Marie Capelle, tueuse d’hommes ?

Marie Capelle, tueuse d'hommes ?

Janvier 1840, un ancien monastère en ruine dans le Limousin : l’endroit, lugubre, est appelé « le Château » et vient de connaître un crime qui défraie la chronique française.
La victime est Charles Lafarge, maître de forge, un rustre, un rapace, condamné jadis pour avoir commis des faux en écriture avec la complicité de son comptable. L’accusée est Marie Fortunée Capelle, fille d’un colonel de la Garde. Elle est parisienne et orpheline, n’est pas jolie, mais possède un teint ambré et de beaux yeux noirs dont elle connaît le pouvoir. La victime n’est autre que l’époux de cette jeune femme et de toute évidence, les soupçons pèsent sur elle : mais comment en est-on arrivé là ?

Adoptée par sa tante maternelle à la mort de ses parents, la nouvelle famille de Marie éprouve le besoin de la marier et s’adresse à une agence matrimoniale, en 1839, alors que la jeune fille est âgée de vingt-trois ans. Charles Lafarge fait miroiter aux Capelle les qualités et les mérites de sa famille et surtout ses moyens financiers, ainsi que son château de Pompadour, en Corrèze. Domestiques, équipages, dot de 80 000 francs-or, qui intéressent Lafarge bien plus qu’ils ne le devraient : tout est envoyé chez le nouvel époux de la pauvre Marie.

On devine l’amère découverte lorsque la jeune Capelle se voit livrée aux exigences brutales de son mari, qui est en fait un homme violent et mentalement instable. Le soir même de son arrivée, elle réalise que le château tant espéré n’est autre que le Glandier, un monastère presque abandonné et infesté de rats. Dans sa sinistre demeure, et certainement en désespoir de cause, Marie avoue à son époux avoir une autre liaison, qu’ils ne sont pas faits l’un pour l’autre et qu’elle va s’embarquer pour Smyrne, en Turquie, mais qu’elle est prête néanmoins à lui laisser sa dot.

La belle-mère Lafarge intervient et les excuses du mari éploré réussissent à la dissuader d’abandonner le Glandier. Quatre mois après, l’orage s’est apaisé mais cet amour imaginaire ne pourrait-il être qu’un prétexte ? Marie, qui s’occupe de la demeure tandis que Charles tente d’éponger ses dettes, entreprend de remeubler le manoir. Elle lègue ses biens à son mari ; il en fait de même pour sa femme. Mais, en réalité, à son insu, il signe un second testament annulant le premier, en faveur de Mme Lafarge, sa mère.

Lorsqu’à la fin de l’année 1839, en voyage d’affaires à Paris afin de résoudre des affaires financières et de déposer un brevet d’invention pour la découverte d’un nouveau procédé de la fabrication du fer, Charles reçoit une lettre affectueuse de Marie, il est plus que surpris face à tant d’attentions.
Elle lui annonce l’envoi d’un gâteau pour la Noël ; elle mangera le même, à la même heure au Glandier. Lafarge l’a à peine entamé qu’il est pris de douleurs et de vomissements qui durent deux jours. Revenu chez lui au début de janvier 1840, il est soigné avec empressement par sa femme. Trois médecins, appelés successivement, car son état empire, ne songent pas à un empoisonnement, Charles ayant déjà souffert de malaises analogues lors de son premier mariage. Mais le quatrième a cependant quelque doute. La famille Lafarge soupçonne alors la jeune femme et en informe le malade qui meurt après d’atroces souffrances, le 14 janvier 1840 à 6 heures du matin, sans que le médecin ne puisse rien faire. Sur plainte de son beau-frère, Marie Capelle devenue Marie Lafarge est arrêtée dix jours plus tard : l’une des affaires les plus contestées de l’histoire judiciaire commence. Ainsi, le 23 janvier 1840, à 9 heures du matin, les brigadiers et gendarmes, Magne et Deon, procèdent donc à l’arrestation de la veuve au Glandier. Cette dernière est transportée à la maison d’arrêt de Brive.

Il faut savoir que les connaissances scientifiques des médecins, notamment en matière toxicologique, sont encore rudimentaires à l’époque et que, si les faits que l’enquête révèle sont simples, ils peuvent être sujets à interprétation. Ainsi, l’arsenic circule au Glandier comme de la vulgaire farine. Greniers et caves étant infestés par des rats, pour les exterminer, Marie a fait acheter du poison à plusieurs reprises sur ordonnance du médecin ou par le commis Denis Barbier, dont elle n’ignore pas l’hostilité qu’il ressent à son égard : se servir de lui semble bien imprudent de la part d’une future meurtrière. Des témoins ont aussi remarqué un dépôt blanchâtre sur certains breuvages prescrits. Deux valets ayant trouvé de la poudre blanche dans un sachet ont cru bon de l’enfouir dans le jardin. On l’examine, mais il ne s’agit que de bicarbonate de soude ! La déposition la plus accablante reste celle d’une vieille fille hébergée au château, qui affirme avoir vu Marie verser du plâtre dans un lait de poule destiné au patient. Marie lui a répondu que c’était simplement de la fleur d’oranger. Après de nombreuses fouilles, on trouva aussi de l’arsenic dans une boîte lui appartenant.

Qu’il y en ait, et trop, dans la maison, personne ne le conteste. Ce qui importe est simplement de savoir s’il y en a dans le corps de la victime : l’autopsie n’en découvre pas, et une contre-expertise pas davantage. Le parquet renvoie pourtant l’accusée devant les Assises de la Corrèze, divisant la France en deux camps : les Lafargistes et les anti-Lafargistes. Le pays tout entier connait une agitation sans précédent. Mais quand Marie apparaît le 3 septembre 1840 à son procès, elle comprend à la réaction de l’assistance combien l’opinion publique lui est défavorable. Les provinciaux ne pardonnent pas à cette Parisienne le mal qu’elle a dit d’eux et de leur pays. De plus, un incident pèse dangereusement sur la conviction des jurés. Des diamants appartenant à Mme Léautaud, une amie de Marie Capelle, ont été retrouvés au Glandier. En dépit de l’histoire, assez invraisemblable, produite par la prévenue pour sa défense, les avocats n’ont pu empêcher cette affaire d’être jugée avant le procès criminel. Marie Lafarge est d’abord condamnée pour vol à deux ans de prison, par défaut.

En ce qui concerne le prétendu empoisonné, Me Paillot, bâtonnier de Paris, et Me Bac assistés par un débutant, Me Lachaud, font appel à un dixième expert, suite à l’indécision des neuf premiers : survient alors Orfila, le célèbre chimiste. Seule l’autorité d’un personnage comme Raspail aurait pu contrebalancer la sienne. Contrairement à la légende, Raspail n’est pas entendu dans l’affaire et l’épigramme : « Quand Raspail arriva, Orfila fila » ne repose sur rien.

Orfila, entouré des experts précédents, refait leurs expériences dans une salle du palais de justice transformée en laboratoire. Il conclut à la présence dans les viscères d’un demi-milligramme ne provenant ni des réactifs employés ni de la partie d’arsenic contenu naturellement dans le corps d’un homme.

L’audience, après ce coup de théâtre, est rétablie tandis que Marie Lafarge, épuisée par ces péripéties éprouvantes, est emportée à demi évanouie et ne peut comparaître le lendemain. Si son avenir est incertain, au moins son charme a opéré sur le personnel de la prison et son médecin. Préjugeant du verdict, celui-ci certifie qu’elle est incapable de se déplacer quoiqu’elle « ait toujours conservé ce calme et cette sérénité qui sont le privilège de l’innocence ».

C’est donc hors de sa présence que la Cour la condamne, le 17 septembre, aux travaux forcés à perpétuité. Marie Capelle est alors enfermée à la prison de Tulle, puis le 8 novembre 1841 elle est transférée à la maison centrale de la force à Montpellier avant d’être déplacée de nouveau en 1851 à l’asile de SaintPaul-de-Mausole à Saint-Rémy-de-Provence. Elle passe, en fait, dix ans en prison.

Devenue une vieille femme aux cheveux gris, quoique peu âgée, gagnée par la phtisie, une forme de la tuberculose, Marie Lafarge est graciée en 1852 par le prince Louis-Napoléon ;
elle s’installe peu après dans un village de l’Arriège, OrnolacUssat-les-Bains, où elle décède le 7 septembre 1852 à l’âge de trente-sept ans. « Elle est morte en sainte ! » prétendit le curé qui l’assista durant son agonie.

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