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Charles IX s’était laissé dominer par l’amiral de Coligny, chef du parti protestant, qui le poussait à entreprendre une politique anti-espagnole. Aussi Catherine de Médicis se rapprocha-t-elle des Guise à qui elle confia l’élimination physique de Coligny, qui ne fut toutefois que blessé, le 22 août 1572. C’est sans problème qu’elle put persuader le roi d’empêcher la révolte des chefs huguenots en les assassinant tous. Les massacres débutèrent à Paris dès l’aube du 24, fête de la Saint-Barthélemy. Coligny fut tué avec deux cents autres nobles. L’événement fut le paroxysme de l’affrontement entre les deux communautés religieuses. Ensuite, avec Catherine de Médicis et Henri III, le pouvoir royal se montra autant hostile aux protestants qu’aux catholiques extrémistes
Le 22 août 1572, quelques jours après le mariage d’Henri IV avec Marguerite de Valois, Coligny fut victime d’une tentative d’assassinat. Une balle l’atteignit, mais se limita à lui arracher l’index de la main gauche et lui briser le bras. Le soir, dit-on, Catherine de Médicis, embarrassée, avoua à son fils Charles IX qu’elle était l’instigatrice du complot raté et que les huguenots s’armaient pour le tuer et mettre le royaume à feu et à sang. Elle tenta de le persuader que le seul moyen de prévenir la sédition générale était de tuer les chefs protestants.
Après une longue réticence, le roi la crut et s’écria : « Tuez-les, mais tuez-les tous pour qu’il n’en reste pas un pour me le reprocher ! ». Les Guise, mis dans le secret par la reine mère, savouraient et chargèrent leur dévoué Cosseins – capitaine de garde royale – de tuer l’amiral avec ses hommes. Peu avant l’aube du 24 août, en compagnie de Bême, ami des Guise, et du Gascon Sarlabous, la troupe grimpa les escaliers de la maison de Coligny, et força la porte de sa chambre. Coligny attendait, debout, le dos au mur, en robe de chambre. Bême fonça sur lui, lui enfonça son épée dans le ventre et lui balafra le visage. Les Suisses de la garde s’acharnèrent à percer et taillader le corps.
En bas, dans la cour où il s’impatientait, le duc de Guise cria à Bême : « L’affaire est-elle finie ? ». Quand l’assassin eut répondu affirmativement, le duc ordonna : « Eh bien ! qu’on le jette par la fenêtre ». Coligny respirait encore et, au moment où ses bourreaux allaient le basculer dans le vide, il tenta, dans un ultime effort, d’accrocher une main au montant, en vain : dans un bruit sourd son corps vint s’écraser sur le pavé. Guise passa un linge sur le visage ensanglanté pour s’assurer qu’il s’agissait bien de Coligny.
Selon Agrippa d’Aubigné et plusieurs écrivains huguenots, il lui aurait alors lancé un coup de pied dans le ventre. Le corps mutilé et disloqué demeura abandonné sur le sol jusqu’au lendemain. La populace s’en empara et, comme les autres massacrés, Coligny endura alors le supplice des quatre éléments (l’air, la terre, l’eau et le feu) que les catholiques jugeaient indispensables pour satisfaire la vengeance de Dieu, délivrer la communauté du mal et la purifier. Attaché à la queue d’un cheval, il fut traîné dans la boue des rues et des quais, plongé dans la Seine, repêché pour être pendu tout nu par les pieds au gibet de Montfaucon après une parodie de procès, puis brûlé en partie.
On avait fait appel à de petits enfants pour s’acharner sur son corps, lui couper les mains, l’émasculer, le décapiter... Agés de 5 à 7 ans, on les retrouvait souvent dans les séditions catholiques et on leur confiait parfois la mise à mort des hérétiques par lapidation parce que, vu leur pureté et leur innocence, leur acte ne pouvait être que l’incarnation de la violence de Dieu. Pour les huguenots, ce dernier les vengea plutôt, car à ce moment Charles IX tomba gravement malade, souffrant d’une sévère affection de la peau et d’atroces migraines. Mais les catholiques interprétèrent un autre fait comme un signe miraculeux en leur faveur : le lendemain des massacres, on apprit qu’une aubépine desséchée avait refleuri dans le cimetières des Innocents… On raconte que le roi lui-même la vénéra. Quant au cadavre pendu de Coligny, quelques serviteurs de François de Montmorency vinrent quelques jours plus tard le détacher et le transporter à Chantilly dans un cercueil de plomb.
Le comte François III de La Rochefoucauld, ex-lieutenant de François de Guise, était devenu l’un des chefs du parti huguenot, tout en restant l’ami de Charles IX, avec qui il partageait souvent d’étranges jeux de flagellation. Le 24 août 1572, vers cinq heures du matin, on frappa à sa porte. Tout somnolent, persuadé que le roi le faisait chercher pour de nouveaux divertissements, il ouvrit en fait à ses assassins, le sourire aux lèvres. Brantôme rapporte : « La Rochefoucauld en plaisantant demande à être battu doucement… Il riait encore quand on l’égorgea…».
A l’intérieur du Louvre, les nobles huguenots furent systématiquement égorgés. L’un d’eux fut même poursuivi jusqu’à la ruelle du lit de Marguerite de Valois ! Seuls Henri de Navarre et le prince de Condé furent épargnés. Toutefois, avertis du danger, la plupart des principaux chefs avaient pris soin de fuir avant. En principe, seuls les dirigeants devaient périr. Mais la troupe se mit à traquer aussi tous les huguenots dans Paris, comme des chasseurs cherchant du gibier à tout prix. Les soudards en égorgèrent tant qu’ils purent, souvent dans leur lit, quand ils n’arquebusaient pas ceux qui essayaient de s’enfuir par les toits. La populace se mêla au carnage avec une violence fanatique inouïe pendant cinq jours, malgré les efforts du roi et de la municipalité d’arrêter le carnage. Quantité de protestants, enfants compris, furent déshabillés, traînés, mutilés, étripés, jetés à la Seine ; les femmes enceintes étaient éventrées. Avant midi, on aurait déjà recensé 2 000 morts. La foule s’en prit en particulier aux riches, réalisant un pillage fabuleux, sans négliger les intellectuels, libraires ou étudiants étrangers, avec l’encouragement des prêtres. Le massacre s’étendit à un certain nombre de villes, comme Lyon, Bordeaux, Toulouse, Rouen, Angers et Orléans, où nombre d’« hérétiques » furent balancés dans la Loire ou coulés dans des bateaux. Selon les estimations les plus récentes, les massacres auraient causé la mort de 10 000 à 15 000 victimes dans l’ensemble de la France.
Le matin du 25 août 1572, le spectacle à Paris était apocalyptique. D’innombrables cadavres, des têtes coupées, des membres et des troncs épars baignant dans des flaques de sang jonchaient les rues, tandis que la Seine charriait des corps flottants. Catherine de Médicis et sa horde de dames de compagnie parcoururent la cour du Louvre pour « s’offrir la lubrique satisfaction d’examiner sur des cadavres nus certaines vitalités masculines », atteste Sully. Parmi eux, celui du seigneur Quellenec, qui s’était défendu longtemps et tomba percé de coups sous les fenêtres de la reine. Quelques mois plus tôt, sa femme lui avait intenté un procès pour dissoudre son mariage, en raison de son impuissance. C’est cela que les dames de la cour étaient venues vérifier, faisant à ce sujet des plaisanteries d’un goût douteux ! Entre 1572 et 1584, le huguenot François Dubois a représenté la tuerie dans la cour du Louvre sur une toile, conservée au Musée des Beaux-Arts de Lausanne, où l’on voit la reine penchée sur des cadavres nus.
Pour les catholiques, nul doute que leur victoire était un signe de la volonté divine. D’ailleurs un certain nombre de protestants le reconnurent et, en tout cas, les conversions furent massives. Le carnage avait duré trois jours, avant de s’étendre en province, plus particulièrement à Orléans, Meaux, Bourges et Lyon. En six semaines, des dizaines de milliers de huguenots furent massacrés. Mais la victoire des catholiques était mêlée de dépit, car il subsistait de solides bastions protestants dans le Sud[i] .
Au lendemain de la Saint-Barthélemy, la reine ne manifesta aucun remord, alors que Charles IX était abattu et prostré. Elle ne se reprocha, écrit-elle, « que la tuerie de six personnes… ». A en croire Breton, elle ne put être que fort satisfaite puisque, « d’après d’Aubigné et Brantôme », elle embauma la tête de Coligny et envoya le paquet macabre au pape, qui dut être quelque peu surpris... tout au moins, à l’annonce de ce qu’il considéra comme un triomphe de l’Eglise catholique, Grégoire XIII fit entonner un Te Deum en Allemagne et en Angleterre, puis, comme Catherine, ordonna de frapper une médaille commémorative[ii] !
Les massacres de la Saint-Barthélemy firent peut-être 4 000 tués à Paris, dont 1 900 furent inhumés près de Saint-Cloud. Quantité d’autres huguenots avaient été jetés dans la Seine, mais un certain nombre d’entre eux furent repêchés et enterrés en aval. On raconte que Gustave Eiffel tomba sur leurs ossements lorsqu’il fit creuser les fondations de sa tour pour l’Exposition universelle de 1889[iii].
[i] GARRISSON J., 1572, La Saint-Barthélemy, Bruxelles, Complexe, 2000, pp. 76-89, 100-101, 105-106 (La Rochefoucauld), 119-121, 123-124. - BOURGEON J.-L., Charles IX et la Saint-Barthélemy, Genève, Droz, 1995, p. 82. - CROUZET D., La Saint-Barthélemy : religion et barbarie, « L’Histoire », novembre 1997, p. 32. - CRETE A., Coligny, Fayard, 1985, pp. 430-433. - BOURASSIN E., Charles IX / La France divisée en deux, Ozoir-la-Ferrière, In Fine, 1992, p. 261. - CASTELOT A., La reine Margot, Perrin, 1993, p. 98. - SOLNON J-F., Henri III, Perrin, 2001, p. 121. - CROUZET D., ibidem, p. 34.
[ii] CLOULAS I., Catherine de Médicis, Fayard, 1979, pp. 191, 353, 362. - BRETON G., Histoire d’amour de l’Histoire de France, Presses de la Cité, t. I, 1978, p. 320 (envoi de la tête au pape, très douteux).
[iii] BOURASSIN E., Charles IX / La France divisée en deux, Ozoir-la-Ferrière, In fine, 1992, p. 255.
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