« Le marteau des sorcières » (1486) : histoire d’un best-seller « Maléfique »

Les pères misogynes de la « sorcière type »

 

Prieur des dominicains de Sélestat, Institoris (Kremer ou Krämer) est fait docteur en théologie à Rome en 1479. Il fut le Grand Inquisiteur d’Alsace et d’Autriche. Jacques Spranger, du même ordre de prêcheurs, occupa la charge d’inquisiteur dans la région rhénane. Son rôle semble mineur dans la rédaction du Malleus maleficarum, plus connu sous le nom de Marteau des sorcières, nom vulgaire donné à ce traité parce qu’il est le premier à insister lourdement sur le fait que par sa faiblesse naturelle, la femme est plus encline à se vouer aux démons et aux pratiques de sorcellerie démoniaque, à différencier de la magie. Les deux auteurs reprennent à leur compte les idées d’Eymerich et de Johannes Nider.

 

 

Devant les vagues d’arrestations suscitées par les idées des deux dominicains, des évêques s’émurent et voulurent endiguer ce zèle insensé. Krämer et Sprenger décidèrent de démontrer le bien-fondé de leurs persécutions et d’en appeler au pape. En 1484, Innocent VIII édicta la bulle Summis esiderantes affec­tibus, mettant en garde contre la sorcellerie des hommes autant que des femmes. Mais en 1489, les deux tortionnaires détournent la bulle et y introduisent leur Malleus, lui confé­rant ainsi une légitimité usurpée. Ce livre, une escroquerie, connut de nombreuses rééditions rendues aisées par le dévelop­pement de l’imprimerie. La première publication (en latin) eut lieu en 1486 à Bâle chez Peter Drach et connut 34 rééditions entre 1487 et 1669. En 1490, l’Église catholique avait quand même interdit une première mouture parce que les auteurs attribuaient aux manigances des sorcières les catastrophes natu­relles, une assertion interdite par le concile de Braga de 561. Malleus connut aussi des éditions en langue vulgaire et devint un succès de librairie.

 

 

« Un livre de poche » lourd de conséquences

 

D’abord écrit en latin, puis traduit en langue vulgaire, le Malleus fut rapidement édité sous un format peu usuel à l’époque : le livre de poche. Il aurait été malséant que les juges hésitants soient obligés d’étaler sur la table un lourd grimoire afin de suivre stricto sensu les recommandations d’Institoris et de Sprenger. Un petit format leur permettait une consultation discrète et rapide sans conséquence pour leur prestige et leur crédibilité. S’ils ne sont pas les premiers (Nider l’a fait cinquante ans plus tôt) à pointer du doigt avec lourdeur et lubricité le rôle primordial des femmes dans les pratiques sataniques, ils deviennent les vrais théoriciens de la chasse aux sorcières géné­ralisée. Ils donnent des conseils précis pour repérer sur elles les marques laissées par leurs pactes avec le diable. Ils prônent avec vigueur des tortures particu­lièrement sadiques et répétées, tant physiques que mentales.

 

 

Le « Maléfique » aurait mieux convenu comme titre au traité des deux dominicains. Cet ouvrage fit de terribles ravages, causant la mort de centaines d’innocents (en majorité des femmes) à la fois par son côté odieusement sexiste, mais aussi par leur conviction du caractère universel de la sorcellerie, non plus une malédiction pesant sur un village ou une ville, mais fléau européen comme la peste ou la lèpre. Dès lors, Institoris et Sprenger insistent aussi sur le fait que la sorcellerie ne relève pas seulement de la justice religieuse, mais aussi des tribunaux civils, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles et plus nombreuses formes de persécutions. Le rôle des tribunaux civils sera amplifié en Allemagne, en France et en Angleterre.

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