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Marie Lesueur, la Vénus de Jacques-Louis David

Marie Lesueur, la Vénus de Jacques-Louis David

Jacques-Louis David, peintre français, est en son temps un fervent défenseur de la République, de la Révolution et de l’incorruptible Robespierre. Il doit se cacher lors de la première Restauration et à la seconde, prendre le chemin de l’exil, notamment parce qu’il fut le peintre de Napoléon Bonaparte et que la monarchie ne voit pas d’un bon œil les dissidents politiques. Il se fixe alors à Bruxelles en 1816. Mais en 1824, déjà malade, Jacques-Louis David est renversé par une voiture à la sortie du Théâtre de la Monnaie de la future capitale belge. L’œdème causé par l’accident, une paralysie des mains suite à une congestion cérébrale et l’hiver rude de l’année 1825 l’emportent le 29 décembre 1825, dans son lit.

L’exil et la situation politique de l’époque ne l’ont pas empêché de peindre : un de ses derniers tableaux, réalisé à Bruxelles en 1824, est Mars désarmé par Vénus et les Grâces, et prend naissance dans son atelier de la rue de l’Évêque. Toujours conservée aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique, cette toile monumentale est une œuvre majeure du néoclassicisme. Elle sera léguée au musée par le petit fils de l’artiste en 1893, en souvenir de l’accueil si sympathique que son grand-père exilé avait reçu à Bruxelles.

De nombreux modèles posent pour ce tableau : un abonné du Théâtre Royal de la Monnaie interprète Mars (le casque fut prêté à David par le ténor Defossez, qui le portait à l’Opéra), trois jeunes filles du corps de ballet, dont Mademoiselle Philippont, maîtresse du prince d’Orange, posent comme « Grâces » et Cupidon est un enfant de cinq ans qui deviendra célèbre : Lucien Petipa, danseur et futur directeur du Ballet de l’Opéra de Paris et du Ballet du Théâtre de la Monnaie.

C’est Mademoiselle Lesueur, née en 1799 et première danseuse de ce même théâtre, qui sert de modèle à l’artiste pour immortaliser Vénus couronnant le dieu Mars. Elle a un galbe digne de figurer dans cette ultime fresque mythologique. Néanmoins, ses pieds déplaisent fortement au maître et c’est dans le quartier des Marolles, dans un des nombreux taudis de la rue Haute, que le peintre trouve la perle rare qui possédait, dit-on, les plus beaux pieds de tout Bruxelles. Il s’agit d’une jeune serveuse de cabaret qui, depuis sa tendre enfance, n’a chaussé que des sabots de bois. Cette inconnue prête donc pour l’éternité quelques orteils à Mademoiselle Lesueur.

La Vénus de Jacques-Louis David ne possède pas une grande fortune ; peut-être qu’elle est devenue la maîtresse du peintre, malgré leur grande différence d’âge. Il faut savoir que Jacques-Louis David, réfugié en Belgique, ne semble pas avoir vécu dans la misère durant ses dernières années. On sait de bonne source que la première danseuse a, de toute façon, de nombreux admirateurs. Dès lors, il est plus que probable qu’elle se fait entretenir par certains membres du ministère, dont le représentant auprès de la Commission Royale des Théâtres de Bruxelles, Pierre-Louis Van Gobbelschroy. Le ministre de l’Intérieur du roi Guillaume Ier l’installera même dans un château de la campagne bruxelloise. La jeune Marie a tellement de succès que tous les poètes de l’époque adressent des vers à la diva qu’elle est devenue : d’autres succombent à ses charmes et lui ouvrent leur bourse, lui permettant de mener grande vie à Bruxelles.

Mademoiselle Lesueur fait ses débuts au Théâtre Royal de la Monnaie en mai 1819, en présence du roi Guillaume des Pays-Bas : elle y interprète le ballet Almaviva et Rosine. Elle a alors dix-neuf ans et est une très grande danseuse. C’est une femme de caractère, qui jouit d’une grande influence au sein du ballet et est capable à la fois de jouer la comédie et de chanter l’opéra.

Toutefois, la gloire est éphémère. L’année 1826 sonne le glas de la carrière de Mademoiselle Lesueur. Elle tombe gravement malade en janvier et la critique déplore la baisse de qualité des ballets et attend avec impatience le retour de la diva. Le soir du 26 février 1827, la jeune femme se décide à un bref retour sur les planches, mais, pour son malheur, est accueillie par des coups de sifflet dès son entrée en scène. Cet évènement se passe six semaines après qu’une maladie l’ait clouée au lit. Marie Lesueur doit renoncer à cette représentation et sa carrière s’arrête soudainement. Pour le Théâtre de la Monnaie, les pertes sont lourdes et, dans le même temps, ses soupirants la désertent, les plus fidèles comme les plus généreux. Son avenir est scellé : son état de santé ne lui permettra plus jamais de remonter sur les planches.

Elle termine donc sa vie au côté de son protecteur, le comte Pierre-Louis Van Gobbelschroy, dans leur château. Certains pensent que Mlle Lesueur aurait épousé le ministre Van Gobbelschroy à la suite de quoi, il aurait donné sa démission. Les amants auraient eu une fille, Louise, née en 1826. Cette Louise Van Gobbelschroy serait devenue plus tard Madame David Fischbach-Malacord. Mais cet enfant n’est, pour l’instant, qu’une hypothèse.

Toujours est-il qu’en 1828, l’ex-ministre acquiert à WoluweSaint-Lambert, en Belgique, l’ancienne maison de campagne des Jésuites, ainsi que son parc boisé d’une contenance de douze hectares, aujourd’hui Château Malou, qui allait abriter les amours du ministre et de la danseuse.

Lorsque survient la Révolution belge de 1830, Van Gobbelschroy décide de se lancer dans les affaires. Le couple passe, dès lors, l’été à Woluwe et l’hiver à Paris dans un bel appartement dans la rue des Croix-des-Petits-Champs, suivant à la fois la saison théâtrale et la spéculation boursière du moment. Gobbelschroy est déterminé à se lancer dans l’industrie : il s’intéresse donc aux usines de Couvin et fonde en Belgique et en France les premières fabriques de bougies. Mais cela s’avère être un cuisant échec : toute sa fortune est engloutie dans ce projet insolvable et, le 2 octobre 1850, anéanti, il s’empoisonne.

Marie Lesueur, ruinée et seule, fait courageusement face et vend le château de Woluwe au notaire Van Keerbergen qui le vend à son tour à Jules Malou, ministre des finances belge, en 1852. Elle va habiter une humble demeure située dans la rue de la Grosse Tour et y vit d’une modeste pension versée sur la cassette royale par Léopold Ier puis Léopold II, à l’initiative de Charles Rogier, premier ministre en 1850 et ami de Van Gobbelschroy. Elle a gardé des relations suivies avec ce dernier, un romantique célibataire, disait-on de lui à l’époque, ainsi qu’avec l’ambassadeur des Pays-Bas, le baron de Gericke.
La comtesse-veuve Marie Lesueur finit sa vie dans une maison à la rue Kayenveld à Ixelles où elle meurt pratiquement aveugle le 6 avril 1890, loin du luxe du Château Malou, à l’âge de quatrevingt-dix ans.

C’est une histoire curieuse et émouvante, connue de peu d’historiens. Mais la plupart des Bruxellois, au milieu du XIXe siècle, connaissaient la vie scandaleuse que menait celle qui fut jadis la Vénus d’un peintre.

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Mathilde

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