À 18 ans, Joan Fontaine venait d’arriver à Hollywood quand la RKO, studio pour lequel elle venait de signer, la somma de se rendre à une soirée pour divertir des exploitants de salles de cinéma. La jeune femme s’y rendit avec sa mère, ce qui ne semblait pas être au goût des invités.
Ceux-ci, souvent ivres, s’approchèrent de Fontaine les uns après les autres, l’intimant de faire partir l’indésirable matrone et de les suivre en haut. La mère de la jeune fille, elle, prit vite sa décision en enfermant sa fille à double tour dans la chambre que le studio lui avait prêtée, mais même dans ce refuge, des hommes vinrent frapper à la porte pendant la nuit pour lui faire des avances. Le lendemain, le responsable de la communication de la RKO convoqua la jeune Joan dans ses bureaux et lui fit savoir que le manque de courtoisie dont elle avait fait preuve était intolérable, mais la maternelle de Fontaine, qui veillait au grain, lui fit savoir qu’il était hors de question de traiter son enfant comme une prostituée. Selon toute vraisemblance, elle sut se montrer dissuasive, car on ne demanda plus jamais à Joan de divertir des hommes d’affaires de passage. Mieux encore, on lui offrit les rôles qui allaient lancer sa carrière. Le cas de figure qui avait touché Joan Fontaine était loin d’être rare à Hollywood, où les producteurs gardaient une multitude de jeunes filles sous contrat non pas dans le but de leur proposer une carrière au cinéma, mais plutôt pour les utiliser comme hôtesses lors de soirées où se pressaient des représentants de commerce issus de tout le pays. Après six mois, elles étaient généralement relâchées dans la nature et remplacées par d’autres jolies et ambitieuses jeunes femmes. À Los Angeles, ce n’étaient pas les candidates qui manquaient. Parmi les histoires de celles qui furent un jour prostituées contre leur gré par leur employeur, celle de Patricia Douglas est sans conteste l’une des plus tristes. En 1937, Douglas répondit à une petite annonce de la MGM qui faisait appel à de jeunes danseuses pour jouer dans un spectacle de Far West. La danse était après tout la spécialité de la jeune femme de 20 ans, n’était-ce pas l’occasion rêvée pour se faire remarquer ? Douglas rejoignit une centaine d’autres filles dans les locaux de la MGM, où on lui expliqua qu’elle avait été engagée pour divertir les convives d’une convention réservée aux représentants de commerce du studio. Elle était encore loin de se douter que cette soirée allait gâcher sa vie. Après lui avoir fait enfiler une légère tenue de cowgirl, on la fit monter dans un bus en direction d’une salle isolée. La convention commença sous de sages auspices, avec plusieurs numéros comiques, dont une apparition de Laurel et Hardy, mais les heures passant et les bouteilles d’alcool se vidant, les invités, à qui 42 on avait présenté les jolies hôtesses comme des cadeaux de la maison, commencèrent à se déchaîner.
Tandis que ses collègues d’un soir se faisaient retenir contre les fauteuils et tripoter de la tête aux pieds, Patricia Douglas, elle, tentait d’échapper à David Ross, un commercial de Chicago bien décidé à coucher avec la jeune femme, de gré ou de force. Avant cette soirée, la jeune femme était vierge et n’avait jamais bu une goutte d’alcool, mais en quelques heures, Ross lui vida plusieurs bouteilles d’alcool sur la tête et surtout, lorsqu’elle voulut se réfugier à l’extérieur, il la plaqua sur la banquette arrière d’une voiture, où il la viola.
Ce n’était malheureusement que le début du calvaire de Douglas.
Retrouvée titubante par un valet de parking, elle fut emmenée à l’hôpital de Culver City, qui se trouvait en face de la MGM et entretenait des liens très proches avec le studio. On lui fit prendre une douche froide avant de l’examiner, compromettant toute chance de constater des traces d’agression sexuelle, tandis que la police, mise au courant de l’incident, ne jugea pas utile de dresser un procès-verbal. Douglas porta plainte contre la MGM, plainte dûment ignorée par le procureur Buron Fitts, grand ami de Louis B. Mayer. Ce fut grâce à un jeune avocat ambitieux du nom de William Brown, qui avait accepté de défendre gratuitement la jeune femme, qu’une procédure fut finalement engagée quand un journal accepta de publier l’histoire de Douglas, bien que l’auteur de l’article se gardât, par sécurité, de mentionner les trois lettres MGM. Au début, le procès parut prometteur pour la plaignante, avec la déposition d’un serveur qui décrivit la soirée comme la fête la plus dépravée et immorale à laquelle il avait assisté.
Toutefois, les témoignages des autres filles et surtout du valet de parking seraient déterminants.
C’est à ce moment qu’Eddie Mannix entra en jeu. Pour commencer, il rendit visite au témoin de l’agression qui avait recueilli la victime et vu fuir l’agresseur, lui promettant un emploi de chauffeur très bien rémunéré pour le compte de la famille MGM. Étrangement, le voiturier fut frappé d’amnésie lors de sa comparution au tribunal… En deuxième lieu, Mannix engagea une agence de détectives pour retrouver chacune des 120 cowgirls de la soirée et s’assurer que leur version des faits collerait à la nouvelle réalité, celle où Patricia Douglas était une ivrogne et une allumeuse qui avait perturbé une charmante convention par son attitude grossière. En fin de compte, seules deux jeunes filles refusèrent de se parjurer et prirent la défense de la plaignante. Pour représenter David Ross, enfin, la MGM choisit un avocat impitoyable qui multiplia les attaques d’une bassesse inouïe envers la personne de Douglas, critiquant particulièrement son physique. Même face à ses manigances, la jeune femme ne se laissa pas démonter et continua la bataille, mais quand William Brown, son défenseur, décida de se présenter aux élections du ministère public face à Buron Fitts, il se rendit vite compte qu’il n’avait pas intérêt à se mettre à dos la MGM. Il décida donc de ne plus se rendre aux audiences, ce qui entraîna l’annulation du procès lancé par Douglas. Buron Fitts fut réélu à son poste et au bout de quelques mois, l’affaire du viol présumé de Douglas fut oubliée par les médias.
Ce n’est qu’en 2003 qu’un journaliste du magazine Vanity Fair déterra le scandale et retrouva la victime, qui put enfin livrer toute la vérité sur l’événement qui avait bouleversé son existence. Eddie Mannix, qui avait opéré dans les coulisses tout au long de l’affaire, aurait quant à lui déclaré fièrement lors d’un dîner mondain : Je l’ai assassinée ! Dans ce cas-ci, au moins, il était certain qu’il s’agissait d’un assassinat au sens figuré…
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