L’industrie du cinéma brassait beaucoup d’argent à Los Angeles, il était donc dans l’intérêt de la ville de protéger sa poule aux oeufs d’or. Les chefs de la police tant que les politiciens locaux l’avaient bien compris. Ils ne manquaient jamais une occasion pour dîner avec des producteurs ou se faire photographier en compagnie de stars, de telles photos permettant toujours de faire bonne impression auprès de l’électorat. Le procureur du comté de Los Angeles, Buron Fitts, fut décrit comme étant complètement à la solde des producteurs, tandis que les personnes d’influence du monde politique, de la justice ou de la presse qui restaient insensibles au charme dévastateur d’Hollywood avaient tendance à se laisser convaincre par les généreux pots-de-vin offerts par les studios, qui comptaient avant tout sur leurs amis haut placés pour ne pas ébruiter les scandales.
Lorsque les vedettes de la MGM s’attiraient des ennuis, elles savaient que la dernière chose à faire était d’appeler la police ou leur avocat. Non, Howard Strickling, le responsable de la communication du studio, était là pour les aider. Le réseau tentaculaire de Strickling lui permettait d’étouffer bagarres, affaires de débauche et autres suicides concernant ses vedettes. D’après certains de ses contemporains, Strickling était si bien connecté qu’il était même capable de dissimuler des meurtres. Outre ses amis dans les tribunaux, dans la police et à la mairie de Los Angeles, le Monsieur Propre de la MGM comptait sur son bras droit, Eddie Mannix, véritable gangster au physique de bulldog et aux nombreux amis dans la mafia. Mannix, qui occupait officiellement le poste de directeur général de Louis B. Mayer et avait commencé sa carrière en tant que videur dans le parc d’attractions new-yorkais des frères Nicholas et Joseph Schenk, fondateurs de la MGM, avait en réalité pour mission de surveiller Mayer de près, mais aussi de sévir quand les vedettes se permettaient des écarts.
Clark Gable, avec ses soirées arrosées et surtout ses escapades extraconjugales à répétition, fut un des meilleurs clients de Strickling et Mannix. Gable avait un faible pour les femmes mûres, mais И Hollywood, il se mit à fréquenter des femmes de son âge, au grand dam de sa petite amie officielle, Ria Langham, une riche héritière qui comptait dix-sept printemps de plus que l’acteur. Ce fut sa liaison avec Joan Crawford qui causa le plus de migraines à Strickling lorsque Gable mit sa très célèbre collègue enceinte, elle qui était par ailleurs mariée. Quand Langham menaça de dévoiler l’infidélité de son compagnon à la presse, Strickling réprimanda Clark Gable et organisa ses fiançailles, sans oublier de faire avorter Crawford. Gable n’eut que faire de sa punition et continua à fréquenter sa maîtresse en secret, obligeant la MGM à mettre les petits plats dans les grands : une tournée à travers les Etats-Unis pour le couple Gable-Langham, contraint d’annoncer son futur mariage, et une seconde lune de miel tous frais payés pour Crawford et son mari, y compris un départ en grande pompe avec cortège à travers tout Los Angeles. Clark Gable dut aussi enchaîner plusieurs films de série B, mais cela ne l’empêcha pas d’avoir d’autres enfants illégitimes.
Quelques années plus tard, en 1935, alors qu’il voyageait en train avec l’équipe de tournage de L’Appel de la forêt, Clark Gable se glissa dans le compartiment de Loretta Young et força la jeune femme à avoir des relations sexuelles avec lui. Par honte, Young s’en cacha, mais quand la MGM s’aperçut que son actrice était enceinte, elle l’envoya en vacances en Angleterre jusqu’à la naissance de l’enfant.
La fille de Young et Gable, Judy, passa les dix-huit premiers mois de sa vie dans un orphelinat anglais avant de se faire adopter par Loretta. À Hollywood, peu de monde était prêt à croire que l’actrice n’était pas la mère biologique du bébé, surtout qu’en grandissant, les grandes oreilles de la petite fille ressemblèrent de plus en plus à celles de son père. Afin de cacher cette ressemblance troublante, Loretta Young faisait porter un bonnet à sa fille sur toutes les photos et quand la petite atteignit l’âge de 7 ans, sa mère décida qu’elle devrait se faire recoller ses deux gênants appendices. Malgré la mise en garde du chirurgien qui lui suggérait d’attendre, car il s’agissait d’une opération très douloureuse sur un enfant si jeune, l’intervention eut tout de même lieu face à l’insistance de la mère. En dépit d’insistantes rumeurs autour de la paternité de Clark Gable, la jeune Judy ne découvrit la vérité qu’à l’âge de 23 ans, après la mort de l’acteur, à la veille de son mariage, et qui plus est de la bouche de son fiancé. Sa mère fut contrainte d’avouer les faits, qualifiant Judy de péché mortel ambulant.
Même les plus indiscrets des journalistes ont longtemps pensé que la liaison entre Clark Gable et Loretta Young avait été consentante et d’après sa belle-fille, l’actrice s’était elle-même tenue responsable pendant des années du viol qu’elle avait subi, ce qui aurait expliqué ses réactions farouches.
Au début des années 1940, Mickey Rooney était célèbre pour ses rôles de gendre idéal et lorsqu’avec sa compagne Ava Gardner, il décida d’annoncer ses fiançailles à sa mère avant d’avertir son studio, Louis B. Mayer fut loin d’être ravi. L’innocence de son jeune premier devait être préservée aux yeux de ses jeunes admiratrices, pour qui l’annonce d’un mariage ne constituerait qu’une vile trahison. Résultat : Eddie Mannix prépara la cérémonie de mariage dans un endroit isolé en plein désert, aussi loin de la presse que possible, et envoya un de ses cadres en lune de miel avec le jeune couple. Ce ne fut pas un moment mémorable, admit Gardner.
Son union avec Rooney, qu’elle appelait son plus petit mari et sa plus grande erreur ne fut pas plus grandiose.
Rooney, un mètre cinquante-sept, était un des plus célèbres coureurs de jupons de la Cité des anges, et il en était fier. Il gardait un carnet dans lequel il faisait la liste de ses conquêtes et décrivait avec force détails quelles filles étaient particulièrement douées au lit. Lorsqu’il se mit à lire ses notes devant son épouse lors d’une soirée mondaine, leur mariage ne tarda pas à prendre l’eau… Tout le monde baisait avec tout le monde à cette époque, mais ce n’était pas une raison pour laisser Mick faire ce qu’il voulait, confessa Gardner, qui menaça d’attaquer son époux pour adultère.
La MGM passa immédiatement à l’action, Eddie Mannix expliquant à Gardner qu’il la détruirait si elle portait plainte. En fin de compte, le couple se sépara pour cause d’incompatibilité et Gardner reçut une augmentation grâce à sa bonne conduite.
Organiser une union entre comédiens pouvait aussi aider à dissiper certains racontars. Lorsque l’acteur Williams Haines fut arrêté dans une posture compromettante en compagnie d’un marin en 1933, Eddie Mannix parvint à étouffer l’affaire, mais Louis Mayer, qui trouvait cette homosexualité bien déplaisante, décida d’agir et proposa un mariage de convenance à Haines. L’acteur refusa, déterminé à rester en couple avec son petit ami de longue date. Peu après, il fut renvoyé et sa carrière dans le cinéma prit fin, mais il ne déménagea pas d’Hollywood et rebondit en tant qu’architecte d’intérieur réputé parmi les stars de la ville. De manière semblable, Universal Pictures organisa le mariage de Rock Hudson et de la plantureuse Mamie Van Doren, autre vedette du studio, dans le but de mettre fin aux rumeurs persistantes autour de la vie sexuelle de l’acteur. D’après Van Doren, le studio pensait qu’en voyant Hudson en couple avec elle, l’opinion publique se dirait que les soupçons d’homosexualité à l’encontre de l’homme ne pouvaient être fondés.
En plus de déjouer les rumeurs, créer des couples de stars servait donc à alimenter la presse people en touchantes histoires d’amour entre beaux et talentueux jeunes gens.
Alors qu’il était marié à la chanteuse Bobbe Arnst, Johnny Weissmuller, connu pour son rôle de Tarzan, rencontra la bouillonnante actrice Lupe Velez. Afin de protéger Weissmuller, à l’époque joyau de la MGM, Strickling offrit 10 000 dollars à Arnst pour l’intimer de partir en silence. Weissmuller ne tarda pas à épouser Velez, les deux stars formant ainsi un des couples les plus glamours de l’époque. Mais la jeune femme, qui n’estimait pas utile de porter des sous-vêtements, avait la fâcheuse habitude de boire beaucoup et de lever sa jupe en se déhanchant sur les pistes de danse. Strickling aurait payé de nombreux photographes pour éviter que des clichés dévoilant les parties intimes de Lupe Velez ne circulent. Selon la légende, l’actrice d’origine mexicaine avait le sens de la mise en scène jusque dans la mort. En 1944, après avoir décidé d’en finir, Velez aurait souhaité passer à trépas dans une posture digne de Blanche-Neige : vêtue de sa plus belle robe, elle aurait recouvert son lit de pétales, puis se serait allongée, serrant une rose contre son coeur, après avoir avalé une boîte de somnifères. Toutefois, plutôt que de la plonger dans un sommeil éternel, les comprimés l’auraient rendue malade. L’actrice se serait ensuite précipitée aux toilettes et, trébuchant sur les froufrous de sa longue robe, elle serait tombée tête la première dans la cuvette avant de s’étouffer dans son vomi.
Au-delà des histoires de coucherie, Strickling et Mannix furent aussi amenés à intervenir dans l’affaire du suicide présumé d’un cadre de leur studio, marié à la starlette Jean Harlow. Quand le nabab Howard Hughes offrit à Harlow son premier grand rôle dans Les Anges de l’enfer, il déclara lui-même que l’actrice était aussi élégante qu’une serveuse de boui-boui de province, mais comme le précisa le magazine Variety, personne n’est jamais mort de faim avec un physique pareil. Cependant, la beauté seule ne permet pas de percer à Hollywood, et Harlow connut un début de carrière poussif jusqu’à l’âge de 21 ans, lorsqu’un producteur de la MGM d’une quarantaine d’années appelé Paul Bern lui demanda sa main.
Deux mois après le mariage, Paul Bern était tué par balle dans sa villa hollywoodienne. Harlow était partie rendre visite à sa mère et ce fut le majordome qui découvrit le cadavre. Au courant de la procédure, celui-ci ne prévint pas la police et s’empressa d’appeler Strickling, qui arriva flanqué d’Eddie Mannix et d’Irving Thalberg, le responsable de la production de la MGM. Les trois hommes fouillèrent la maison annoncèrent qu’ils avaient trouvé un mot à côté du corps dans lequel Bern s’excusait pour son humiliation abjecte, comprenez : son impuissance. Tout le monde ne crut pas qu’il s’agissait d’un réel mot d’adieu, car le bruit se mit à courir que Strickling avait trouvé la note dans les affaires de l’homme et l’avait fait passer pour une lettre de suicide. Les cadres de la MGM savaient que Bern était marié à l’actrice Dorothy Millette depuis vingt ans, mais que leur relation avait pris fin en raison des troubles mentaux de cette dernière. Le soir précédant la mort de Paul Bern, une femme à la tête voilée, peut-être bien Millette, s’était rendue à la maison du producteur et s’était violemment disputée avec lui. Cette piste ne fut pourtant pas poursuivie par les enquêteurs et le médecin légiste conclut à un suicide, ce qui n’empêcha pas de nombreuses voix au sein même du studio d’affirmer qu’il s’agissait d’un meurtre. Le frère de Bern clama haut et fort ne pas croire И la thèse du suicide, mais il se tut après une réunion avec Strickling. Harlow, quant à elle, ne fit jamais le moindre commentaire à propos de la disparition de son mari. Une semaine après l’incident, Dorothy Millette se jeta du pont d’un ferry dans la baie de San Francisco.