils expriment.
Auteur : Maxime Wève