Calamity Jane, la grande aventurière de l’Ouest sauvage américain, célèbre pour ses règlements de comptes au pistolet, est cette insaisissable cow-girl de la fin du XIXe siècle dont le nom est entré dans la légende…
Le jour de sa mort, à 51 ans, Martha Canary, plus connue sous le nom de Calamity Jane, est aveugle, seule, imbibée d’alcool et dans une grande misère. On ne lui connaît plus qu’un ami, un prêtre, seul témoin de la fin de la tueuse de l’Ouest...
Calamity Jane face à des tipis et tentes à la Pan-American Exposition à Buffalo (New York)
Tour à tour convoyeuse de bétail, poseuse de rails, conductrice de diligence, éclaireuse du général Custer, infirmière, voltigeuse, Calamity est déjà célèbre de son vivant. Elle est en effet l’héroïne de l’un des fameux spectacles itinérants, les Wild West Shows. Toute l’Amérique connaît ce personnage solitaire qui a sillonné l’ouest des États-Unis, de l’Utah au Dakota, en passant par le Wyoming. Mais si, aujourd’hui, nous avons retenu sa participation à la campagne d’Arizona contre les Amérindiens, qu’elle est la seule femme blanche acceptée dans les Black Hills, les montagnes sacrées des Sioux, ou encore qu’elle n’avait pas son pareil pour déclencher des bagarres, c’est la Calamity Jane sensible et désespérément seule qui nous intéresse ici.
Le 8 mai 1944, le talk-show américain « We the People » sur la CBS reçoit Madame Jean McCormick. Cette dame, tout à fait inconnue du grand public, possède une correspondance étonnante : les lettres que Calamity Jane a écrites à... sa fille ! Jean McCormick n’est autre que l’enfant de la terrible cow-girl, confiée au capitaine O’Neil et à sa femme, faute d’argent et d’une vie stable pour l’élever.
Qui mieux donc que la grande Calamity Jane pour nous expliquer elle-même son quotidien ?
Calamity Jane devant la tombe de Wild Bill Hickok au Mount Moriah Cemetery de Deadwood dans le Dakota du Sud.
Comme évoqué, Calamity arpentait les fameuses Black Hills, au coeur du territoire sioux, sans une once de peur et elle en donne la raison :
« Je peux entendre les chiens et les loups, et la plainte saccadée des chiens indiens près de leurs camps. Il y a des milliers de Sioux dans cette vallée, je n’ai pas peur d’eux. Ils pensent que je suis cinglée et ne me font jamais de mal. »
« J’ai suivi une nouvelle piste aujourd’hui ; ce doit être la nouvelle route postale construite par les frayeurs de pistes de Bozeman. J’espère les rattraper demain ; ils sont sur une mission dangereuse et cela ne fera pas de mal que je sois à proximité, juste au cas où ils auraient besoin de quelqu’un pour les aider à effaroucher les Sioux. Je crois que je suis le seul être humain dont ils aient peur. »
La vie sentimentale de Calamity a connu très peu de moments heureux et elle insiste plusieurs fois sur les plus belles années de sa vie qui sont celles passées avec le père de sa fille Jean, Bill Hickok. La complicité du couple ne peut nous empêcher de sourire :
« Ton père et moi avons eu toute la bande. Il y en avait huit et, bien sûr, il a fallu les abattre, car ils ne voulaient pas céder. »
Et la terreur de l’Ouest ne manque pas d’humour :
« Vois-tu, ton grand-père était prédicateur. Il était comme le preacher Smith, il pensait qu’il pouvait combattre la nation indienne tout entière avec une bible. Je ne crains pas de les affronter tant que j’ai deux pistolets dans la ceinture, mais, aussi sûr que l’Enfer existe, je détesterais les affronter avec une bible sous le bras. »
On comprend d’ailleurs bien mieux, en lisant cette correspondance, que les scénaristes des spectacles ambulants aient fait d’elle un sujet phare de leur tournée :
« Car quand je travaillais chez Russel, les bonnes et vertueuses femmes du lieu ont voulu me chasser de la ville. Elles sont entrées dans le saloon armées d’une cravache et d’une paire de cisailles pour me couper les cheveux et me coiffer à la Ninon comme les femmes légères de Paris sont tenues de l’être – comme ça, elles restent à leur place avec leurs marques sur les oreilles. Eh bien, Janey, je leur ai réglé leur compte à ma façon et je n’ai pas quitté la ville coiffée à la Ninon ou marquée par leur cravache. J’ai sauté du bar au milieu d’elles et avant qu’elles puissent dire ouf, les voilà toutes à hurler. J’ai coupé les vieilles boucles noires d’une de ces garces, leur ai flanqué des coups de cravache sur la tête, et j’en aurais tué quelques-unes quand Abbott et le révérend Stipes sont entrés ; la poussière est retombée et elles étaient toutes là, leurs scalps encore sur le crâne, moins quelques poignées de cheveux, et n’ayant subi aucun dommage, sinon que je les avais traînées sur le plancher sale, que leurs robes étaient à moitié déchirées, et qu’un jupon ou deux manquaient. [...] Vois-tu, je porte un pantalon d’homme et ça me permettait de me déplacer pendant que ces femelles en jupons appelaient à l’aide. »
Mais plus qu’une femme fantasque, habillée en pantalon, veste en daim avec franges et chapeau de cow-boy, c’est une âme en peine que nous découvrons dans les lettres destinées à sa fille. Elle y exprime toute sa solitude et évoque de nombreux secrets qu’elle dit emporter dans la tombe. À plusieurs reprises, elle demande pardon à Jean et il est facile de comprendre que Calamity Jane ne vivait que pour la revoir et la savoir épanouie.
Comme en témoigne cette confession :
« J’ai cherché à m’éduquer afin de pouvoir épeler, lire et écrire depuis que ton papa Jim m’a donné les livres d’école et le dictionnaire que j’ai apportés avec moi, cette fois-là, à Omaha. T’abandonner m’a presque tuée, Janey. »
La lecture de ce document édifiant donne une dimension bien plus complexe à la personnalité d’une femme qui n’était pas qu’une championne de tir.