Du XVIIe à la fin du XIXe siècle, dans quelques villages de Vendée, se perpétua, chez les jeunes célibataires des deux sexes, âgés au moins de 15 ans, le rituel de la conquête masculine et de la liaison, qui pouvait aller jusqu’au mariage à l’essai. A la sortie de la messe dominicale et à certaines foires de printemps, le garçon tâchait d’attirer l’attention d’une fille en tirant vigoureusement son jupon par l’arrière, puis en s’emparant de son parapluie, accessoire essentiel du maraîchinage. Les jeunes maraîchinaient souvent collectivement, par dizaines de couples, avec échange de partenaires, dans des chambres d’auberges, le long de talus…
Les nouveaux tourtereaux se limitaient en principe à de longs baisers et à une entrée en matière du garçon laconique :
« Mé ta langue dans ma goule et dis mé que tu m’aimes. »
Moins ouvertement, ils pouvaient se donner du plaisir par masturbation mutuelle, mais sans fornication. Toutefois, selon les statistiques, si les enfants illégitimes étaient peu nombreux, un tiers des couples avait un enfant moins de neuf mois avant le mariage.
Voici deux déclarations d’amour qui illustraient quelques cartes postales du maraîchinage vendéen au début du XXe siècle :
« Y t’trove j’y jolie ma graosse bienche, et pi d’ine si baëlle fraichur qu’y paeu ja meille t’quimparerr’ qu’à qu’tchié chimps d’junes châoux avin qu’les ch’neuilles y seillejin passerr’. Je te trouve si jolie ma grosse blanche et puis d’une si belle fraîcheur que je ne peux pas mieux te comparer qu’à ces champs de jeunes choux avant que les chenilles ne soient passées.
Si t’savo ma m’goune, l’plaisir qu’o m’faitt d’te biserr’. T’a la face si tindre, qu’o mait avis qu’quint y t’bise ma goule se cale din in morcia d’beirr. Si tu savais ma mignonne, le plaisir que ça me fait de t’embrasser. T’as la figure si tendre qu’il me semble que quand je t’embrasse ma bouche se cale dans un morceau de beurre. »
Relevons encore : « V’te m’bisailles ? Nin t’as la goule trop sâle. Veux-tu m’embrasser ? Non tu as la bouche trop sale. »
Solution à la dépopulation
Le 18 Juin 1921, dans son numéro 110, Le Journal Amusant propose la généralisation de cette "mise en bouche" comme "remède au fléau de la dépopulation" :
« C’est bien, décidément, de la province que nous vient la lumière. Je vous signalais récemment l'heureuse initiative du général Limier apprenant à nos soldats les voluptés inconnues de la chorégraphie. Voici, maintenant, qu'un autre régionaliste convaincu nous propose, dans un but infiniment noble et respectable, de généraliser une charmante coutume de sa province. Il s'agit de rien moins que d'apporter un très efficace remède au fléau de la dépopulation. Cela ne mérite-t-il pas notre considération la plus distinguée ?...
Notre décentralisateur voudrait voir se généraliser la coutume rustique appelée, dans la Bresse, le « taboulage » et dans la Vendée, le « maraichinage ». Vous savez en quoi consiste cette pratique un peu singulière. Dans ces régions idylliques une tradition solide, autorise, que dis-je, encourage les jeunes filles et les jeunes garçons en âge de se marier, à se livrer à d'attentives expériences « osculatoires ». L'usage est admis, consacré, respecté.
Non seulement il ne scandalise pas les parents ni le garde-champêtre, mais il les remplit d'un sympathique attendrissement.
Or, il ne s'agit pas, notez-le bien, de petits baisers sans importance, sur le bout des doits, sur le front ou sur les joues. Il s'agit du « baiser florentin » de Brantôme, du baiser profond, lèvre à lèvre, du baiser insistant more columbino qui exige, si l'on peut dire, le « don des langues », ce baiser enivrant que la science médicale moderne a décoré prosaïquement du nom affreux de « cataglottisme ». L'expérience est donc sérieuse et concluante pour les intéressés.
En Bresse, les bonnes manières exigent que ces travaux d'approche des fiancés éventuels soient accomplis dans la chambre des parents de la jeune fille, au pied du lit clos. Les choses se passent avec une patriarcale simplicité. Le père et la mère, se couchent et tirent les rideaux qui enveloppent complètement leur lit. Les deux jeunes gens doivent installer deux chaises au pied du lit, contre le rideau même. Une simple cloison de cretonne les sépare donc des représentants de l'autorité familiale. Et c'est là que nos deux « tabouleurs » devront s'asseoir, en face l'un de l'autre, pour chercher à se mieux connaître, à approfondir leur caractère, à faire des projets d'avenir et, comme disent les gens d'affaires, à « prendre langue », dans le sens le plus littéral du terme. Ils passent ainsi une bonne partie de la nuit, affairés et silencieux, à étudier leurs réactions personnelles et à développer leur virtuosité. Mais l'expérience ne dépasse pas une honnête limite et les deux galants savent se contenter de ces bagatelles de la porte, d'ailleurs fort appréciable.
En Vendée, le « maraichinage » se passe en plein air. Il se conforme, également, à des rites précis. Les deux sujets s'abritent derrière un grand parapluie violet, à l'ombre duquel ils se blottissent.
La maraichine dit alors au maraichin :
« Me ton pé contre mon pé,
Mé ta main dans ma main
Et bisons-nous !... »
Et elle ajoute, traditionnellement, cette remarque touchante qui révèle les qualités sérieuses de la ménagère :
« Fais tôt ce que tu voudras
Mais vaque à ma coeffe !... »
Et là-dessus, notre jouvenceau et notre jouvencelle s'enlacent, unissent leur bonheur et s'embrassent goulûment, interminablement, à perdre haleine, pendant de longues heures, sous les yeux bienveillants des passants. Ils étudient le mécanisme de leur bonheur; la jeune fille fait des comparaisons, des éliminations et finit par se donner « au plus apte », ce qui est la plus parfaite expression de sélection naturelle et la plus haute sagesse darwinienne!
Le résultat est que — sans que le nombre des filles-mères s'y accroisse le moins du monde — la proportion des naissances dans les derniers villages où se perpétue cette tradition « orale » est supérieure de 10% à celle des autres départements français !
Est-ce que cela ne vous donne pas à réfléchir ? Ne voyez-vous pas que ces expériences probatoires sont le meilleur moyen de créer des couples bien assortis et physiquement bien harmonisés ?
Plus de surprises, plus de déconvenues au lendemain du mariage : les conjoints connaissent leurs tempéraments respectifs et la manière de s'en servir. Le bonheur conjugal est leur récompense et la France en recueille le bénéfice!
Qu'attendons-nous pour « tabouler » et maraichiner » sur les boulevards! Ne voyez-vous pas la jolie petite ombrelle violette que pourraient lancer nos coquettes maraichineuses : « Mé ton pé contre mon pé, mé ta main dans ma main et bisons-nous!... » Quel célibataire endurci résisterait à ce programme? Et quel Lamarzelle attardé osera protester contre cette-initiative qui réjouirait les mânes de M. Piot et peut faire tant de bien à notre pays !
FOX-TROTT "