« His Majesty's armed vessel Bounty » est une des plus célèbres frégates constituantes de la Royal Navy britannique, entrée dans l’histoire en raison de la mutinerie, le 28 avril 1789, d’une partie de son équipage dans le Pacifique Sud.
Le 26 mai 1787, la Royal Navy achète un navire charbonnier du nom de Bethia et le rebaptise «Bounty ». Le 16 août de la même année, le lieutenant William Bligh prend le commandement du navire Bounty, qui appareille le 23 décembre. Au cours de la traversée, et en raison des mesures d’hygiène drastiques prises par Bligh, aucun malade n’est à déplorer. En avril, la Bounty arrive au Cap Horn, cap que l'équipage essaie de franchir pendant un mois, empêché par la tempête. Les pompes sont mises en action toutes les heures. Après plus de trente jours de combat » contre les éléments, Bligh renonce et rallie Tahiti par le cap de Bonne-Espérance. Le 23 mai 1788, alors que le cap de Bonne-Espérance est franchi par la Bounty, elle relâche durant un mois pour procéder à des réparations et permettre à l’équipage de se reposer et de se ravitailler. Le 20 août, elle aborde les côtes de Tasmanie pour se réapprovisionner, un matelot meurt d’une infection. C’est seulement après dix longs mois de traversée que la Bounty touche la pointe de Vénus au nord de Tahiti, le 26 octobre 1788.
C’est le 28 avril 1789, aux premières heures du matin, que le sort de la Bounty bascule du tout au tout, alors que le navire vogue dans le Pacifique, au sud de l’île volcanique de Tofua. Vers cinq heures du matin, Christian, le second capitaine, redescend dans le navire et renvoie John Hallet qui dormait sur le coffre contenant les mousquets. Trois de ses hommes, ainsi armés, arrêtent Bligh dans sa cabine, lui lient les mains et menacent de le tuer s’il tente de prévenir les marins. Le capitaine, ignorant cette menace, crie aussi fort qu’il le peut dans l’espoir de faire se déplacer des marins et d’obtenir du secours. Bligh est ainsi emmené sur le gaillard d’arrière, ses mains étant liées par une corde tenue d’une main par Christian, qui tient de l’autre une baïonnette et qui a accroché à son cou un boulet de sondage afin de pouvoir sauter par-dessus bord si la mutinerie venait à échouer.
Les mutins ont cependant surestimé le nombre de leurs soutiens et près de la moitié des marins préfèrent accompagner Bligh. C’est donc la plus grande chaloupe, d’une longueur de sept mètres, qui fut lancée. Au cours des heures qui suivirent, les marins loyaux envers Bligh rassemblèrent leurs affaires et montèrent à bord de la chaloupe.
Sur les quarante-quatre marins présents lors de l’embarquement de la Bounty, dix-neuf se retrouvent sur la chaloupe totalement surchargée. Les vingt-cinq hommes restés à bord du navire sont composés des vingt-et-un mutins, des trois loyalistes détenus et de Michael Byrne qui, aveugle, est resté au bord de la Bounty malgré son soutien à Bligh.
Le cordage reliant le navire à la chaloupe est coupé à dix heures et il ne faut pas plus de temps à Bligh pour décider de rejoindre l’île de Tofua, visible à l’horizon grâce à l’éruption de son volcan. Le 2 mai, Bligh réalise qu’une attaque est imminente et ordonne la mise à l’eau de la chaloupe ; les Tofuans retiennent le cordage afin de l’empêcher de partir. En tentant de libérer la corde, le quartier-maître John Norton tombe à l’eau et meurt. Bligh, à présent en pleine mer, renonce à l’idée de faire escale à Tongatapu, craignant la même réaction de la part des habitants, et estime que les marins et lui-même auraient plutôt intérêt, s’ils cherchent une chance de survivre, à rejoindre directement l’île de Timor, sur laquelle se trouve la colonie hollandaise de Coulpang.
Le 28 mai 1789, la Bounty arrive à Tubuai où l’accueil des indigènes est tout sauf amical, une flottille de pirogues s’approchant directement et hostilement du navire. Christian et ses hommes luttent deux mois pour s’y installer : ils construisent un camp entouré de douves, pour se protéger des attaques maritimes ou terrestres, camp qu’ils baptisent « Fort George » en l’honneur du roi britannique. Christian tente d’établir de bonnes relations avec les chefs locaux, mais toutes ses offres sont vivement rejetées.
Le 22 septembre 1789, quand la Bounty revint à Tahiti, l’accueil qui lui était réservé fut bien moins amical que les fois précédentes. Les Tahitiens, en effet, avaient appris de la part d’un navire britannique passant par là que l’histoire de Christian n’était que balivernes et que Cook était mort depuis dix ans. Dans la soirée du 22 septembre, il entraîna un groupe de Tahitiens, essentiellement composé de femmes, sous prétexte de les inviter à une fête sur le navire : alors que les festivités battaient leur plein, il coupa la corde de l’ancre de la Bounty et prit la mer avec ses captifs.
Le 14 mars 1790, Bligh arrive en Angleterre. Les nouvelles de la mutinerie l’ayant précédé, il est accueilli en héros. En octobre 1790, il est acquitté par une cour martiale pour la perte de la Bounty et promu post-captain (poste correspondant à celui de capitaine de vaisseau).
En novembre de la même année, la frégate HMS Pandora et son capitaine Edward Edwards sont envoyés par l’Amirauté à la recherche de la Bounty et des mutins qui s’en étaient emparés. Ils doivent les ramener impérativement en Angleterre pour qu’ils soient jugés. Le navire arrive à Tahiti le 23 mars 1791 et les quatorze survivants de la Bounty sont arrêtés, quand ils ne se livrent pas d’eux-mêmes. Edwards, sans faire de distinction entre les mutins et ceux qui ont été retenus à bord contre leur gré, les enferme tous dans une prison spécialement aménagée dans la plage arrière du bateau : la Boîte de Pandore.
Bligh, promu au rang de commandant du HMS Providence et parti en mer pour une seconde expédition (également pour obtenir des arbres à pain), avait quitté l’Angleterre depuis un an et n’assista pas au procès. Le procès en cour martiale commença le 12 septembre 1792 à bord du HMS Duke, amarré dans le port de Portsmouth, et fut présidé par l’amiral Lord Hood.
La révolte de la Bounty servit de base à de nombreux romans et articles, mais également à de nombreux films. Le premier sur le sujet fut réalisé en 1916 par l’Australien Raymond Longford et est, aujourd’hui, considéré comme perdu. En 1933, un second film, lui aussi australien, In the Wake of the Bounty, voit les débuts à l’écran de l’acteur d’Errol Flynn, ici dans le rôle de Christian. Ce long métrage est néanmoins éclipsé par la sortie des Révoltés du Bounty en 1935 qui reçut huit nominations aux Oscars et qui fut primé meilleur film. Il présente, selon Dening, le conflit classique entre la dictature de Bligh et la juste cause incarnée par Christian, ce qui vise à populariser dans l’esprit du public l’image de Bligh comme un « sadique tyrannique ».
Deux autres films suivirent : Les Révoltés du Bounty en 1962, avec Trevor Howard et Marlon Brando, et Le Bounty avec Anthony Hopkins et Mel Gibson ; tous deux reprennent cette image de Christian en héros tragique face à un capitaine oppresseur.
Certains historiens tentent néanmoins et malgré tout de nuancer l’image de Bligh. Ainsi, Richard Hough, dans une étude de 1972, dira de lui que c’était « un commandant par mauvais temps inégalable… J’irais en enfer et contre vents et marées avec lui, mais je ne passerai pas une journée sur le même navire par temps calme ».
Auteur : Mathilde de Jamblinne